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Manchester City et les fautes tactiques, l'arme pragmatique d'une équipe romantique

Christophe Kuchly

Mis à jour 26/02/2020 à 19:52 GMT+1

LIGUE DES CHAMPIONS - Si les hommes de Pep Guardiola attaquent en nombre, ils savent aussi casser le jeu. Une façon peu avouable de protéger leur but qui pourrait être très utile face au Real Madrid mercredi.

Pep Guardiola lors de Arsenal - Manchester City en Premier League le 15 décembre 2019

Crédit: Getty Images

C'est une banale scène d'avant-match, dont l'intérêt réside justement dans cette apparente banalité. Nous sommes le 4 mars 2018 et Manchester City, qui file vers le titre, reçoit Chelsea, champion dans le dur qui finira à trente points du nouveau roi d'Angleterre. Le choc n'en est pas tout à fait un mais une victoire locale symboliserait la passation de pouvoir. Alors que les titulaires se mettent en tenue, Mikel Arteta donne quelques dernières consignes dans le vestiaire, reçues sans broncher par des joueurs qui semblent les avoir déjà entendues mille fois.
Les mots qui suivent, les voici : "David, Kevin, Gündo, faites des fautes. S'il y a une transition, faites une faute. Si vous pouvez, c'est mieux que ce soit vous (Silva et De Bruyne) que Gündo(gan) ou les défenseurs." Aucune réaction des premiers concernés. Celui qui est alors l'adjoint de Pep Guardiola vient pourtant de leur dire de casser le jeu si nécessaire, instaurant même une hiérarchie parmi ceux chargés de se sacrifier pour l'équipe. Ces images, captées par les caméras d'Amazon pour le documentaire All Or Nothing, confirment alors ce que tout le monde devine : City fait volontairement faute quand la situation l'exige. Et tant pis pour le romantisme.

Des précédents payants

Philosophiquement, la méthode semble assez éloignée de l'idée du beau jeu adossée à Guardiola. Contrairement à son mentor Johan Cruyff, qui affirmait vouloir proposer du spectacle au public et intégrait ce paramètre dans ses choix tactiques, le Catalan s'est pourtant toujours défini comme pragmatique. Si ses équipes sont tournées vers l'offensive et utilisent des plans de jeu très précis, c'est parce qu'il estime que c'est le meilleur moyen de gagner des titres. Or, et même s'il a toujours nié y avoir recours, la gestion tactique des fautes fait partie des moyens légaux permettant de sauver des situations défavorables.
Pep Guardiola (Manchester City)
La plus récente a été l'œuvre de Federico Valverde à la 115e minute de la finale de Supercoupe d'Espagne entre les deux clubs madrilènes. Le milieu du Real, battu par Alvaro Morata, l'a fauché par derrière à vingt mètres de son but alors que son vis-à-vis était parti seul en profondeur. Réduite à dix, sa formation l'a emporté aux tirs au but. Pendant la dernière minute du temps réglementaire de la finale de Ligue des champions 2016, Sergio Ramos avait lui taclé Yannick Carrasco par derrière dans le rond central, coupant un trois contre un et évitant l'expulsion grâce à la présence d'un partenaire sur la route du but. Muet en prolongation, l'Atlético s'était là aussi incliné aux tirs au but.
Deux fois, les hommes de Zinédine Zidane auraient pu être sanctionnés des espaces laissés dans leur camp. Mais ce n'était alors lié à un plan de jeu ambitieux : ces contre-attaques suivaient des coups francs dégagés par l'adversaire, alors qu'une bonne partie de l'équipe était montée pour essayer de marquer. À l'inverse, Manchester City, qui évolue avec un bloc très haut, n'a pas besoin de coups de pieds arrêtés pour être menacé en cas de perte de balle. Les patientes phases de possession dans le camp adverse se font avec six à huit joueurs devant le ballon et des défenseurs à la médiane, donc un espace considérable à exploiter pour l'adversaire.

Rodri, le symbole

La vitesse de Kyle Walker et Benjamin Mendy permet certes de rattraper certaines situations, mais l'arrière-garde reste très exposée, une situation aggravée par la blessure d'Aymeric Laporte, faux lent et vrai bon défenseur dans les grands espaces. Privé du Français pendant de longs mois, Pep Guardiola a fait reculer Fernandinho, habituel milieu défensif, installant Rodri à sa place. Une passation de témoin logique, les 70 millions d'euros investis étant destinés à en faire un titulaire, qui a de vraies conséquences sur le jeu des Skyblues. Très bon passeur, une qualité chère à son entraîneur quand il s'agit de recruter des joueurs qui évoluent bas sur le terrain, l'Espagnol souffre d'un énorme manque d'explosivité.
Fernandinho (Manchester City) contre Crystal Palace en Premier League le 18 janvier 2020
Arrivé en provenance de l'Atlético, où il avait déjà pu muscler un jeu soyeux, Rodri est devenu un expert de la faute tactique. Dans une interview à ESPN, il a d'ailleurs admis avoir appris cet art délicat avec Guardiola, compromettant encore un peu plus les démentis de son supérieur. Joueur le plus sanctionné de City (1,4 faute par match en championnat) avec une bonne marge sur le reste des troupes, il n'a pris que six cartons jaunes en vingt-cinq apparitions. Soit un avertissement de moins qu'Ilkay Gündogan (0,5 faute par match) et trois de moins que Jorginho (1 faute par match), autre milieu en pointe basse qui n'aime pas courir. Dès son arrivée, le joueur de 23 ans a montré un vrai talent pour couper les attaques adverses le plus discrètement possible

