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Les fans des Reds ont dit non à la hausse des prix à Anfield : l'Angleterre peut les en remercier

Philippe Auclair

Mis à jour 13/02/2016 à 18:40 GMT+1

En refusant les augmentations des places souhaitées par les propriétaires de Liverpool, les fans des Reds ont rendu service à tout le football anglais. Parce que la direction du club a cédé et que ce geste a ouvert le débat outre-Manche. Le plafonnement du prix des billets sera peut-être une réalité dans un avenir plus ou moins proche.

Les supporters de Liverpool à Anfield

Crédit: Panoramic

Liverpool n’a pas remporté de plus grande victoire depuis Istanbul, 2005. Mais l’effet de celle-ci sera peut-être encore plus durable que le souvenir de la parade décisive de Jerzy Dudek dans l’épreuve des tirs au but face à Milan. Vous direz que j’exagère. Si c’est le cas, c’est un peu à dessein, je l’avoue. Comme j’avoue ma partialité en la matière, si "être partial", c’est tenir à une certaine idée du football, et de la justice. Une idée qui s’est incarnée lorsque plus de dix mille spectateurs choisirent de quitter leur place à Anfield à la 77e minute du match des Reds contre Sunderland, le week-end dernier.
L’équipe de Klopp - absent pour cause d’appendicite - menait 2-0 lorsque le signal de quitter les sièges fut donné. Le football est un sport collectif. Supporter "son" club l’est aussi, comme les fans de Liverpool nous l’ont rappelé. Chapeau à eux, une fois de plus. Liverpool, déboussolé, dut concéder le match nul. Peut-être bien que les supporters étaient un peu responsables des deux points perdus… et alors ? Etaient-ils responsables de ce que FSG, le propriétaire américain du club, avait jugé bon de fixer le prix de certaines places dans la nouvelle tribune d’Anfield à 77£, soit 99€, 24€ de plus ce que le billet le plus cher - hormis dans les loges VIP - coûtait jusque-là ? Bien sûr que non.

Une question de principes

Notez que l’immense majorité des fans qui ont quitté Anfield ce jour-là paient et paieront beaucoup moins que cela; il s’agissait d’abord d’abonnés, de fidèles, de gardiens du temple, de ceux "sans lesquels le football n’est rien", comme l’a dit le grand Jock Stein. S’ils ont agi, c’était pour une question de principe; ou de principes, au pluriel, car ceux-ci ne se limitent pas à un coup d’oeil dans leur porte-monnaie. Quels sont-ils ?
D’abord, celui de la solidarité. Ce n’est pas parce que eux continueront de payer le même prix, voire moins, puisque le club a décidé de libérer plusieurs milliers de places à des tarifs des plus généreux à partir de la saison prochaine (*), que les "rebelles" se sont dégonflés. Ils ont pensé aux autres, à la prochaine génération de fans, et même aux visiteurs occasionnels qui viendront humer l’air de leur mythique arène. Ce refus n’en est pas un. C’est même l’inverse. C’était une affirmation, une proclamation de ce que signifie Liverpool pour ses fans, sa ville, l’Angleterre, et au-delà. On pourrait même arguer que ces "rebelles" ont renforcé la "marque" Liverpool en se comportant de la sorte.
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Les fans en colère

Crédit: Eurosport

Ensuite, celui de la propriété, quand il s’agit de football en Angleterre. Un club n’appartient pas à son "propriétaire" ici. Celui-ci est un gardien, rien d’autre, et peu importe ce qu’il en pense lui-même, comme Stan Kroenke s’en rendra compte un jour. Certains "propriétaires" l’oublieront, et feront couler le trésor qu’on leur a confié. Les Gaydamak à Portsmouth. Hicks et Gillett à Liverpool, justement, avaient eu chaud… Mais, quand bien même l’entreprise s’effondrerait, le club renaîtrait. Aujourd’hui, près de soixante clubs anglais, pros ou semi-pro, sont contrôlés par leurs fans, lesquels ont le plus souvent récupéré leur bien après qu’il avait été mis à sac par un "investisseur"; les agonisants sont revenus à la vie et se portent mieux que jamais.
De la même façon que tout fan anglais a aujourd’hui deux clubs, le sien et Leicester City, tout fan, même s’il est fidèle à Manchester United, s’est reconnu en son alter ego d’Anfield, lorsque celui-ci a pris le chemin de la sortie.
Et le plus beau est qu’il a gagné. Les dirigeants de Liverpool ont rebroussé chemin. Oubliés, les billets à 77£.

