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Manchester Utd - City : Le "Milkgate" mancunien, un épisode qui en dit long

Bruno Constant

Mis à jour 14/12/2017 à 12:26 GMT+1

PREMIER LEAGUE - La bagarre générale qui a éclaté dans les couloirs d’Old Trafford et conclu le derby de Manchester, dimanche, a livré de nombreux enseignements sur les différents acteurs de ce psychodrame. Et Jose Mourinho n’en est pas sorti grandi.

Manchester United's Spanish midfielder Ander Herrera (C) remonstrates with Manchester City's Argentinian defender Nicolas Otamendi (2R) during the English Premier League football match between Manchester United and Manchester City at Old Trafford in Manch

Crédit: Getty Images

Lundi, un confrère m’a demandé si j’avais vu un grand Manchester derby, la veille. C’est une bonne question. Qu’appelle-t-on un grand match ? Doit-il se résumer seulement au terrain ? D’un point de vue footballistique, la rencontre entre United et City (1-2), dimanche à Old Trafford, n’a pas atteint des sommets et a vu trois buts suite à de grosses erreurs défensives : le marquage de David Silva sur le premier, l’erreur d’appréciation d’Otamendi qui trompa également son coéquipier Delph sur le deuxième et enfin le dégagement manqué de Lukaku sur le troisième. En revanche, tout ce qui a entouré ce match a fait de ce rendez-vous un grand derby.
Avant, dans ce qu’on appelle le "build up" - ce que Sky Sports sait très bien faire, mieux que personne -, pendant, avec l’accolade pleine d’hypocrisie entre les deux managers et le duel qui a suivi dans leur zone technique respective, et surtout après. Les conséquences, d’abord, puisqu’on se dira sans doute fin mai que LE tournant du championnat a eu lieu le 10 décembre 2017, date à laquelle Manchester City a porté son avance à onze points sur son principal concurrent. Oui, je sais, le titre n’est pas joué, rien ne l’est jamais vraiment dans ce championnat un peu fou depuis que… City a remonté un retard de huit points à six journées de la fin pour doubler… United sur le fil, grâce, notamment, à une victoire dans un derby joué au mois d’avril. Au cas où, on a tous noté sur notre agenda la date du 7 avril prochain.

Une reconstitution digne de l’affaire JFK !

Dans cet après-match, il y a eu aussi les déclarations pleines de mauvaise foi de Jose Mourinho : "City a eu de la chance…", "il y avait penalty sur Herrera…", etc.
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Mourinho : "Les buts de City sont scandaleux"

Et puis, il y a eu ce que les médias britanniques ont appelé le "milkgate", "l’affaire du lait", révélée par Daniel Taylor du Guardian et qui a animé le football anglais ces deux derniers jours. Je vous renvoie vers l’édition du Daily Mail qui est allé jusqu’à reconstituer la scène avec chronologie et illustrations de l’itinéraire de Mourinho et des différents acteurs dans les couloirs d’Old Trafford. C’est digne de l’affaire JFK ! Il ne manquait que l’angle de la trajectoire du carton de lait qui a touché le Portugais. Et, à ceux n’ayant pas saisi la présence de lait dans un vestiaire de foot, il faut savoir que les Anglais aiment le thé, avec du lait.
Ce n’est pas la première fois qu’un manager de Manchester United reçoit un produit comestible en pleine figure et on regrette parfois qu’il n’y ait pas de caméra à cet endroit, même si cette absence entretient le mystère, l’imagination et donc l’affaire en question. Sans ça, ou plutôt avec cette camera, on n’aurait pas attendu plusieurs années pour avoir la confirmation que c’était Cesc Fabregas l’auteur du lancer de pizza au visage de Sir Alex Ferguson en 2004, même si on savait déjà un peu. Néanmoins, aurait-on aimé voir un grand monsieur comme Sir Alex entarté avec du coulis de tomate et des pepperoni ? L’imaginer est assez drôle, le voir, non, pas vraiment. C’est un peu comme ces photos d’Arsène Wenger gisant sur le sol glissant de la station de train de Lime Street à Liverpool, valise à la main. L’idée de voir un homme de plus de 64 ans se faire mal n’a rien d’amusant.

Treize ans après la "bataille du buffet"

Ce "milkgate", treize ans après la "Battle of the buffet", en dit long sur notre époque et l’évolution du championnat d’Angleterre, sur Mourinho et Guardiola, sur Manchester United et City. D’abord, en 2004, les Sky Blues n’existaient pas ou si peu aux yeux des Red Devils pour déboucher sur ce qui a été décrit comme une "bagarre de rugby" dimanche, avec près de trente personnes impliquées ! Aujourd’hui, les deux clubs possèdent deux des plus grand managers au monde, se battent pour les mêmes trophées et ont rassemblé près d’un milliard de téléspectateurs aux quatre coins du monde.
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Jose Mourinho, Pep Guardiola

Crédit: Getty Images

Elle en dit long aussi sur le caractère de Mourinho, dont l’ego semble plus gros que la mémoire. Il est amusant de noter que le Special One a reproché à City de célébrer trop énergiquement une victoire qui sonne un peu comme celle du titre puisqu’elle a renvoyé son principal concurrent à onze longueurs et de ne pas montrer de respect envers son adversaire. Le Portugais avait eu la même remarque au creux de l’oreille d’Antonio Conte lorsque sa formation s’était inclinée lourdement à Stamford Bridge (0-4) la saison passée. Mais, du respect, Mourinho en avait-il montré à l’égard de Wenger lors de la 1000e du Français sur le banc d’Arsenal en continuant à exhorter ses Blues à aller marquer le cinquième, le sixième but (6-0, en 2014) ? S’était-il retenu de courir le long de la ligne de touche lors de la qualification de son Porto à Old Trafford, en Ligue des Champions, en 2004 ?

