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Mercato : Fantasmes, idées reçues et réalité d'un été anglais pas si fou que ça

Philippe Auclair

Mis à jour 13/09/2015 à 20:18 GMT+2

L'Angleterre a fait la pluie et le beau temps cet été sur le marché des transferts. Et, compte tenu des sommes dépensées, suscité critiques et commentaires acerbes. Faut-il croire tout ce qui a été dit sur nos voisins d'outre-Manche ? Philippe Auclair nous éclaire.

Raheem Sterling avec Manchester City

Crédit: Panoramic

80 millions d'euros ! Bon, pas exactement 80, mais 50 au minimum, plus bonus, pour Anthony Martial, un joueur de 19 ans qui n’a joué quatre-vingt-dix-minutes d’un match que cinq fois dans sa toute jeune carrière. "Ils sont fous, ces Anglais". Les vautours sont devenus des pigeons. Vous en voulez d’autres preuves ? Thauvin à Newcastle. Djilobodji à Chelsea. Les nouveaux contrats TV ne sont pas encore entrés en vigueur que les clubs de Premier League dépensent déjà l’argent qu’ils n’ont pas encore. Le football anglais marche bien sur la tête, un exercice périlleux. Gare au(x) dérapages(s).
On pourrait continuer longtemps dans cette veine, et on ne s’est d’ailleurs pas privé de le faire en France, que ce soit à la radio, à la télévision, dans les journaux, sur les réseaux sociaux ou au café du coin. Alors, maintenant que le vent de folie qui a soufflé sur ce mercato s’est calmé, parlons d’autre chose ou, plutôt, parlons-en autrement. Et tordons le cou à quelques idées reçues qui doivent davantage à la perception fantasmatique que beaucoup ont de l’eldorado anglais que de ce qui s’est réellement passé cet été.
Un avertissement : il ne s’agit pas de défendre un modèle ou d’en condamner un autre. Chacun est libre d’avoir son opinion sur le sujet; mais mieux vaudrait se faire celle-ci en connaissance de cause, sans observer les choses au travers d’un prisme pour leur donner la forme qui conviendra à un scénario prédéterminé. Alors, vrai ou faux ?

Les clubs de Premier League ont battu le record absolu de dépenses sur une "fenêtre des transferts"

Vrai. Tout juste. Je m’explique. Les chiffres cités un peu partout (870 millions de livres, soit 1192 millions d'euros au cours actuel) sont ceux des dépenses en brut, lesquelles n’ont pas grand-chose à voir avec ce qui constitue un réel investissement. Si X paie 100, mais perçoit 80 en retour, il n’a investi que 20, moins que Y qui aura déboursé 30 mais n’aura pas encaissé un euro. Curieusement, pourtant, ce n’est pas ainsi que l’on "analyse" le marché du football; pour la plupart des médias et des supporters, semble-t-il, plus les sommes sont faramineuses, mieux cela vaut. On peut alors s’étrangler d’indignation en toute liberté.
Alors, en net, c’est-à-dire en faisant déduction de l’argent que les vingt clubs de Premier League ont reçu de la vente de leurs joueurs, la plupart à d’autres clubs anglais, combien ont-ils vraiment dépensé exactement ? 398 millions de livres, soit… 1 million de plus que durant la période équivalente en 2013, et 24 millions de livres de plus qu’en 2014. Record battu, oui, mais d’un rien. On ne peut donc pas parler d’une "explosion" soudaine; il s’agit plutôt de la confirmation d’une tendance qui n’est pas près de s’inverser.
Et c’est à dessein que je donne ces sommes en livres sterling. C’est que, début septembre 2013, 1£ s’échangeait contre 1,18€; début septembre 2014, contre 1,26€; et début septembre 2015, 1,37€. Ce n’est pas parce que l’euro s’est déprécié que les clubs anglais, qui font leurs comptes en sterling, ont dépensé beaucoup plus que les années précédentes. Ce qui est exact, par contre, est qu’ils ont dépensé davantage - toujours en net, entendons-nous bien - que les quatre autres grands championnats européens qui, pris ensemble, n’ont investi que 97 millions d'euros. La Bundesliga et la France affichent même un solde négatif, ceci étant la conséquence de cela: les clubs allemands ont reçu 220 millions d'euros de leurs rivaux anglais, tandis que les clubs français devaient se "contenter" d’une rentrée de 200 millions d'euros. Payez les premiers, messieurs les Anglais.

