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Premier League : Non, Manchester United n’est pas parti vivre pour une longue traversée du désert

Philippe Auclair

Mis à jour 14/09/2014 à 01:34 GMT+2

Après une première saison sans qualification européenne depuis 1990, Manchester United peine en cette fin d’été. Mais Philippe Auclair nous explique pourquoi il n’est pas encore temps de s’inquiéter pour les Red Devils, malgré les comparaisons qui affleurent avec le Liverpool du début des années 90. Pour lui, les deux situations présentent des similitudes, mais celle de MU est plus encourageante.

Montage Philippe Auclair - Robin Van Persie (Manchester United)

Crédit: Eurosport

Laissons de côté Radamel Falcao un instant, si c’est possible. Et ça l’est. Nous aurons l’occasion de revenir sur son cas, quand il aura joué, par exemple, et qu’on sera sorti de cet univers virtuel, de ce jeu en ligne hystérique qu’est devenu le mercato. Parlons de Manchester United au-delà de la fumée dont ce mercato brouille l’image au point d’empêcher la réflexion. J’aimerais faire un retour en arrière aujourd’hui - de deux semaines, et de presque vingt-cinq ans. Les amateurs de Dumas père se souviendront du personnage de Grimaud, le valet d’Athos, lequel doit prononcer trois mots dans Les Trois Mousquetaires. Mais quand il parle, ce n’est pas pour ne rien dire. Les taiseux attirent l’attention quand ils sortent de leur silence, qu’ils s’appellent Grimaud ou Paul Scholes.
Scholes, en serviteur discret, ne desserrait jamais les dents du temps pas si lointain où il faisait le bonheur de Manchester United. Le voilà devenu beaucoup plus loquace maintenant que c’est lui qui tient son propre micro. Chaque fois qu’il intervient, utilisant toujours le mot "nous" pour parler de son ancien club, c’est pour prédire une catastrophe. A l’écouter, une sorte d’hiver nucléaire menace de s’installer à Old Trafford. Il craint que la décennie à venir soit pour Manchester United ce que les années 1990, et 2000, et 2010 avaient été pour Liverpool. Et quand un Red Devil (ou Ginger Devil dans son cas) se sert du club le plus détesté des Mancuniens comme élément de comparaison, on doit dresser l’oreille. Le MU de l’ère post-fergusonienne serait-il le pendant du Pool de l’après-Dalglish?

Souvenirs, souvenirs

Le 22 février 1991, quand King Kenny présenta sa démission au board des Reds, les champions en titre pointaient toujours en tête de la vieille Division One. Vingt-quatre heures plus tard, une défaite 3-1 à Luton faisait passer l’Arsenal de George Graham en pole position à la différence de buts. Le départ de Dalglish avait atterré ses supporters; il avait aussi assommé son équipe. Et depuis…et bien, depuis, on l’attend toujours, ce titre. Liverpool était tombé de son "p***** de perchoir" sans que Ferguson ait eu à le pousser. Avec le recul, cela ressemblait un peu à un suicide.
En l’espace de quinze ans, de 1975 à 1990, le club de Bob Paisley, Joe Fagan et Kenny Dalglish avait remporté dix titres de champion, deux FA Cups, quatre Coupes de la Ligue et quatre Coupes d’Europe des Clubs Champions. Les quinze dernières saisons de Sir Alex s’étaient soldées par un bilan un brin plus modeste, mais très proche de celui-là: neuf Premier Leagues, deux Cups, trois League Cups et deux Ligues des Champions. Scholes avait raison sur ce point: le "déclin" dont il parlait touchait bien deux clubs qui avaient vécu une période d’hégémonie sans équivalent dans l’histoire du football anglais. Si ce n’est celle, écourtée par la Seconde Guerre Mondiale, de l’Arsenal de Herbert Chapman, George Allison et Tom Whittaker.

Mêmes maux, mêmes conséquences ?

Le parallèle ne s’arrête pas là. La saison qui suivit le départ de Dalglish, Liverpool dégringola de la seconde à la sixième place, à dix-huit points du vainqueur, Leeds United. L’an passé, United finit septième, à vingt-deux longueurs de Manchester City. Dans les deux cas, on évoqua une erreur de casting: Souness l’inflexible, Moyes l’incompétent. Ce n’est pas moi qui parle, notez-le. Souness survécut deux saisons et demie. Moyes n’en eut même pas une entière pour faire ses preuves, signe d’un temps qui n’a plus le temps de rien.
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David Moyes

Crédit: AFP

On peut suivre Scholes jusque-là. Ce qui se passa à Liverpool peut servir d’avertissement symbolique. Les grandes équipes ne meurent jamais ? Quelle blague. Sur les bords de la Mersey, même lorsque celle de 1993/1994 finit huitième, personne ne s’imaginait que, vingt ans plus tard, on patienterait toujours pour un nouveau titre. De la même façon qu’à Old Trafford, personne n’aurait pu concevoir que celui de 1966/1967 serait le dernier avant l’arrivée d’Eric Cantona, vingt-six ans plus tard. Allez, en grattant un peu, on peut découvrir d’autres traits communs entre les deux grands déchus. Le vieillissement des cadres, par exemple. Souness avait hérité de joueurs superbes: Ian Rush, John Barnes, Peter Beardsley, Steve McMahon, Ray Houghton, Jan Molby, Ronnie Whelan, Steve Nicol, Bruce Grobbelaar. Le problème était que tous frisaient ou (la plupart) avaient dépassé la trentaine. Fast forward jusqu’en 2013 et 2014 à United, et vous voyez Moyes, puis van Gaal, confrontés à un casse-tête similaire, devant faire avec ou se séparer de joueurs comme Michael Carrick, Patrice Evra, Rio Ferdinand et Nemanja Vidic. En football, c’est rarement dans les fûts qui servent depuis longtemps qu’on fait mûrir le meilleur vin.

