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Ligue des Nations - Avant Italie - Angleterre : Gareth Southgate et l'impossible job

Philippe Auclair

Mis à jour 23/09/2022 à 16:21 GMT+2

LIGUE DES NATIONS - Finaliste de l'Euro 2020, l'Angleterre ne vit pas tout à fait la même période cette année. Battu deux fois par la Hongrie, dont un cinglant 0-4 à domicile, les Three Lions sont derniers de leur groupe avant d'affronter l'Italie ce vendredi soir à San Siro à Milan. Si bien que Gareth Southgate, pourtant laissé relativement tranquille par la presse, commence à sentir la pression.

Gareth Southgate

Crédit: AFP

Ce n'est pas pour rien que le grand journaliste de football britannique Brian Glanville intitula son livre sur les managers de l'équipe d'Angleterre Le Job Impossible. Tous les sélectionneurs qui se sont succédés depuis que les potentats de la FA se décidèrent enfin, en 1946, plus tard que quelque autre nation de football, à confier à un seul homme le soin de choisir les joueurs qui représenteraient leur pays, ont fait l'amère expérience de l'attente inconsidérée des médias et de l'opinion.
De Walter Winterbottom, qui survécut tout de même seize années avant que la presse ne le force à quitter son poste suite à un décevant Mondial de 1962 au Chili, à Sam Allardyce, qui ne tint que soixante-sept jours en 2016, le temps d'être piégé par le Daily Telegraph, il n'est pas un sélectionneur anglais dont le règne ne se soit achevé sur un échec - et par un licenciement ou une démission. Même le titre mondial de 1966 ne put sauver Alf Ramsey lorsque son Angleterre ne put se qualifier pour le tournoi de 1974.

Ramsey, Robson...

Ramsey fut licencié, mis à l'écart, pour ne pas dire au rebut. Bobby Robson, le seul, sans doute, à avoir quitté son rôle la tête haute, après Italia 1990, n'avait pas été épargné non plus, au point que sa décision de se retirer avait été prise avant même que s'ouvre la compétition. Il n'en pouvait plus du fiel et du poison qu'on déversait sur lui dans les colonnes des tabloïdes anglais.
Par comparaison, Gareth Southgate s'en sera tiré bien mieux que ses prédécesseurs - jusque-là. Les circonstances dans lesquelles il fut choisi, quand les candidats ne se bousculaient pas à la porte de la FA, la progression constante de son équipe, la place qu'il y a faite à la plus belle génération de jeunes footballeurs anglais qui soit apparue depuis des décennies, l'assurance et la dignité avec laquelle il a pleinement assumé ses responsabilités de porte-parole d'une Angleterre inclusive, tolérante et ouverte au reste du monde, tout cela a fait que, sans qu'il soit intouchable, quand on a touché à Southgate, ça a toujours été avec respect.
Pour le moment.
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Gareth Southgate

Crédit: Getty Images

Car les premières félures, apparues après que l'Italie avait empêché l'Angleterre de remporter enfin un second grand titre international ("pourquoi tant de prudence dans le jeu alors que Shaw avait ouvert la marque ?" "pourquoi confier à Sancho, Rashford et Saka le soin de se charger des trois derniers tirs au but ?"), se sont agrandies depuis.

0-4 face à la Hongrie

En Angleterre, personne ne prêtait trop attention à l'édition actuelle de la Ligue des Nations, intégrée au forceps dans un calendrier surchargé, avant que la sélection n'y obtienne les plus mauvais résultats de l'ère Southgate. Perdre contre la Hongrie à Budapest, passe encore. Perdre 0-4 contre le même adversaire à Wolverhampton, non. Se retrouver bon dernier du Groupe A3, avec deux points sur douze, non, non et encore non.
Alors que la Coupe du Monde au Qatar n'est plus qu'à moins de deux mois, tout nouveau dérapage donnerait une parfaite excuse aux critiques qui n'aiment rien de mieux que fragiliser quiconque a la charge de l'Angleterre. Ce curieux masochisme a ses racines dans le sentiment, moins vif qu'autrefois, mais toujours présent, en particulier dans le Sun et autres tabloïdes, que toute autre place que la première constitue un échec pour la nation qui a donné naissance au football.
Ceux-là même qui seront les premiers à dégainer si Southgate et son équipe trébuchaient contre l'Italie, ce vendredi, et l'Allemagne, lundi prochain, savent pourtant que l'Angleterre, demi-finaliste du Mondial et finaliste de l'Euro, vit sa période la plus faste depuis le sacre de 1966. Ils savent aussi que son rang actuel et plutôt flatteur au classement mondial de la FIFA - cinquième - reflète les progrès considérables que leur sélection a fait depuis que Sam Allardyce a laissé sa place à Gareth Southgate.

