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"Le séducteur" contre "le leader" : le duel Garcia - Simeone vu par celui qui les a côtoyés

Antoine Donnarieix

Mis à jour 15/05/2018 à 16:17 GMT+2

LIGUE EUROPA - Olivier Guégan a connu un privilège rare pour un entraîneur français : avoir pu apprendre de Rudi Garcia et de Diego Simeone, les techniciens de l'OM et de l'Atlético Madrid. Avant la finale de la Ligue Europa entre Marseille et les Colchoneros, l'actuel coach de Grenoble analyse le style des deux maîtres à penser de ce choc.

Rudi Garcia (OM) et Diego Simeone (Atlético Madrid)

Crédit: Getty Images

Aujourd’hui entraîneur du Grenoble Foot 38, Olivier Guégan avait délaissé son rôle d’entraîneur adjoint du stade de Reims à partir de la saison 2013-2014. Le but ? Peaufiner sa formation à travers des voyages professionnels. Durant cette période, l’homme rend visite à Rudi Garcia, coach de l’AS Rome, et Diego Simeone, en poste à l’Atlético de Madrid. Guégan intègre alors deux visions différentes du football, qui s’affronteront le 16 mai prochain à Lyon pour la finale de Ligue Europa entre l’OM et l’Atlético de Madrid. Entretien décryptage.
Bonjour Olivier. Pour commencer cette évaluation, aviez-vous rendu visite à Garcia ou Simeone en premier ?
Olivier Guégan : C’était Rudi d’abord. J’avais eu cette opportunité grâce à Fred Bompard, l’adjoint de Rudi que je connaissais très bien. J’étais parti juste avant la trêve hivernale au cours de sa deuxième année.
Garcia a entraîné la Roma durant trois saisons, de 2013 à 2016. Comment s’était-il acclimaté au football italien ?
O.G. : Rudi était parvenu à extrêmement bien s’intégrer au championnat, puisqu’il fait dix victoires en dix matchs de championnat avec l’AS Rome (un record toujours d’actualité, ndlr). Quand il était arrivé, la Roma venait de perdre le derby contre la Lazio en finale de Coupe d'Italie. Il avait été assez mal accueilli au club, parce qu’on le voyait en train de jouer de la guitare sur une vidéo… Mais là où Rudi était très intelligent, c’est qu’il a compris le contexte dans lequel il débarquait. Sa communication médiatique était excellente, cela lui a permis de gagner du temps. Et puis bien entendu, l’enchaînement des victoires a vite mis tout le monde d’accord. Rudi, c’est un séducteur, un mec qui sent les bons coups. À ce niveau-là, c’est une vraie compétence car il faut savoir faire passer des messages au bon moment. Je le vois comme un homme très malin. Aussi, il ne faut vraiment pas négliger le contexte romain, un climat très compliqué. C’est la capitale, les Tifosi ne sont pas là pour te faire des cadeaux. Quand tu n’es pas accepté, tu ne fais pas long feu.
La première chose que Rudi avait fait avant d’arriver à Rome, c’était appeler Totti
Garcia avait eu un passé dans les médias, il connait ce milieu de l’intérieur. Pour la communication, ça aide…
O.G. : Bien sûr, et puis c’est aussi un homme qui sait d’où il vient : il a entrainé en National, en Ligue 2 et dans des clubs intermédiaires comme Le Mans. C’est un ancien joueur professionnel, il a beaucoup de cordes à son arc. Franchement, réussir à Rome et arriver jouer le titre de champion d’Italie, c’est une chose magnifique. Ce qu’on a fini par lui reprocher, c’était que dans les gros matchs, l’équipe ne répondait pas présent que ce soit en Ligue des champions ou face à la Juve.
La gestion de Francesco Totti par Garcia devait être une chose très complexe… Comment est-ce que vous ressentiez cela de l’extérieur ?
O.G. : La première chose que Rudi avait fait avant d’arriver à Rome, c’était appeler Totti. Avant de mettre les pieds dans le club, Rudi voulait prendre contact avec ce cadre du vestiaire pour s’appuyer dessus et savoir comment le mettre en valeur. Tu ne traites pas Totti comme un joueur classique, c’est évident. Mais ce que je retiens surtout, c’est que les grands joueurs sont les moins durs à gérer. Ce sont des animaux, ils sont là pour gagner et pas pour autre chose, donc ils se préparent en fonction. Au centre d’entraînement, Totti était le premier arrivé et le dernier parti. Ils connaissent leur mode de préparation, et c’est au staff d’écouter le joueur. En l’occurrence, tu ne travailles pas de la même manière avec un joueur de 34 ans qu’avec un jeune.
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Iago Falque, Rudi Garcia - AS Roma - Lazio Rome - Serie A - 08/11/2015

