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Carragher-Neville, le rendez-vous (brisé) du lundi soir

Bruno Constant

Mis à jour 02/04/2018 à 22:10 GMT+2

L’ancien joueur de Liverpool et celui de Manchester United, autrefois ennemis sur le terrain, formaient un duo de choc à la télévision salué par la fraîcheur et la pertinence de ses analyses. Jusqu’à la suspension de Carragher par Sky…

Jamie Carragher et Gary Neville

Crédit: Getty Images

Les fidèles du "MNF" pleurent son absence. Filmé en train de cracher sur la voiture d’un fan de Manchester United après la défaite de Liverpool à Old Trafford le 10 mars dernier, Jamie Carragher a été suspendu par Sky jusqu’à la fin de la saison et les téléspectateurs privés de la moitié du duo qui faisait le succès du show du lundi soir. Il y a des choses à ne pas faire, je vous l’accorde, mais n’attendez pas de moi que je plaigne le pauvre pseudo "supporter" qui a obtenu ce qu’il avait cherché en provoquant un ancien joueur, respectable, qu’il a filmé, téléphone à la main, avant de revendre les images au Daily Mirror. Il n’y a pas plus de degré d’exemplarité concernant un ancien joueur pro qu’un père filmant au volant avec sa fille à côté de lui. Pour les autres, ceux qui aiment le football, Gary Neville et Jamie Carragher formaient un tandem brillant dans l’émission phare de la chaîne anglaise chaque lundi ou presque depuis 2013.
On connaissait Dupond et Dupont, Tic et Tac, Olive et Tom. Désormais, il y a "Jamie & Gary". Le premier, Carragher, a porté le maillot de Liverpool pendant dix-sept ans tout en supportant Everton. Le second, Neville, celui de Manchester United pendant dix-neuf saisons tout en détestant le voisin, Liverpool. Il arrivait au premier de s’approcher de son banc pour connaître le résultat de… Everton. Le second s’est, lui, rendu célèbre en embrassant l’écusson du maillot des Red Devils sous le nez des fans de Liverpool à Anfield. Leur duo était le rendez-vous très attendu du lundi soir dans The Monday Night Football ("MNF", le football du lundi soir), titre repris du célèbre show de football américain aux Etats-Unis.
Un présentateur, deux anciens joueurs, une tablette géante pour analyser la rencontre du soir, le jeu d’une équipe, certaines phases en particulier ou revenir sur des moments importants du week-end. Et surtout avec le souci d’une analyse précise, détaillée, étayée, argumentée, débattue avec, toujours à l’esprit, le jeu et uniquement le jeu. Outre-Manche, les consultants ne se contentent pas de dire ce qu’ils pensent comme trop souvent en France mais appuient leurs analyses sur un travail de recherche minutieux, des images, des montages de séquences à vitesse réelle ou ralentie. C’est quelque chose qui fait partie de la culture anglaise des programmes de football depuis le célèbre Match Of The Day, émission historique de la BBC qui propose le résumé des rencontres les samedis et dimanches soirs, dont le présentateur n’est autre qu’un ancien international anglais, ex attaquant de Tottenham, Leicester et Barcelone (Gary Lineker) entouré de deux anciens pros (Alan Shearer, Ian Wright, Jermain Jenas, Danny Murphy, Ruud Gullit ou encore Martin Keown).
Gary Neville présente une séquence tactique
Personne ne grandit en rêvant de devenir Gary Neville !
Après plusieurs formats et différents locataires (le duo formé par le journaliste Richard Keys et l’ancien joueur Andy Gray a connu un certain succès jusqu’à leur départ en 2011), le programme du lundi soir a réellement pris son envol après l’arrivée de Gary Neville en 2011 au côté du présentateur Ed Chamberlin. Acharné de travail et passionné, Neville impose rapidement son style : précis, perspicace, profond dans l’analyse au point d’être rapidement reconnu comme le meilleur consultant en Angleterre. Même certains supporters de Liverpool, Manchester City et Leeds – les pires ennemis de l’ancien Red Devil – ont fini par admettre la qualité et l’objectivité de ses analyses.
Lorsque Carragher le rejoint sur Sky en 2013, beaucoup se demandent si le Liverpudlian va voler la vedette au Mancunian, si leur rivalité d’antan, la plus grande qui puisse exister en Angleterre, surnommée "the Derby of England", ne va pas dévoiler une certaine partialité ou une trop grande loyauté envers leur club respectif. Au lieu de ça, leur association a donné une nouvelle dimension au programme et d’une manière générale à l’analyse du jeu à la télévision tout en apportant une touche d’humour, piquante et ironique, relative à leur antagonisme mais également à la culture britannique.
Dès l’une de leurs premières émissions, le ton est lancé. Alors qu’ils débattent sur le thème des "fullbacks" (défenseurs latéraux), Carragher, qui a débuté au poste de latéral avant de devenir défenseur central, lance : "Il n’y a que deux choses pour un défenseur latéral : soit vous êtes un ailier raté, soit un défenseur central raté…" Avant de porter son regard sur Neville, décontenancé : "Un raté ! Merci pour ça !". Et Carragher d’enfoncer son propos : "Aucun gamin ne rêve de devenir latéral, personne ne grandit en rêvant de devenir Gary Neville !". Hilarité sur le plateau. Regarder Carragher et Neville c’est comme être devant un bon film britannique à l’humour parfois corrosif. Des dialogues qui sonnent vrais, des accents du nord de l’Angleterre aiguisés comme un rasoir et des répliques qui claquent façon This is England. En mars 2014, lorsqu’il est demandé à l’ancien joueur de Manchester United de dire vers quel club, Liverpool ou Manchester City, son cœur balance pour le titre, ce dernier a du mal à contenir à sa gêne : "C’est comme choisir entre deux mecs pour vous voler votre femme !"