Bravo à Henry et ses collaborateurs

Ce faisant, ces dirigeants ont dit "goodbye" à 4,2m£ de revenus potentiels, soit 5,4m€. Par saison. Ce faisant, ils ont aussi regagné l’estime et le respect de leurs supporters, ainsi que des fans de bien d’autres clubs anglais. La lettre ouverte publiée sur le site du club, mercredi soir, signée du big boss de FSG John W. Henry, contresignée de ses alliés les plus proches, Tom Werner et Mike Gordon, n’était pas seulement remarquable par le fond - vous, les fans, qui détenez zéro action, avez pourtant eu gain de cause - que par la forme.
"Ça a été une semaine tumultueuse, lisait-on. De la part de tous au Fenway Sports Group et à Liverpool, nous aimerions présenter nos excuses pour la détresse causée par notre projet de tarification pour la saison 2016-17. Tous les trois, nous avons été particulièrement troublés par la perception que nous nous fichions des supporters […] et que nous essayions de profiter personnellement au détriment du club. […] Le message a été reçu".
Qualifiez-moi de naïf, de bisounours, de tout ce que vous voudrez; mais quand j’ai lu ce communiqué, j’ai adressé un salut muet à Henry et à ses collaborateurs. Peut-être n’agissent-ils que par intérêt - mieux vaut ne pas se mettre les supporters des Reds à dos ! Mais peut-être, et c’est que je veux croire, qu’ils ont agi ainsi parce qu’ils les comprennent. Qu’ils comprennent que cet attachement viscéral, inconditionnel, à Liverpool, souvent noué dans la douleur, est ce qui fait de ce club un club à part, aimé dans le monde entier. Comme tout club anglais est un club à part, avec son histoire, ses tragédies, ses flirts avec la gloire, ancré dans une communauté qui, souvent, ne survit que grâce au ballon, à un écusson, des couleurs.
La réaction de l’Angleterre du football a été extraordinaire. Partout, des voix se sont élevées pour saluer et soutenir ces "rebelles" qui n’avaient que le bien de leur club pour motivation. La campagne de la FSF, la plus grande organisation de supporters de football de la planète (650 000 membres ! - dont je suis), pour que les fans en déplacement ne paient pas plus de 20£ (25,7€) pour leur place attire de nouveaux partisans chaque jour. La question a été posée à la Chambre des Communes, lors du traditionnel Prime Minister’s Question Time, et la réponse de Cameron fut des plus encourageantes. "Il y a un problème", dit Cameron. "Certaines équipes augmentent leurs prix très rapidement chaque année, bien que la plus grosse partie de l’argent vienne des sponsors, des équipementiers et d’autres sources". La télévision, au premier lieu, qui fera affluer 10,3 milliards d’euros dans les caisses des vingt clubs de la Premier League entre 2016 et 2019.
Mon propriétaire me tuera pour ça, mais on devrait faire payer 10£ pour les matches à l’extérieur
Et là est tracée la ligne de démarcation. La Premier League elle-même - par quoi j’entends son administration - encourage ses membres à répercuter cette explosion des revenus de telle façon que les supporters en profitent, eux aussi. Et, croyez-le ou pas, la plupart des clubs de l’élite sont en faveur d’une redistribution - modeste - de l’incroyable manne financière dont ils vont bénéficier. Un vote secret s’est tenu il y a un peu plus d’une semaine, qui vit, dit-on, treize des vingt pensionnaires de l’élite se prononcer en faveur de l’établissement d’un prix maximum (fixé à 30£, soit un peu moins de 39€) pour les billets des supporters en déplacement.
Un pas en avant, peut-être trop timide, mais un pas en avant malgré tout. Tony Pulis, le manager de West Brom, a déclaré: "mon propriétaire me tuera pour ça, mais on devrait faire payer 10£ pour les matches à l’extérieur". Quique Flores (Watford): "j’aimerais que les familles viennent pour rien, ou pour pas cher". Steve McClaren (Newcastle): "les tickets doivent rester abordables, pour que les stades soient pleins". West Ham a fait savoir que le prix de l’abonnement serait diminué l’an prochain, lorsque les Hammers éliront domicile au Stade Olympique de Stratford. Amen.
Seulement, les statuts de la Premier League font que toute décision doit avoir le soutien d’au moins deux tiers de ses actionnaires pour être adoptée. Soit quatorze voix sur vingt. Il en a donc manqué une seule. Et parmi les sept réfractaires figurait, selon les informations que j’ai reçues, Arsenal, qui ne se couvre décidément pas de gloire depuis le début de 2016, sur le terrain ou dans les salons où l’on cause et décide de la meilleure façon de traire les supporters. Ce même Arsenal qui avait décidé d’appliquer une surcharge de 20€ pour la venue de Barcelone à l’Emirates, comme ça, parce que c’était le Barça, quand bien même les abonnés avaient déjà payé pour assister à ce match.
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Arsène Wenger donne ses consignes devant Manuel Pellegrini

Crédit: Eurosport

La réaction de ces abonnés ne se fit pas attendre, et fut si vive que le directoire décida de mettre son projet dans la poubelle dont il n’aurait jamais dû sortir. Good. Le club annonça ensuite que le prix des abonnements serait "gelé" pour la saison 2016/2017. Good. On aurait pu se passer de quelques réflexions de son entraîneur, cela dit. Comme celle-ci: "la pression pour dépenser l’argent [en indemnités de transfert et salaires] sera plus forte et on ne peut pas nécessairement distribuer l’argent à d’autres gens”. "D’autres gens"… Est-ce ainsi qu’on parle des supporters sans lesquels l’Emirates serait une coquille vide ?
Mais les "autres gens", cette fois-ci, ont gagné. La Premier League se réunira le mois prochain pour discuter à nouveau du plafonnement du prix des billets, et les premiers signes sont encourageants. Le player power, merci bien. Le fan power? Lui seul peut sauvegarder, sauver notre football.
(*) Mille tickets gratuits par match pour les enfants, tickets à partir de 9£ (11,50€) pour les adultes.
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