Crédit: Panoramic

De quoi aviez-vous parlé avec Rudi à l’époque ?
O.G. : J’étais resté une semaine complète en immersion à Rome, pour terminer la semaine sur le match entre la Roma et l’Inter à l’Olimpico. Ce que je voulais, c’était ressentir ce dans quoi baignait Garcia. Du coup, j’ai assisté à toutes les séances d’entraînement de la semaine et je me suis renseigné sur leur rythme de vie, même sur les côtés extra-sportifs. Je voulais comprendre le concept d’intégrer un coach français dans une grosse structure à l’étranger. C’est loin d’être évident quand ton propriétaire est américain, ton directeur sportif est italien… Cela peut amener à des différences de vision au sein du club. La Roma, c’est une très grosse machine. Ce qui m’intéressais, c’était comprendre le mode de fonctionnement global, au-delà de l’aspect gestion de joueur. Parce que tu gères aussi un staff, une population. Par exemple, j’avais pu parler au père de De Rossi qui entraînait la réserve, c’était hyper intéressant. Autre chose : en Italie, tu as toujours une mise au vert la veille du match. Rudi avait cherché à casser cette habitude, mais les joueurs avaient demandé à ne pas le faire. Bref, c’est toute une culture à respecter.
Simeone, c’est le chef de meute : ses joueurs sont dans un cadre, ils n’en sortent pas, c’est huilé de A à Z
Plus tard, vous aviez rendu visite à Simeone au sein de l’Atlético de Madrid. Là, le projet est bâti sur du plus long terme, depuis 2011 et même jusqu’à maintenant. Qu’aviez-vous appris au cours de ce voyage ?
O.G. : Avec Simeone, j’apprends surtout que je suis en face d’un leader, en football comme dans la vie de tous les jours. Simeone, c’est le chef de meute : ses joueurs sont dans un cadre, ils n’en sortent pas, c’est huilé de A à Z. 4-4-2 classique, les attaquants défendent et la préparation athlétique est militaire dans l’âme. Il n’y a pas de place au hasard, et si tu comptes sortir de ce cadre-là, tu vas avoir des problèmes. Et puis l’entraîneur adjoint (Germán Burgos, ndlr), c’est un fou : il est capable de te galvaniser les joueurs comme personne, de fédérer… Et puis c’est un gars très bon dans la recherche et l’innovation, pour calculer de nouvelles données et modifier les entraînements en fonction. Simeone, c’est un gros charisme, un ancien joueur de football à la renommée internationale et qui meurt sur le terrain pour ses joueurs. Là, j’apprends quelque chose de complètement différent par rapport à mon voyage à Rome. À Madrid, je me suis concentré sur l’âme de compétiteur que pouvait transmettre Simeone à ses joueurs. C’était exceptionnel. Tu sens une grosse atmosphère de travail, une tactique collective forte alliée à une individualisation des cas. Après, c’était un peu plus compliqué d’obtenir des infos car je n’étais pas au cœur de la machine comme j’avais pu l’être à Rome.
Simeone est arrivé dans un club qu’il connaissait déjà en tant que joueur, tandis que Garcia n’avait jamais été joueur de l’AS Rome… Est-ce que Simeone avait un poids supplémentaire dans le vestiaire de par son statut ?
O.G. : Oui. Simeone, c’est une énorme carrière de joueur, il faut le dire. Le mec était international argentin puis capitaine de la sélection, il avait joué dans la grosse équipe de la Lazio, à l’Inter et à l’Atlético, en performant dans ces clubs-là. En tant que milieu de terrain défensif, Simeone était engagé dans son jeu. Aujourd’hui, quand tu vois que ses joueurs disent qu’ils veulent mourir pour lui, c’est significatif. Mais ce n'est pas uniquement destiné à Simeone, car son adjoint est vraiment très important, il prend beaucoup de place et Simeone lui en donne volontiers. Rudi et Fred, c’est différent : ils ont tous vécu ensemble. Ils jouaient à Corbeil-Essonnes, puis ils ont commencé à coacher Dijon en National et sont montés en Ligue 2. Ils ont connu Le Mans, puis quand Rudi a signé à Lille, il a fait venir Fred en adjoint. Rudi, c’est aussi un guerrier à sa façon.
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Diego Simeone

Crédit: AFP

Le point commun central de l’OM et l’Atlético, c’est de posséder deux entraîneurs de très haut niveau
D’ailleurs, Garcia est parvenu à inverser la tendance à l’OM car les supporters étaient dans un premier temps très critiques envers lui. Cette expérience à la Roma l’a rendu plus fort ?
O.G. : C’est clair que Rudi s’est fait recevoir salement pour ses débuts à Marseille… Mais pour le connaître un peu, il possède une force énorme en lui, et ce passage à la Roma lui a permis de bien négocier cette période de crise marseillaise. Après, il n’y a pas de hasard : quand tu gagnes à Lille, que tu gagnes à Rome et que tu gagnes à l’OM, c’est que tu es déterminé. Son caractère et ses décisions l’ont conduit à la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui. Garcia est depuis plusieurs années l’un des meilleurs entraîneurs français, tout simplement.
Comment est-ce que vous qualifiez les approches de Garcia et Simeone par rapport au football ?
O.G. : Le football de Garcia est plus offensif que celui de Simeone même si ces derniers temps, sa stratégie change : il va moins chercher haut et se retrouve plus dans l’attente, avec un bloc médian pour pallier les lacunes défensives. En termes d’expérience du haut niveau et de la gamme de joueurs, je considère toutefois que l’Atlético est plus en avance que l’OM. Quand tu vois Griezmann, Diego Costa, Koke ou Oblak, le meilleur gardien du monde à l’heure actuelle, tu ne retrouves pas cela à Marseille. L’Atlético a connu deux finales de C1 dernièrement, ce sont eux les favoris. À côté, l’OM est une équipe assez neuve, en pleine construction même si sur l’aspect collectif, il y aura peut-être un coup à faire si les Marseillais parviennent à dépasser leurs limites.
Voyez-vous des points communs entre ses deux équipes ?
O.G. : L’OM et l’Atlético sont tous les deux performants sur coups de pied arrêtés. Je vois de grosses individualités de chaque côté, mais je constate tout de même une différence de taille sur le plan défensif, au niveau de la charnière centrale pour être exact. Il va falloir que l’OM fasse attention sur ce plan parce qu’avec Diego Costa et Griezmann, tu n’auras pas le temps de cogiter. Le point commun central de l’OM et l’Atlético, c’est de posséder deux entraîneurs de très haut niveau.
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