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Manchester United : Ole-Gunnar Solskjaer, la fausse bonne idée

Philippe Auclair

Mis à jour 10/04/2019 à 12:04 GMT+2

Se tourner vers Ole-Gunnar Solskjaer pour faire entrer de l'air frais dans le vestiaire étouffant de Mourinho, c'était au moins faire preuve d'imagination, une qualité jusque-là insoupçonnée dans l'équipe dirigeante de MU. Le confirmer dans ses fonctions pour trois ans de plus, c'est moins sûr. Les fausses bonnes idées paraissent souvent meilleures que les vraies quand elles viennent à l'esprit.

Solskjær

Crédit: Eurosport

Le moment était curieusement choisi. Lorsque la nouvelle fut annoncée, le 28 mars, United venait de se faire sortir de la FA Cup par Wolverhampton, juste après avoir concédé sa première défaite en Premier League de l'ère Solskjaer (0-2 à Arsenal). Et deux jours après le sacre officiel du Norvégien, United pouvait s'estimer heureux de l'emporter 2-1 face à Watford à Old Trafford. Les visiteurs avaient tiré plus de vingt fois au but de David De Gea, les hôtes seulement huit à celui de Ben Foster, et les habitués de la Stretford End étaient repartis du stade en se disant que ce genre de performance leur rappelait quelques souvenirs récents dont ils se passeraient volontiers.
La journée de championnat suivante, rebelote, sauf que les Wolves d'Espirito Santo se montraient plus réalistes que les Hornets de Gracia et l'emportaient 2-1. MU retombait à la sixième place du classement, celle que les Red Devils occupaient lorsque Mourinho s'était vu signifier son licenciement. Et cela, alors qu'à l'horizon immédiat pointent le double rendez-vous avec Barcelone et un derby de Manchester - le 24 avril - dans lequel le club le plus riche d'Angleterre n'aura qu'un rôle de juge de paix. Comme timing, désolé, mais on a vu beaucoup, beaucoup mieux.
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Ole Gunnar Solskjaer of Manchester United poses at Old Trafford ahead of a press conference to announce him as full-time manager at Old Trafford on March 28, 2019 in Manchester.

Crédit: Eurosport

Autant l'on peut comprendre que les joueurs et les supporters de MU aient pu appeler de leurs vœux l'offre d'un "vrai" contrat à un authentique héros de leur club, autant a-t-on le droit de s'interroger sur le bien-fondé de la décision prise par son vice-président exécutif Ed Woodward, en accord avec la famille Glazer. Le bilan de Solskjaer après ses douze premiers matches de Premier League dans l'ancien fauteuil de Sir Alex était certes aussi superbe qu'inattendu, sans précédent dans l'histoire du club pour un nouveau manager ; presque insensé, en fait, ce qui peut aussi signifier "dénué de sens" ; miraculeux, aussi - qu'on songe aux succès remportés contre Burnley et à Tottenham, sans même évoquer la qualification contre le PSG. De là à conclure qu'il était l'homme de la situation, alors que MU tâtonne depuis bientôt six ans, il y a de la marge. Un miracle comme celui du Parc peut certainement servir de tremplin, mais pas de fondation, et ce n'est pas sur un tremplin qu'on bâtit une stratégie à long terme.
De plus, Solskjaer n'est pas seulement le manager dont l'équipe, alors éliminée, se vit offrir un pénalty dans la dernière minute de jeu par la main de Presnel Kimpembe. Il est aussi celui du United qu'on avait vu inexistant sur sa pelouse face au même PSG. Il avait des circonstances atténuantes, dont les blessures qui anéantirent son plan de jeu initial avant la pause, mais n'était pas dénué de tout reproche non plus. De la même façon, lui nier tout mérite pour l'exploit du Parc était absurde, alors que ses joueurs avaient appliqué ses instructions à la lettre du coup d'envoi à la rentrée aux vestiaires.

Instinct et vox populi

Là est le problème. C'est desservir le Norvégien que de le louer pour son travail jusqu'à l'hyperbole comme on l'a fait. Ce qu'il vaut comme manager, nous n'en sommes pas sûrs, et ce qu'il vaut comme manager de Manchester United (ce qui n'est pas tout à fait la même chose) nous l'ignorons tout à fait, car ce n'est pas une quinzaine de matches qui vont nous l'enseigner. Il est au moins déjà allé aussi loin que David Moyes en Ligue des champions, et à part ça ?
Or, du fait de son vécu de joueur de MU, du contexte de sa nomination et de l'impact immédiat qu'elle eut sur le club tout entier, le pendule basculera tout aussi violemment si les flottements actuels s'avéraient autre chose qu'un concours de circonstances défavorables. En donnant un contrat de trois ans à un manager dont le palmarès consiste en deux titres de champion et une Coupe en Norvège (avec Molde, le nouveau riche de la Eliteserie norvégienne), les dirigeants de MU ont joué le jeu de l'instinct, pas celui de la raison, se sont laissés porter par la vox populi quand rien ne les y obligeait, et ont pris des risques que rien ne justifiait.
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Man Utd - Berbatov : "Solskjaer aura plus de pression désormais"