Le sort de Maguire et Shaw sera scruté

Mais cela ne leur suffit pas. Une Angleterre qui marche bien, mais qui est encore loin de pouvoir prétendre dominer le monde, ne leur suffit pas non plus : c'est une Angleterre sans histoires, et ce sont des histoires qu'ils entendent compter, quitte à les monter de toutes pièces.
Ce ne sont pas que les performances et les résultats des deux rencontres à venir qu'ils auront à l'oeil. Ils suivront aussi également de très près le sort que Southgate réservera à deux des piliers de l'équipe qu'il mena en finale de l'Euro 2020, Harry Maguire et Luke Shaw, tous deux victimes du reboot de Manchester United orchestré par Erik ten Hag. A eux deux, les défenseurs mancuniens avaient participé à onze rencontres des Three Lions lors de la phase finale du championnat d'Europe. A eux deux, ils ont joué en tout et pour tout 325 minutes en Premier League et 110 en Ligue Europa cette saison.
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Harry Maguire

Crédit: Getty Images

La chute a été soudaine, et brutale. Leur dernière apparition en qualité de titulaires remonte au 13 août, lorsque Brentford avait pulvérisé Manchester United (4-0). Ten Hag avait perdu patience avec Shaw dès la pause de cette déroute. Il n'a pas réapparu depuis.
Les matches suivants ont donné raison au technicien néerlandais. Avec Maguire et Shaw dans son onze de départ, United avait perdu ses trois premières rencontres de la saison - deux en Premier League, une en Ligue Europa, face à cette terreur, la Real Sociedad - sur un score combiné de 1-7; et MU est invaincu depuis qu'ils ne sont plus là. MU a battu Liverpool et Arsenal. MU va mieux, beaucoup mieux, et, sauf blessure, on imagine mal Maguire souffler une place à Raphaël Varane ou Lisandro Martinez et Luke Shaw prendre celle de l'excellent Tyrrell Malacia au retour de cette trêve internationale.

Southgate loyal comme Deschamps

Comme beaucoup d'autres sélectionneurs, Didier Deschamps ne faisant certainement pas exception, Gareth Southgate accorde beaucoup d'importance à la loyauté dont ont fait preuve ses joueurs par le passé - une loyauté qu'il leur rend bien. Passé le Mondial russe, quand des joueurs comme Danny Rose, Danny Welbeck, Gary Cahill et Ashley Young entraient encore dans ses plans, il en est venu à se reposer sur un groupe dont la composition a très peu changé par rapport à celui qui a disputé l'Euro 2020.
Les piliers sont bien en place. Beaucoup de "ceux de 2018" sont toujours là, comme Pickford (absent contre l'Italie pour cause de blessure), Walker, Henderson, Trippier, Rashford, Kane et Sterling, auxquels se sont ajoutés les représentants de la new wave qui ont percé depuis, comme Saka, Sancho, Mount, Grealish, Rice et Bellingham.
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Jadon Sancho - Angleterre

Crédit: Getty Images

Il n'y pas deux mois, les noms de Maguire et de Shaw auraient été parmi les premiers noms à inclure dans cette liste; mais aujourd'hui, de la catégorie des "certains", ils sont passés à celle des "possibles", en attendant d'être exclus de celle-là si le vent ne tourne pas en leur faveur au sein de leur club. Car si Southgate a jusque-là tenu la porte entrouverte pour eux, ils pourraient bien la verrouiller d'ici peu.
"Ce n'est pas idéal", admit-il lors d'un récent point-presse pendant lequel leurs cas particuliers avaient été évoqués, "mais ils ont été, et peuvent être, des joueurs importants pour nous. La situation n'est pas encore parfaite, mais il y a encore beaucoup de football à jouer avant le Qatar". Huit journées de championnat, pour être précis.
Pour l'instant, il semble avoir décidé de persévérer avec - au moins - Maguire, bien qu'il ait clairement conscience que ce choix pourrait se retourner contre lui. "C'est important de soutenir nos meilleurs joueurs", a-t-il lâché à la veille de cet Italie-Angleterre. "Quelle que soit la réputation que j'aie [acquise], je la mets en jeu ici. Il est notre arrière central le plus dominateur dans le jeu aérien. Lui et et John [Stones] sont incroyables en possession du ballon - [pensez à] la pression qu'ils ont dû accepter pour l'équipe dans les tournois, parce que nous n'avons pas toujours le pivot en milieu de terrain qui permet de faire progresser le jeu. Il y a une énorme pression sur nos arrières centraux pour bien utiliser le ballon, et ces deux-là le font aussi bien que quiconque dans le monde".
"Quelle que soit la réputation que j'aie [acquise], je la mets en jeu ici". Qu'il fasse confiance au duo, et l'on dira qu'il a laissé le coeur l'emporter sur la raison. Qu'il l'écarte, et on mettra en avant leur contribution - celle de Shaw, en particulier - lors d'un Euro qui fut tout près de s'achever en triomphe; et que leurs remplaçants soient à la faute sur une action décisive, ce sera la curée.
Les Britanniques ont une expression toute faire pour cela : damned if you do, damned if you don't. "Damnés si vous le faites, damnés si vous ne le faites pas". Pour un peu, elle pourrait servir de devise à tout sélectionneur anglais, Gareth Southgate compris.
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