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Il n'y a pas que Manchester United : Manchester City aussi a des problèmes

Philippe Auclair

Mis à jour 06/12/2019 à 14:37 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Dans sa chronique hebdomadaire, notre correspondant Philippe Auclair se penche sur le cas de Manchester City avant le choc face au voisin Manchester United (samedi, 17h30). Si la cylindrée mancunienne n'a pas les mêmes problèmes que son concurrent, une impression tenace se dégage de ces Citizens : celle d'une perte relative de la magie qui a mené cette équipe au sommet.

Pep Guardiola

Crédit: Getty Images

Et si Man City, tout comme Man United, était aussi un club et une équipe "à problème"?
Il peut paraître paradoxal de parler de Manchester City et de Manchester United dans un même souffle quand c'est le mot "problème" qui sert de trait d'union. Il est exact qu'il ne s'applique pas de la même façon aux deux clubs, en ce que le champion de 2012-2013 aimerait beaucoup faire face aux questions que je pose aujourd'hui sur celui de 2018-2019, plutôt qu'à celles qui le hantent depuis que Sir Alex Ferguson - et David Gill, trop souvent oublié dans ce type de discussion - décidèrent que le temps de quitter Old Trafford était venu pour eux.
Néanmoins, et malgré des succès convaincants sur Tottenham et Burnley en milieu de semaine, United et City se présentent à ce 179ème derby de Manchester dans des positions plutôt éloignées des voeux qui devaient être les leurs il y a cinq mois de cela, le plus important étant que ces positions ne sont pas (seulement) le fait de concours de circonstances, mais participent de certains troubles systémiques propres aux deux entités. Que ceux de United crèvent les yeux - et les tympans, car Dieu sait qu'on a glosé sur la question - alors que ceux de City sont d'un registre beaucoup plus subtil, c'est une évidence. Mais cela ne signifie pas que les seconds ne soient pas aussi réels que les premiers.

Quand l'exceptionnel interdit le satisfaisant

La beauté des quatre buts passés à Burnley, et la profonde satisfaction que Pep Guardiola aura tiré de la performance de Gabriel Jesus en particulier, ne feront pas passer le sentiment que le Man City de cette saison a perdu... mais quoi ? On est dans le je-ne-sais-quoi, dans l'ineffable, dans le ressenti plus que dans l'analyse au sens que lui donnent aujourd'hui les statisticiens du ballon, qu'ils fussent professionnels ou amateurs. Je ne parle donc pas ici des flottements défensifs devenus trop fréquents depuis le retour de Vincent Kompany à Anderlecht et la blessure d'Aymeric Laporte, par exemple. Ils n'ont rien de rhédibitoire, même si on a le droit d'être surpris par la réticence de Guardiola et de ses dirigeants de se mettre en quête d'au moins un défenseur central, et si cette réticence, elle, a à voir avec le ressenti que j'évoquais plus haut.
La fait que, jusqu'au succès sur Burnley, il s'était agi du plus 'mauvais' début de saison (sur le plan comptable) d'une équipe dirigée par Pep depuis qu'il prit en charge le Barça pour la saison 2008-2009 est en soi anecdotique. Ce serait un peu comme si, en 2013, on avait trouvé à redire au fait que Lionel Messi avait marqué moins de buts que les 91 ajoutés à son bilan l'année précédente. Quand la barre est placée si haut, ce qui est tout compte fait satisfaisant devient médiocre au regard de l'exceptionnel. De plus, Liverpool fait une entame de saison exceptionnelle, tout comme Leicester.
Le plus souvent, les baisses de régime seront dues à des causes accidentelles, les blessures en particulier et, de ce côté, on ne peut pas dire que City ait été gâté, avec Mendy, Laporte, Sané, Zinchenko, Rodri, Stones, Laporte et maintenant Agüero mis sur la touche pour des périodes de durée diverse, mais souvent significative depuis le début de la saison. Mais ce n'est pas de ces accidents de parcours, voire même d'une période de 'méforme' que j'entends parler. Ces creux, dans un championnat aussi exigeant que la Premier League, chaque équipe en connait au moins une chaque année - City l'an dernier par exemple, qui ne prit que trois points sur douze du 8 au 26 décembre. Et finit champion.
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Sergio Aguero et Pep Guardiola