Un contrefeu pour éviter de parler de sa faillite tactique ?

Comme l’a très justement fait remarquer l’ancien Gunner Ian Wright, Mourinho aurait pu tout aussi bien se servir de ces célébrations pour piquer l’orgueil de ses joueurs : "Ecoutez-les fêter cette victoire comme s’ils avaient gagné le titre en décembre ?" Non, Mourinho a préféré se rendre dans le vestiaire de City comme il irait se plaindre du bruit chez le voisin du dessus et jeter une étincelle avant que cela ne dégénère.
Qu’espérait-il, vraiment ? Qu’Ederson, le gardien des Citizens avec qui il s’est invectivé en portugais, lui dise "désolé, on va baisser la musique" ? C’est à se demander si Jose n’a pas orchestré tout ça pour allumer un contrefeu, une fois de plus, et ne pas avoir à s’expliquer sur sa faillite tactique, sur cette approche souvent négative et défensive qui déplaît de plus en plus au sein des supporters de United. On se dit que ce serait machiavélique et en même temps... Il a également accusé les joueurs de City de gagner du temps alors qu’il avait, deux ans plus tôt, insulté Eva Carneiro, médecin à Chelsea, pour être allée soigner trop vite Eden Hazard qui gagnait du temps, à terre. C’est amusant, non ?
Cette affaire en dit long aussi sur le caractère de certains joueurs prêts à aller au combat pour défendre leur club, leur entraîneur, leur honneur. Lorsqu’un membre du staff des Red Devils a annoncé au vestiaire que leur manager avait été frappé par une bouteille d’eau, les premiers à sortir pour défendre le "boss" étaient Valencia, le capitaine, Rojo, Carrick, Shaw, Rashford, Herrera et le jeune Tuanzebe. Côté City, il y avait Kompany, Otamendi, Fernandinho… Tous prêts à en découdre. Que se serait-il passé si cela était arrivé dans le tunnel de l’Etihad Stadium où les parois en verre permettent aux membres du Club Tunnel de tout voir ? Tottenham a projeté de faire de même dans son nouveau stade et Mauricio Pochettino a plaisanté en disant qu’il faudrait peut-être les peindre en noir. L’Argentin et ancien joueur du PSG s’est aussi souvenu de bagarres générales et "situations folles" lorsque, avec le PSG, il se déplaçait à Ajaccio et à Marseille, "lorsque Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur et grand supporter du club parisien, mettait à disposition sa police « secrète » pour protéger les joueurs du PSG".

Un complexe d’infériorité vis-à-vis de Guardiola

Cette histoire en dit long aussi sur le complexe d’infériorité de Mourinho vis à vis de Guardiola. Le même genre de scènes avaient émaillé leurs affrontements lorsque le premier était assis su le banc du Real Madrid et le second sur celui du Barça (entre 2010 et 2012). Dominé par le jeu et les idées du Catalan, le Portugais avait transformé les Merengue en une équipe violente, provocatrice et détestable, trahissant l’image même du club madrilène.
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Jose Mourinho

Crédit: Getty Images

Aujourd’hui, Mourinho et Guardiola sont dans la même ville, à la tête de deux clubs qui disposent de la même puissance financière, des mêmes ambitions. La comparaison est donc facile et, à ce jour, sans pitié pour le Portugais. En un an et demi, l’un à qui on a dit qu’il était impossible de jouer comme Barcelone en Premier League a fait des erreurs, beaucoup appris, s’est remis en question, a fait progresser ses joueurs (Sterling par exemple) et fait de City une force collective impressionnante. L’autre reproduit le même schéma, se repose sur les mêmes ficelles, suscite la même lassitude dans son propre camp sur la base d’un cycle qui dure rarement plus de deux ans et sans voir une progression durable et collective. Ça ne fait pas de Mourinho un mauvais entraîneur mais cela l’éloigne des gens qui l’ont aimé au début, un peu moins par la suite jusqu’au divorce.
Enfin, cette affaire dit beaucoup de choses des célébrations d’après-match, leur évolution, leurs jugements, leurs interdictions (ne plus retirer son maillot par exemple). Les années passent, les joueurs changent, les modes aussi. L’heure est au selfie systématique, au tweet, aux réseaux sociaux. En 2015, l’ancien Red Jamie Carragher avait taclé, avec la même rudesse qu’il en avait l’habitude sur le terrain, les joueurs d’Arsenal pour avoir pris une photo de groupe après leur succès à Manchester City. "Normalement, vous faites ça quand vous avez remporté une coupe…", avait-il lancé. Faut-il s’empêcher de célébrer les victoires par respect pour les perdants ? A partir de quel moment va-t-on trop loin ? Les joies et les peines font partie du sport, du football, de sa beauté, de sa cruauté. Les larmes de Séville 82, les sourires de Saint-Denis 98, les larmes de Boli en 1991, le sourire de Boli en 1993. C’est le football et c’est comme ça qu’on l’aime.
Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté. Pour approfondir le sujet, retrouvez mon Podcast 100% foot anglais sur l’actualité de la Premier League et du football britannique.
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