L'art de la discretion

Après la défaite 5-0 de ses hommes lors de la première journée, Manuel Pellegrini, alors coach de West Ham, s'était plaint des fautes tactiques des Skyblues, sanctionnés treize fois contre cinq alors qu'ils avaient contrôlé la possession. Cinq de ces treize fautes avaient eu lieu entre la 35e et la 44e minute, et pas toutes par maladresse.
En retard pour récupérer une passe ratée de Gabriel Jesus à 60 mètres de son but, Rodri avait par exemple mis discrètement son adversaire direct au sol malgré cinq joueurs en couverture, se replaçant immédiatement en trottinant. Quelques instants plus tard, il donnait un petit coup à un adversaire dos au jeu dans le rond central puis, après un dribble raté de Raheem Sterling à l'entrée de la surface, c'est David Silva qui jouait un peu des bras en essayant de récupérer le cuir égaré.
Dans les trois situations, le geste, suite d'un mouvement fait en direction du ballon et qui s'accompagne quasiment d'une aide à la chute de son vis-à-vis, semble anodin. Pas si différent, en tout cas, des fautes d'engagement que font tous ceux qui pressent à la perte du ballon. En l'absence de décalage, donc de danger immédiat, difficile pour l'arbitre de sortir un carton jaune, même en connaissant l'identité – donc le passif – du coupable. D'autant que, comme Mark van Bommel avant lui, Rodri accueille les coups de sifflet avec philosophie voire sympathie. Samedi, contre Leicester, on a même vu Harvey Barnes lui taper dans la main après s'être fait percuter au moment de lancer une transition.
Rodri (Manchester City) contre Tottenham en Premier League le 2 février 2020

Effet boomerang

Grand (1,91m) et un peu dégingandé, le nouveau venu donne parfois une impression de maladresse qui complique les jugements de l'arbitre, lequel peut légitimement s'interroger sur la volonté de prendre un bout de jambe au lieu du ballon. Fernandinho, son prédécesseur et concurrent depuis le retour de Laporte, appartient lui à la catégorie des pitbulls dont les interventions tardives peuvent s'expliquer par un engagement de tous les instants. Dans les deux cas, leur talent – cynique mais réel – se trouve dans le positionnement et le timing. Pour éviter l'avertissement, et donc garder le droit de recommencer, il faut que la faute ne soit ni spectaculaire ni trop tardive. Donc être proche du ballon ou de celui qui a des chances de le recevoir.
Cela n'est pas toujours le cas, et Manchester City, qui aime s'éviter des courses défensives à la réussite incertaine, en a logiquement payé le prix. En tête (ex aequo) au peu reluisant classement des expulsions en Premier League et deuxième en Ligue des champions, les partenaires de Kevin de Bruyne alternent sacrifices et mauvais réflexes. Hormis Ederson, sorti à contretemps contre Wolverhampton, les quatre autres expulsés l'ont été sur du jeu en transition… et pas toujours intelligemment. Si Claudio Bravo, obligé de faucher Josip Ilicic après une balle perdue de Gündogan au milieu, n'avait pas su sauver une situation compliquée, les autres avaient semblé oublier que certaines fautes peuvent amener un deuxième jaune.
Fernandinho (adversaire percuté dans le dos à 70m de son but après une passe ratée contre Aston Villa), Phil Foden (bras retenu alors qu'il y a 5-1 face à l'Atalanta) et Oleksandr Zinchenko (coup d'épaule pour couper un contre de Tottenham qui n'avait pas tiré en soixante minutes) ont pénalisé leur équipe à vouloir l'aider. Selon The Athletic, relayant les statistiques d'Opta – qui a lancé un indicateur "fautes tactiques" en Premier League il y a trois ans –, Manchester City en avait usé lors de 7,6% de ses pertes de balle avant son match du week-end. Le recordman actuel ? City, avec près de 7% la saison dernière. Un total qui sera sans doute battu par Arsenal, actuellement au-delà des 8%. Et dont le coach, hasard ou non, se nomme Mikel Arteta…
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