De telles dépenses mènent tout droit à la ruine

Faux. Le championnat qui se bagarrait autrefois avec la Liga pour le titre de "plus endetté du monde" a remis de l’ordre dans sa maison. Trois de ses pensionnaires actuels ne doivent en fait plus un sou à qui que ce soit : West Brom, Tottenham et Swansea (modèle en matière de gestion comme en d’autres domaines) et 41% de la dette globale est imputable au seul Chelsea, lequel doit plus d’un milliard d’euros à… Roman Abramovitch. On remarquera également que l’endettement total des clubs anglais (3,15 milliards d’euros) est inférieur de près d’un milliard et demi à leur chiffre d’affaires. N’importe quel économiste vous dira qu’il s’agit d’un niveau d’endettement des plus supportables, dont beaucoup d’entreprises d’autres secteurs pourraient être jalouses.
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Kevin De Bruyne (à droite), a inscrit le deuxième but de la Belgique face à la Bosnie.

Crédit: AFP

Dix-neuf des vingt clubs de PL ont d’autre part enregistré des bénéfices d’exploitation lors de la dernière saison pour laquelle on possède des comptes détaillés, à savoir 2013-14, et leur bénéfice cumulé a atteint 861 millions d'euros durant cet exercice budgétaire – davantage que ce modèle de vertu qu’est la Bundesliga. La situation du Championship est par contre beaucoup plus inquiétante et peut être en grande partie imputé à l’effet d’aspiration produit par la PL, laquelle a promis d’augmenter considérablement ses "paiements de solidarité" au reste de la League à partir de 2016-17. Cela suffira-t-il à rétablir l’équilibre financier dans les divisions inférieures? On peut en douter.

Les clubs anglais bafouent le fair-play financier… et mériteraient d’être punis

Faux. Peut-être mériteraient-ils qu’on les fasse se calmer un brin, mais on ne le fera point, car ils respectent les règles du FPF. Mais comment un Manchester City, puni par l’UEFA l’an dernier, peut-il alors se permettre de dépenser 135 millions d'euros - net - en l’espace d’un seul été ? Tout d’abord parce que ses revenus sont en hausse: le club devrait prochainement annoncer un retour à l’équilibre financier sur l’exercice 2014/2015; ensuite, parce que l’on comptabilise différemment achats et ventes de joueurs. Le prix d’achat est étalé sur la durée du contrat, le joueur étant un actif qu’il faut amortir. Raheem Sterling a bien coûté 67 millions d'euros (bonus compris) aux Citizens. Mais comme il s’est lié avec eux pour cinq ans, on doit donc diviser cette somme par cinq. Ce seront donc 13,4 millions qui apparaitront dans les comptes de City, pas 63. Les ventes, elles, sont inclues dans leur intégralité, ce qui signifie que la cession de Mateja Nastasic à Schalke pour 12,3 millions couvre quasiment l’intégralité de l’acquisition de Sterling, à tout le moins pour cette saison. L’UEFA n’a ni le droit, ni le désir, d’empêcher quelque club que ce soit de dépenser l’argent qu’il a.

Le football anglais achète beaucoup trop cher et déstabilise le marché pour tous les autres championnats

Vrai. Mais à nuancer. Ce qui vaut pour un club ne vaut pas nécessairement pour un autre: chaque transaction est conclue dans un contexte différent. Il est certain que Manchester United prend des décisions parfois étonnantes, pour dire le moins; ce n’est pas parce qu’on a les moyens de mettre un jeton de 50 ou 80 millions d'euros sur la case Anthony Martial qu’on est obligé de le faire. Le directeur exécutif des Red Devils Ed Woodward, l’homme qui délie les cordons de leur bourse, est en passe de se bâtir une réputation de dépensier qui ne servira pas forcément son club dans les années à venir. Cela dit, MU a-t-il vraiment payé Matteo Darmian plus cher qu’il ne vaut ? Dans l’environnement actuel, 17,5 millions d'euros, ça ne parait pas une somme excessive pour l’un des meilleurs défenseurs latéraux européens.
Cas de figure identique à Newcastle : 17 millions d'euros pour Florian Thauvin, c’est too much, et c’est même étrange qu’un pingre comme Mike Ashley se laisse aller à ce point. 9,6 millions d'euros pour Chancel Mbemba, par contre, pourrait bien représenter une très belle affaire à terme, comme le confirmeront tous ceux qui ont suivi Anderlecht et la sélection congolaise depuis trois ans. Le problème n’est pas tant le montant des transferts que l’inflation salariale qui accompagne cette course aux armements qui n’en finit jamais. Là est le vrai danger, et pour des clubs moins solides, et pour le reste du football européen, mis hors-jeu par les tarifs de mise en Angleterre, où le salaire moyen, j’ai bien dit moyen, d’un professionnel est de 3,1 millions annuels - 60% de plus qu’en Bundesliga. Là est la vraie folie du football anglais et son arme majeure dans la chasse aux talents.
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