France-Italie | Didier Deschamps - Comment le sélectionneur des Bleus a été influencé par son passage à la Juventus

France-Italie, c'est un derby pour Didier Deschamps. Hormis deux passages rapides à Chelsea (1999-2000) et Valence (2000-01), l'actuel sélectionneur des Bleus n'a connu que des expériences en France et de l'autre côté des Alpes en tant que joueur (Nantes, Bordeaux, Marseille et Juventus) puis entraîneur (Monaco, Marseille et la Juventus en 2006-07). Avec les Bianconeri, l'ancien milieu de terrain a complété son armoire à trophées déjà bien remplie : une Ligue des champions supplémentaire après celle remportée avec l'OM en 1993, une coupe du monde des clubs (1996), trois Scudetti (1995, 1997 et 1998) et une Coupe d'Italie (1995). Mais surtout, il a intégré une philosophie qui constitue aujourd'hui sa marque de fabrique en tant que sélectionneur.

Quelques mois avant l'arrêt Bosman et après la relégation administrative de l'Olympique de Marseille en Division 2 à la suite de l'affaire VA-OM, Didier Deschamps imite Michel Platini en rejoignant la Juventus Turin à l'été 1994. C'est donc un défi XXL qui attend le natif de Bayonne car à l'époque, la Série A est considérée comme le championnat le plus relevé de la planète football.

Mais Didier Deschamps était armé pour ces joutes ultra-exigeantes. "Il a toujours été en avance sur son âge. Sur le terrain, il était joueur mais déjà un peu entraîneur. Il savait comprendre très vite les situations, même très jeune", nous confie Benoît Cauet, qui a croisé la route du champion du monde 1998 à l'OM lors de la saison 1989-90 puis à la fin de cette même décennie en Série A à l'occasion de matches au sommet entre la Vieille Dame et l'Inter Milan.

Rigueur tactique de Marcelo Lippi, intensité des duels, blocs défensifs difficilement franchissables, adversité XXL (Batistuta, Baggio, Stoitchkov, Simone, Bergkamp, Zola puis Ronaldo à partir de 1997), Didier Deschamps est rapidement comme un poisson dans l'eau dans le Calcio. Mais aux côtés des tout meilleurs sur le terrain (Del Piero, Vialli, Conte...), le joueur formé au FC Nantes prend encore une nouvelle dimension.

"Il a développé son intelligence de jeu et notamment dans le positionnement. Pour ça, l'Italie est une vraie école. Je pense que cette discipline est restée à l'intérieur de lui. Rapidement, Didier est devenu un des piliers de la Juventus. Son jeu n'a pas évolué à travers le temps, mais son passage à la Juve l'a bonifié. Avec sa présence, ses coéquipiers sont aussi devenus meilleurs, indique Benoît Cauet. Son expérience italienne l'a pérennisé au niveau mondial. Il est devenu un plus grand joueur et a renforcé son leadership."

C'est d'ailleurs pendant sa période turinoise que Didier Deschamps est devenu le capitaine des Bleus à part entière. Après deux expériences avec le brassard en 1994 (contre le Chili en amical) puis un an plus tard (face à la Slovaquie lors des éliminatoires du championnat d'Europe), le premier joueur à avoir soulevé la Ligue des champions avec un club français est devenu le relais numéro un d'Aimé Jacquet à partir de l'Euro 1996 faisant ainsi passer un nouveau cap aux joueurs de l'équipe de France.

Cette culture de la gagne, qu'il avait déjà en lui à ses débuts, Didier Deschamps l'a développée pendant ses cinq ans à la Juventus Turin. Benoît Cauet encore : "En Italie, on ne parle et on ne vit que pour la victoire et les titres. Les clubs italiens sont très exigeants de ce point de vue-là. Les entraînements sont basés sur ça. Physiquement, c'est très dur, on te demande de donner toujours plus."

