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Pep Guardiola à l'heure du "Fergie Time"

Bruno Constant

Mis à jour 10/12/2017 à 13:53 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Cette saison, le Manchester City de Pep Guardiola s’est fait une spécialité d’arracher des succès dans les toutes dernières minutes de ses rencontres, comme le Manchester United du temps d’Alex Ferguson. Simple coïncidence avant le derby de Manchester ?

Pep Guardiola and Sir Alex Ferguson (REUTERS)

Crédit: Eurosport

Un tableau d’affichage défavorable, un minuteur qui se rapproche inexorablement du fatidique nombre 90 synonyme de la fin du temps règlementaire, comme si les événements arrivant après résultaient de l’interdit. Un public qui s’impatiente, un entraineur qui regarde sa montre en faisant les cent pas dans sa zone technique, des dizaines de milliers de cœurs qui battent et d’yeux qui scrutent le quatrième arbitre pour connaître le nombre de minutes supplémentaires allouées pour renverser le cours de l’histoire. En NBA, on appelle ça le "money time", le temps qui peut rapporter gros. En football, le "temps additionnel". Et en Angleterre ? Ne cherchez pas, c’est le "Fergie Time". Vous avez sans doute entendu cette expression au moins une fois. Quatre ans et demi après la retraite d’Alex Ferguson, celle-ci a refait surface…
Dimanche dernier, face à West Ham (2-1), Manchester City a enchaîné une treizième victoire consécutive - un record en Premier League - remportée une nouvelle fois sur le fil, la quatrième de suite dans les derniers instants du match. A la 88e minute face au Feyenoord (1-0), à la 84e à Huddersfield (2-1), à la 96e contre Southampton (2-1), à la 83e face aux Hammers (2-1), donc. Une spécificité que les hommes de Pep Guardiola traîne depuis le début de saison puisqu’ils avaient déjà arraché, à dix contre onze, le nul face à Everton (1-1) à la 82e minute lors de la deuxième journée et la victoire à Bournemouth (2-1) dans le temps additionnel le week-end suivant.
Au total, les Citizens ont inscrit dix-neuf de leurs soixante-deux buts, toutes compétitions confondues, lors du dernier quart d’heure, soit près d’un tiers ! C’est beaucoup et cela a poussé certains médias britanniques à évoquer le "Pep Time" en référence au célèbre "Fergie Time" d’Alex Ferguson à Manchester United. Bon, ce n’est pas tout à fait la même chose, le second faisant référence à ces minutes ajoutées après la 90e et durant lesquelles les équipes de l’Ecossais parvenaient à renverser la rencontre.
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David Silva Manchester City