Crédit: Getty Images

Alors, de quoi s'agit-il ? Permettez-moi de faire un parallèle avec, eh oui, José Mourinho. Tout le monde s'accorde sur le fait qu'un triennat est la durée naturelle de ses passages à la tête d'un club, la troisième année étant le plus souvent déjà celle de trop. Bela Guttmann, un autre grand itinérant, et un autre grand tout court, avait déjà affirmé que tout bail de plus de trois ans pour un entraîneur était excessif.
Ces entraîneurs capables de s'inscrire dans la durée dans le football contemporain sont d'ailleurs rarissimes : Jürgen Klopp est le seul qui me vienne à l'esprit depuis les retraites de Ferguson et Wenger ; Pochettino n'y parvint pas tout à fait. Le succès peut user tout aussi sûrement que l'échec. Le cas de Guardiola est tout sauf une réfutation de ce précepte. Il quitta le Bayern au bout de trois saisons, quand il était acquis pour tous que, malgré les titres remportés avec brio, la route s'arrêtait là. Sa quatrième saison avec Barcelone fut - mutatis mutandi - un échec : pas de titre de champion en Espagne, pas de Ligue des Champions, alors qu'il pouvait encore compter sur Xavi, Iniesta et les autres, dont l'Argentin que vous savez (71 buts pour son club cette saison-là).
On avait alors eu le sentiment (Jonathan Wilson en parle admirablement dans sa Pyramide Inversée) que Guardiola, dans son exigence de la perfection, en était parvenu à rêver d'une sorte de méta-football détaché de ces illusions que sont victoire et défaite. Le jeu de Barcelone avait atteint un stade de raffinement tel qu'il en était devenu une abstraction, une victime de "L'Art pour l'art", en quelque sorte, répétait des schémas de transmission du ballon impensables pour d'autres, mais trop abscons, et finalement stériles.
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Pep Guardiola

Crédit: Getty Images

Un presque-rien qui interroge

La question que je me pose aujourd'hui, alors que voilà trois saisons et demi que Guardiola s'est installé à Manchester, est de savoir si nous sommes parvenus, dans un contexte certes différent de celui du Barça d'alors, à un stade comparable de la parabole guardiolienne à Man City. Si les carrières des managers tendent à être des répétitions de cycle, pourquoi ce qui est vrai de Guttmann, de Mourinho - d'Ancelotti aussi - ne vaudrait-il pas aussi pour Guardiola ? Ou serait-ce que nous le croyons surhumain ?
J'ai eu l'occasion de rencontrer Pol Ballús, l'un des auteurs de Pep's City: The Making of a Superteam (*), lors d'un récent passage à Manchester. Ballús, qui connait intimement Guardiola, m'avait alors affirmé que les bruits qui couraient sur le possible départ de son ami dès la fin de cette saison 2019-2020 n'avaient aucun fondement, que Pep avait tout ce qu'il désirait à City, savait qu'il ne trouverait nulle part ailleurs de pareilles conditions de travail, et songeait même plutôt à demeurer à son poste au delà de juin 2021, terme de son contrat actuel. Dont acte.
City nous a parfois montré des mouvements irrésistibles, bien que moins fréquemment que de coutume. L'équipe qui atomisa Watford n'avait rien perdu de son appétit. L'effectif demeure magnifique, bien que déséquilibré. Si quelques-uns marquent le pas, dont Bernardo Silva, Raheem Sterling poursuit sa prodigieuse progression. Guardiola demeure un visionnaire, le plus grand de son temps pour ce qui est du pur jeu. Pourtant, l'élan n'est plus tout à fait le même. Tous, nous le sentons. Parler de lassitude serait aller trop loin ; c'est plutôt l'intuition qu'aller plus loin, justement, est quelque chose dont cette équipe n'est pas nécessairement capable, qu'on a atteint ce moment dans le bond où la gravité reprend ses droits.
Ce n'est qu'un sentiment personnel, dont je questionnerais volontiers moi-même la validité ; mais je me dis également que s'il m'habite depuis un temps déjà, ce ne peut être sans cause. La fatigue de l'observateur que la perfection ennuie, peut-être ? Mais, de même qu'au stade, il suffit souvent d'une minute ou deux pour savoir le cours que suivra un match - affaire de rythme, comme dans le cas d'un orchestre qui a perdu un infime pourcentage de sa synchronicité -, l'inconscient peut déduire une vérité d'un presque-rien. Or ce samedi, au delà du test que constituera toujours un derby de Manchester, c'est ce presque-rien dont je guetterai la présence.
(*) Ouvrage publié en octobre de cette année par BackPage and Polaris au Royaume-Uni.
Pep Guardiola
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