Toute cette exigence à l'italienne, Didier Deschamps l'a transmise dès ses débuts en tant qu'entraîneur à l'AS Monaco en 2001. Désormais retiré de toute activité liée au football, l'ancien ailier Nicolas Bonnal, passé par l'AC Ajaccio et l'ASM, n'oubliera jamais comment l'actuel sélectionneur de l'équipe de France a révolutionné en profondeur le club de la Principauté, pourtant demi-finaliste de la Ligue des champions 1994 et champion de France 2000.

"C'est simple : avec Didier Deschamps, on a vécu de l'intérieur la bascule du football à l'ancienne au football moderne, nous confie l'ancien Monégasque. Marco Simone, Vladimir Jugovic, Christian Panucci ou Oliver Bierhoff, qui avaient tous un passé en Série A, n'étaient pas surpris par ses méthodes. Les plus surpris, c'était les joueurs français. Pour nous, c'était révolutionnaire et un peu comme si des enfants allaient à Eurodisney."

Avec Didier Deschamps et son préparateur physique italien Antonio Pintus (désormais au Real Madrid), terminé les footings à rallonge. Place à la musculation et au foncier. "On en a vraiment bouffé, rembobine Nicolas Bonnal vingt-trois ans plus tard. Il y a eu un changement radical au centre d'entraînement de la Turbie. On avait quasiment chacun un atelier de squat (ndlr : pour soulever des barres afin de renforcer les quadriceps notamment) sans oublier les compex (électrostimulation) pour travailler la puissance. Avant, la musculation, on n'en faisait quasiment pas ou juste sur son temps libre. Par ailleurs, sur le terrain, les distances qu'on devait parcourir étaient plus courtes et plus intenses."

Si l'aspect tactique y a également été plus développé, Didier Deschamps, "un coach charismatique, intelligent et qui ne rigolait pas sur le terrain" (dixit Nicolas Bonnal), a aussi largement développé la préparation invisible des joueurs, déjà à la mode en Série A dans les 90'. Si cela n'a pas payé sur sa première saison (15e de L1 à 6 points de la relégation), cette méthode novatrice pour l'époque en France a porté ses fruits sur le long terme (victoire en Coupe de la Ligue 2003 et finale de C1 2004).

"Avant, la Turbie était ouverte à tout le monde. Lui, il a verrouillé tout ça. Les journalistes ne pouvaient plus venir aussi facilement. Les demandes d'interviews ? Didier Deschamps devait les valider avant. En fait, il a instauré ce qu'il a connu en Italie, note Nicolas Bonnal. Concernant l'hygiène de vie en dehors des terrains, que ce soit la nourriture ou le repos, il y apportait une grande importance. Si certains joueurs abusaient au niveau de l'alimentation, les sanctions tombaient. Avec lui, les mises au vert étaient aussi plus structurés."

Structuré, c'est le mot qui colle aujourd'hui au jeu prôné par Didier Deschamps en Bleu, même s'il possède actuellement de multiples joueurs à très grand talent dans son effectif. Malgré les critiques, liées à sa philosophie jugée trop "à l'italienne" pendant l'Euro, le sélectionneur des Bleus est défendu par Benoît Cauet, ancien entraîneur au centre de formation de l'Inter Milan lors de la précédente décennie.

"Il est critiqué mais les résultats parlent pour lui, plaide-t-il. La façon dont il organise son équipe, on la connaît. Ce n'est pas quelqu'un qui va être beau. Il est plutôt pragmatique et insiste sur certaines choses dans l'organisation. Premièrement, il essaie de ne pas prendre de but. Et après, il tente de mettre les attaquants dans les meilleures conditions possibles. Il essaie de faire jouer tous ses joueurs efficacement, ça ne veut pas forcément dire qu'il doit les faire bien jouer. Dans son rôle, je le trouve très cohérent."

Face à l'Italie vendredi et dans la durée, cette cohérence à l'italienne n'a aucune raison de ne pas perdurer dans l'esprit de Didier Deschamps, fidèle à ses principes.