On dira que tout choix de ce type est aussi un pari, et que cela se défend de parier sur un jeune technicien qui a soif de faire ses preuves, dont l'ADN "MU" est indiscutable et qui, de plus, ne craint pas de faire confiance aux jeunes, ce qui est très apprécié à Manchester. Absolument. Mais pourquoi parier maintenant, quand absolument rien ni personne n'oblige le club à se prononcer, quand on peut encore se demander si l'entraîneur n'est pas le pendant du joueur, à savoir un supersub exceptionnel mais pas un titulaire indiscutable ? Pourquoi ne pas se donner le temps de réfléchir ? Patienter aurait-il eu quelque impact que ce soit sur la nouvelle dynamique de l'équipe, laquelle s'est d'ailleurs sérieusement infléchie depuis quelques rencontres ?
Non. Les supporters ne se seraient pas rebellés, les joueurs non plus. Un délai aurait même pu avoir l'effet de renforcer encore davantage l'union autour de l'entraîneur. Ironiquement, d'ailleurs, deux de ceux qui s'étaient prononcés publiquement en faveur de Solskjaer ne seront peut-être plus à Manchester United la saison prochaine, Romelu Lukaku et Paul Pogba. On les imagine difficilement pleurer toutes les larmes de leur corps si un transfert à l'Inter, au Real ou ailleurs, signifiait ne plus s'entraîner sous les ordres de Ole.

Et si Van Gaal avait raison ?

On ne sait même pas à quoi ressemble le football que Solskjaer entend faire jouer à son Manchester United, au-delà des formules convenues sur un United qui redécouvrirait son allant fergusonien. Pour l'instant, le narratif des matches a fait passer leur contenu au second plan. Tor-Kristian Karlsen, l'ancien directeur technique de l'AS Monaco, qui suivit de près le travail de son compatriote à Molde, parle d'un manager dont la philosophie du jeu est proche de celle de Jürgen Klopp.
Si c'est le cas, on ne l'a pas encore vue en action à United. Louis van Gaal en choqua quelques-uns lorsqu'il déclara récemment qu'il ne voyait pas beaucoup de différences entre le MU de José et celui d'Ole, enthousiasme mis à part, à savoir une équipe qui acceptait de subir le jeu pour mieux frapper en contre. Van Gaal disait tout haut ce que d'autres pensaient tout bas, moi compris. Le 1-0 de Wembley face aux Spurs avait tout du hold-up "mourinhien", même si ce n'est pas ainsi qu'il fut présenté dans les médias.
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Ole Gunnar Solskjaer

Crédit: Getty Images

Ceci n'est pas en soi rédhibitoire ou répréhensible. Ceux qui regrettent tant le bon vieux temps de Sir Alex devraient se souvenir que ce qui caractérisait ses équipes était leur pragmatisme autant que leur don de savoir retourner des situations compromises. C'est très rarement qu'elles mettaient la fleur au fusil, malgré la présence d'attaquants comme Giggs, Cantona, Rooney, Kanchelskis, Tevez ou Ronaldo. United, c'était aussi Bruce et Pallister, Ferdinand et Vidic, Ince, Keane, Butt et Darren Fletcher. Et c'est là un autre problème post-fergusonien : tous ses successeurs se sont vu accuser de trahir l'héritage de l'Ecossais, ce qu'on ne leur aurait certainement pas reproché s'ils avaient gagné autre chose que la FA Cup ou l'Europa League. Ceux qui chantaient "attack, attack, attack !" à Old Trafford avaient visiblement oublié comment le United de 2012-13 gagna son titre de champion. On ne rigolait pas tous les jours au Théâtre des Rêves.
Tout est évidemment possible - y compris qu'Ed Woodward ait eu raison plus d'une fois dans la même saison. Il se peut que United fasse un coup contre un Barça qui fut à deux éclairs de Suarez et de Messi de se faire donner une leçon de football par un Atlético réduit à dix le week-end passé. Il se peut aussi que United offre le titre de champion à Liverpool en battant Man City dans deux semaines. Il se peut qu'Ole-Gunnar Solskjaer nous surprenne autrement et s'avère THE solution. Il se peut aussi que la quinzaine à venir soit bien plus problématique, et qu'on se pose alors la question de savoir si la décision de le nommer manager pour trois saisons de plus était si sage que cela. Quoi qu'il en soit, elle était certainement prématurée.
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