Crédit: Getty Images

Le premier "Fergie Time" ? Pour s'offrir le titre

Car, si la fierté d’Arsène Wenger était d’"offrir du spectacle au mec qui se lève le samedi matin et dépense 50 livres pour venir au stade", celle d’Alex Ferguson était de "les faire rentrer chez eux tout heureux". La nuance est subtile mais importante et symptomatique de la trace que laisseront ces deux grands managers : le spectacle pour l’un, les victoires pour l’autre. Et celles remportées sur le fil ont une saveur toute particulière.
"Si vous êtes dans le vestiaire après le match alors que nous avons marqué dans les dernières minutes, l'ambiance est électrique, c'est incroyable, raconta un jour Sir Alex. Les joueurs sont tous en train de sauter, de taper dans leurs mains, c'est un endroit fantastique. La chose la plus importante, c'est qu'un fan rentre chez lui pour raconter à sa femme et à ses enfants ce qu'il vient de se passer à Old Trafford dans les dernières minutes. C'est mon travail, de les faire rentrer chez eux tout heureux." Et l’Ecossais semblait avoir l’art pour étirer dans le temps les rencontres qui lui étaient défavorables et rendre l’impossible possible. Au point d’en avoir fait une marque de fabrique, une marque déposée, qui l’a suivi tout au long de sa carrière et effrayait ses adversaires, bien au delà des frontières britanniques : le "Fergie Time".
On a tous en mémoire les deux buts de Teddy Sheringham et Ole Gunnar Solskjaer qui ont renversé le Bayern Munich au Camp Nou en finale de la Ligue des champions 1999. Vous souvenez-vous des minutes ? 91e et 93e ! "Fergie Time" !
Néanmoins, il faut remonter six ans plus tôt pour trouver trace du premier effet Ferguson sur le temps. On dispute la 37e journée du championnat d’Angleterre qui, à l’époque, compte encore vingt-deux clubs. Après avoir longtemps couru derrière Aston Villa, Manchester United a l’occasion de virer en tête à cinq journées de la fin en cas de succès sur Sheffield Wednesday à Old Trafford et ainsi se dégager la route de son premier titre en 26 ans. Les Red Devils, menés, égalisent par Steve Bruce à la 86e minute. L’arbitre de la rencontre, John Hilditch, qui avait commencé le match comme assistant, indique sept minutes supplémentaires. Bruce, encore lui, attendra la sixième pour inscrire le but de la victoire et synonyme du premier titre de l’ère Ferguson, arrivé au club en 1986. "Fergie Time" !
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Solskjaer Manchester United Bayern 1999

Crédit: Imago

Mettre la pression sur les arbitres, cela fait partie du jeu
L’expression a, depuis, été employée par les médias, lors des commentaires en direct à la télévision, à la radio comme dans les articles de presse. Les supporters mancuniens ont même dédié une chanson : "We won the league on Fergie Time, we won the league on Fergie Time…"
"A chaque fois que United se voyait donner un peu de temps additionnel, ça faisait tilt dans la tête des gens qui se disaient : "Oh United bénéficie encore du 'Fergie Time'", raconte Duncan Alexander, responsable à Opta Sports, l’entreprise de statistiques sportives. Dès lors, il régnait une certaine idée que les adversaires de United étaient effrayés au moment d’entrer dans le temps additionnel. "Absolument, dit Ferguson. C’est pourquoi j’avais l’habitude de porter ma montre."
A chaque fois que son équipe était menée ou en difficulté, Sir Alex descendait quatre à quatre les quelques marches qui séparaient son banc surélevé de la pelouse d'Old Trafford, s’approchait du quatrième arbitre, remontait la manche de son blazer et, tout en mâchouillant son chewing-gum, tapotait sur le cadran de sa montre avec l’index pour lui faire comprendre le nombre de minutes qu’il restait à jouer. Une manière de mettre la pression, comme il l’a admis plus tard, pour obtenir davantage de temps. "Cela faisait partie du jeu, la pression que vous essayez de mettre sur les arbitres. Honnêtement, je ne savais pas combien de minutes devaient être jouées mais ça jouait dans l’esprit de l’adversaire et de l’arbitre. C’était juste un petit truc."
Un "petit truc" qui rendait fous les supporters des autres équipes - mais également les managers, à l’image de Mark Hughes lors du Manchester derby de 2009. Cela reste encore aujourd’hui l’un des plus mémorables "Fergie Time" de l’histoire qui a vu Manchester United battre les tout nouveaux "noisy neighbours" ("voisins bruyants") de City. Une rencontre au scénario incroyable (1-0, 1-1, 2-1, 2-2, 3-2, 3-3, 4-3) conclue par un but de Michael Owen tout au bout de la sixième minute d’un temps additionnel qui devait en compter quatre, au grand dam de Hughes, hors de lui.
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Michael Owen (Man United) face à Manchester City en 2009