Oui mais…

Vous voyez arriver le "mais". Le voici. "Mais" Manchester United n’est pas pour autant la copie conforme du Liverpool que Dalglish avait quitté en 1991. Si les symptômes se ressemblent, leurs causes ne sont pas les mêmes, quand bien même elles soient systémiques plus que conjoncturelles dans les deux cas. Le grand Liverpool, pour commencer, n’était pas la création d’un seul homme, d’un démiurge à la Ferguson. Personne n’a jamais appelé Bob Paisley un génie, ce en quoi on avait peut-être tort: comparez son palmarès avec celui de Bill Shankly, devant l’ombre duquel le Kop se prosterne toujours (avec raison). Paisley était d’abord un maître d’œuvres, respectueux de ses fondations, soucieux de son héritage, un gestionnaire plein de bon sens et de finesse, comme Fagan, encore plus humble, le fut aussi.
Dalglish? C’est moins sûr. Dans l’Angleterre jouant en vase clos de l’après-Heysel, le déclin d’une équipe pouvait passer inaperçu, puisque c’est tout son football qui déclinait. Vase clos, huis-clos, sauf que là, l’enfer, c’était l’absence des autres. Marco van Basten n’a jamais joué à Anfield, John Barnes n’a jamais défié Milan. Le Manchester United moderne, par contre, celui auquel on se réfère pour condamner, hier Moyes, aujourd’hui Van Gaal, trop rigide, trop ceci, pas assez cela, a bien été façonné par un monstre venu d’Aberdeen. Je ne suis pas le seul à considérer que la perte de son directeur exécutif David Gill fut au moins aussi préjudiciable à MU que celle de Sir Alex; la synchronicité de ces départs ne fit qu’en multiplier l’impact. Demeure que l’immense chantier dans lequel la famille Glazer, prise de frousse, a englouti des centaines de millions qui ne leur ont pas toujours appartenu, est bien le legs d’un entraîneur qui, quoi qu’il en dise, ne s’est jamais soucié que du présent – et de son avenir personnel, ce qui revient au même. Les titres qu’il a légués ne sont pas un héritage, mais un fardeau.

Une santé financière exceptionnelle

Rien ne prouve pour autant que Manchester United doive se préparer à une traversée du désert aussi pénible que celle dont Liverpool, malgré Istanbul 2005, n’est pas encore sorti. Le Liverpool des années 1990 était le descendant d’un exclu. Exclu de la C1 en 1986, 1988 et 1990, de la C2 en 1989, de la C3 en 1987. Devenu inexistant en Europe, où il puisait tellement de son oxygène. Le United de 2014 est un absent provisoire. On peut honnir les Glazer, souligner leur chicheté lors de leurs premières années à la tête du club. N’empêche qu’ils se bien sont rattrapés depuis, non? Seuls Manchester City et Chelsea ont "investi" – dépensé – davantage qu’eux en net depuis 2005.
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Radamel Falcao avec la Colombie

Crédit: AFP

Spectateur de la Ligue des Champions, absent du tirage au sort de la Ligue Europa, United demeure une des grandes puissances économiques du football, ce qui revient à dire "grandes puissances" tout court. Ses énormes contrats avec Chevrolet et autres sponsors ne seront pas résiliés à cause d’une ou deux saisons de jeûne. L’achat d’Angel Di Maria pour 59,7 millions de livres puis l’emprunt de Falcao à l’AS Monaco représentent une folie. Mais le club, malgré un endettement factice, en ce qu’il est entièrement lié à l’achat du club par les Glazer, pas à une gestion commerciale déficiente, demeure fondamentalement sain. Oui, même après les incroyables dépenses de cet été. Saison après saison, MU dégage des bénéfices conséquents. Et, de tous les critères qui permettent de juger de la santé d’un club (ou de toute entreprise), celui de la dette est le plus équivoque. Celle de MU est choquante sur le plan éthique. Mais elle ne met pas en danger l’existence du club, pas plus que sa capacité à lutter avec les autres géants sur le marché des transferts pour ce qui est des millions à mettre sur la table. On vient d’en avoir la preuve.
Paul Scholes a le droit de se sentir frustré, inquiet, en colère. Il existe bien aujourd’hui un déficit de compétence à Manchester United. Il existait déjà quand David Moyes était en place. Voire Alex Ferguson, au risque de jouer les destructeurs d’idoles, Ferguson qui ne "géra le changement" que tant qu’il en était le principal intéressé. Mais dans le football d’aujourd’hui, ce déficit n’est pas rédhibitoire. L’argent parle plus haut, plus fort. Et non, l’argent n’est pas un taiseux.
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