Un présentateur qui laisse la lumière aux ex joueurs

Au delà de l’association parfaite de son duo, un Scouser et un Mancunian que tout oppose par définition, l’arrivée du "MNF" a bouleversé le paysage télévisuel et porté le degré d’analyse encore plus haut. Le secret ? L’immense travail effectué en amont. Le Monday Night Football est un show marathon de quatre heures en direct dont la préparation commence dès 9 heures du matin. L’ordre des clips est planifié, leur temps minutieusement calculé pour donner du rythme, les séquences sur la tablette répétées encore et encore pour atteindre le degré de perfection exigé par Neville, quelque part leader du programme, et peut changer à une demi-heure du direct. Une trentaine de personnes épaulent le trio.
Car on parle bien d’un trio. Le succès tient aussi à la sobriété et le professionnalisme du présentateur qui les accompagne – Ed Chamberlin et, depuis 2016, Dave Jones – et sait s’effacer pour laisser la lumière aux deux anciens joueurs. L’un est carré, exigeant et même rigide parfois, l’autre plus relâché et jovial mais tout aussi travailleur. "Il n’y a aucune autre chose que nous faisons qui nous teste autant que ce show, techniquement et en terme de pression, assure Neville. La première heure est sous pression, ensuite vous réagissez au direct et à ce qui s’est passé lors de la rencontre".
Leur outil favori est ce qu’on appelle la boot-room, une caméra fixe qui filme le terrain dans son intégralité car elle leur permet d’observer les vingt-deux acteurs à la fois. "Les téléspectateurs veulent suivre le ballon. Nous regardons le match différemment", précise Carragher. En arrivant une journée après les autres, le "MNF" doit être original et innovant, aller un peu plus en profondeur. Chaque observation de l’un ou l’autre doit être appuyée par une statistique ou une image qu’ils décortique sur la tablette géante dont ils ont une réplique à la maison pour s’entraîner. "Nous essayons d’avoir un thème à chaque émission, poursuit ce dernier. Que fait-on cette semaine ? Défense à trois. La semaine prochaine ? Qui sait car nous ne savons pas ce qui ressortira du week-end. On discute également de ce qu’on a vu dans les autres shows (Match of The Day, Bt Sport…) pour ne pas les copier. Vous devez faire quelque chose de différent". Dans le débat qu’ils s’imposent, Carragher et Neville n’hésitent pas à s’interpeller. Exemple en 2014 lorsque Neville peste contre le manque de défenseurs centraux gauchers décents sur le marché des transferts :
- Neville : Nommes-en deux ou trois que MU pourrait essayer d’avoir…
- Carragher : Hmm…
- Neville : Ok, nommes-en un.
- Carragher : Clint Hill ?". Eclats de rire général en plateau.
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Le plateau de Sky Sports

Crédit: Eurosport

Invités au "MNF" Klopp fait un tabac, Rooney crève l’écran

La force du programme est également d’ouvrir ses portes à des joueurs ou entraîneurs encore en activité dont le regard est forcément différent mais pas forcément plus mesuré. Invité dans l’émission en septembre 2016, Jürgen Klopp a fait un tabac par sa fraîcheur, sa vision du football et l’honnêteté de l’analyse de son propre Liverpool. Le technicien allemand aborde tous les sujets, du secret de son approche avec ce pressing haut jusqu’à la fragilité de sa défense sur coup de pied arrêté. "Je pourrais écouter Klopp et Carragher parler tactique pendant des heures", peut-on lire sur Twitter.
En février dernier, Wayne Rooney, pourtant si rare dans les médias, a crevé l’écran par la franchise de ses analyses et fera, à n’en pas douter, un consultant hors pair après sa retraite des terrains. Dès sa première apparition, Frank Lampard a brillé par l’intelligence et la pertinence de ses propos à l’image du joueur qu’il était. Les débuts furent, en revanche, plus compliqués pour Thierry Henry.
Recruté à prix d’or (4 M£ par saison !) en décembre 2014, le Français est devenu, au bout de quelques mois, un pundit impopulaire pour la tiédeur de ses propos avant de trouver son propre style. Après avoir lancé le célèbre "Arsenal ne sera jamais champion avec Olivier Giroud", l’ancien Gunner s’est révélé dans l’analyse microscopique et technique pure des joueurs et notamment les gestes d’attaquants (je vous conseille la façon dont il décortique le but de Morata à Stoke avec Chelsea ou encore le une-deux entre Salah et Firminho à Southampton). Néanmoins, le tandem "Jamie & Gary" reste roi. L’un comme l’autre n’étaient pas ce qu’on pourrait appeler de grands footballeurs mais…
La suite de ce dossier est à retrouver sur Eurosport.fr la semaine prochaine.
Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.Pour approfondir le sujet, retrouvez mon Podcast 100% foot anglais sur l’actualité de la Premier League et du football britannique.
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