Crédit: AFP

81 buts dans le temps additionnel entre 1992 et 2013

Mais Ferguson avait-il réellement une influence sur le nombre de minutes accordées par l’arbitre ? Le "Fergie Time" a-t-il vraiment existé ? Ou était-ce une légende urbaine comme celles qui servent à faire peur aux enfants ? Simple "mythe populaire d’équipes qui sont jalouses de Manchester United", selon Graham Poll, ancien arbitre international anglais. "Mais ce serait trop facile de dire que ce sont des conneries, ajoute-il. Lorsque vous analysez et réfléchissez à ce qui se passait psychologiquement, la pression qui était sur vous à Old Trafford, à l’Emirates ou à Stamford Bridge, il devait y avoir un effet."
Ce dit avantage a d’ailleurs fait l’objet d’une étude sérieuse de la part d’Opta Sports. Et, effectivement, il est arrivé sur une saison que MU bénéficie du plus grand nombre de minutes additionnelles, mais une saison seulement et pas beaucoup plus que les autres grandes équipes. Une autre analyse de Decision Technology montre que les équipes qui gagnent à domicile voient le temps additionnel réel réduit de 46 secondes en moyenne et, en revanche, augmenter sensiblement lorsque celles-ci sont menées à domicile.
Il y a une pression que vous ressentez et qui va dans le sens de l’équipe qui reçoit. C’est tangible, admet Poll. Vous êtes là sur le terrain et vous comptez : 'Il y a eu deux changements, les buts, c’est du temps de perdu, une blessure là… ça fait trois, peut-être quatre minutes et vous vous retrouvez à dire 'cinq' (au quatrième arbitre) ! Vous vous asseyez et vous vous demandez d’où viennent ces minutes supplémentaires. C’est inconscient."
Sous Ferguson, Manchester United a inscrit pas moins de 166 buts lors des dix dernières minutes du match et 81 dans le seul temps additionnel en Premier League (1992 à 2013) ! Soit 5% des buts célébrés par l’Ecossais. "Vous regardez tous ces buts dans les dernières minutes que United a marqué, cela n’a rien à voir avec moi, se défend Ferguson. C’était grâce à ces gars. Ces joueurs ne cédaient jamais. Ils cognaient, cognaient, cognaient dans la porte et elle finissait par sauter."

Le jour où City a mis fin au "Fergie Time"…

Un prolongement sur le terrain de la pression que leur manager pouvait insuffler sur le bord de la touche au point de transformer un gamin inconnu – Federico Macheda – en héros d’un jour – auteur du but victorieux face à Aston Villa (3-2, en 2009) à la 93e minute pour sa première apparition sous le maillot de MU – avant de retomber presque aussitôt dans l’anonymat.
Le jour où Alex Ferguson a convié David Moyes chez lui pour lui annoncer qu’il avait été choisi pour lui succéder, le manager d’Everton était en train d’acheter une… montre avec sa femme pour ses cinquante ans. Ça ne s’invente pas ! Ferguson avait de toute façon promis de lui en offrir une à son arrivée. Néanmoins, le "Moyesy Time" n’a jamais eu le même effet...
A l’occasion de son dernier match sur le banc d’Old Trafford, lorsque le quatrième arbitre a brandi son panneau pour annoncer huit minutes supplémentaires, Ferguson n’a pas pu s’en empêcher : "Eight minutes ? Think again !" ("Huit minutes ? Réfléchis encore !"). Le treizième titre de sa carrière était déjà en poche. De toute façon, le « Fergie Time » s’était déjà estompé un an plus tôt, le 13 mai 2012, lorsque son Manchester United avait concédé le titre à son rival, City, vainqueur des Queens Park Rangers (3-2) grâce à deux buts inscrits dans le fameux… temps additionnel. Et devinez ce que les supporters des Citizens ont chanté ce jour-là ? "We won the league on Fergie Time. We won the league on Fergie Time…"
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Sir Alex Ferguson points at his watch (PA Sport)

Crédit: Eurosport

Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et RFI en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté. Pour approfondir le sujet, écoutez mon Podcast 100% foot anglais sur l’actualité de la Premier League et du football britannique.
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