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Premier League - Newcastle - Abolir le mercato d'hiver... et pourquoi pas ?

Philippe Auclair

Mis à jour 01/02/2022 à 17:44 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Newcastle n'est que le dernier exemple en date de cette distorsion avec laquelle les championnnats européens s'accomodent très bien, sous fond de passivité des institutions sportives et d'avidité des agents de joueurs. Newcastle vient de débourser 120 millions d'euros pour changer la donne en cours de jeu et se sauver de la médiocrité, au mépris de toute équité sportive.

Fabian Schär, Jamaal Lascelles, Ryan Fraser, Chris Wood, Joelinton, Sean Longstaff, Allan Saint-Maximin et Jonjo Shelvey lors de Newcastle - Watford en Premier League le 15 janvier 2022

Crédit: Getty Images

Imaginez une compétition sportive dont le règlement change à la mi-saison, mais pas pour tout le monde ; dont les plus grands bénéficiaires ne sont pas les compétiteurs qui ont obtenu les meilleurs résultats jusqu'alors, mais ceux qui ont plus d'argent que les autres ; et, enfin, qui permette à une poignée d'équipes d'amputer leurs rivaux directs de certains de leurs meilleurs joueurs - ou, à tout le moins, s'ils n'y parviennent pas, de les déstabiliser en essayant de le faire.
L'effort d'imagination requis est minime, c'est vrai. Il suffit de regarder ce qu'il s'est passé du côté de Newcastle en ce mois de janvier. Un club qui n'a remporté que deux des vingt-trois matches de championnat qu'il a disputés à ce jour, toujours relégable, vient de dépenser plus de 120 millions d'euros - net - pour se donner une chance de survivre. Pour les Magpies, c'est comme si une nouvelle saison commençait, mais pour eux seulement. Leurs rivaux directs pour la descente en Championship n'ont pas eu ce luxe. L'un d'entre eux, Burnley, qui connait de grosses difficultés financières, leur a même cédé Chris Wood, leur meilleur buteur (et de loin) de la saison précédente. Too bad !
La question n'est pas de se demander pourquoi, mais comment cela est possible ou, plutôt, accepté dans une économie du football exsangue, sinistrée par la pandémie. N'est-ce pas trahir le principe d'équité sportive sans lequel il ne peut être de compétition digne de ce nom qu'accepter qu'un club puisse se transformer de la sorte - simplement parce qu'il en a les moyens ? Et quels moyens : l'argent d'un régime condamné par toutes les organisations de défense des droits humains, pour lequel une centaine de millions n'est rien, puisque l'objectif de son 'investissement' est autre, et que l'équilibre financier auquel aspirent quasiment tous leurs compétiteurs, car il est une condition sine qua non de leur survie, n'est pour ce club qu'une case à cocher pour respecter les réglements de la Premier League (et, plus tard, espèrent-ils, de l'UEFA). Enfin, 'respecter' n'est peut-être pas le mot.
Chris Wood - Newcastle United

Le club le plus dépensier du monde

Mais laissons de côté ce que cette situation peut avoir d'odieux. Oublions ces fans qui, aveuglés par leur foi, se muent de supporters d'un club historique en supporters d'une monarchie absolue. Oublions la longue, très longue valse-hésitation à trois temps, à mille temps, de la Premier League qui, après avoir refusé d'entériner l'achat de Newcastle par le consortium saoudien, a finalement dit 'oui' après avoir reçu l'assurance que le nouvel actionnaire, très largement majoritaire, (le PIF, fond souverain de l'Arabie Saoudite, président: le prince héritier Mohammed ben Salmane) n'avait tout compte fait rien à voir avec le régime saoudien. Mais bien sûr. Ce qui explique pourquoi Newcastle passe sa trêve hivernale à Jeddah, où ses joueurs se font filmer à dos de chameau pour les télévisions locales. Ce qui n'explique pas comment il se fait que les assassins et démembreurs du journaliste Jamal Kashoggi se soient rendus d'Arabie Saoudite en Turquie, où ils tuèrent le dissident, à bord d'un avion appartenant au PIF, justement. Essayons d'oublier cela si c'est possible, et tant pis si ce ne devrait pas l'être.
Newcastle, 18ème sur 20 du championnat d'Angleterre, dont le déficit d'exploitation était de 60 millions d'euros en 2019-20 (la dernière saison dont les comptes aient été publiés), fut, de loin, le club le plus dépensier d'Angleterre, d'Europe et du monde en janvier 2021, et l'aurait été encore plus si Manchester United n'avait pas tout fait pour empêcher Jesse Lingard de rejoindre le squad d'Eddie Howe. En ajoutant les primes aux indemnités de transfert payées pour acquérir, dans l'ordre, Kieran Trippier, Chris Wood, Bruno Guimaraes et Dan Burn, on arrive donc à un débours de plus de 120 millions d'euros.
Kieran Trippier au centre d'entrînement de Newcastle le 7 janvier 2022

La régulation de 2002 n'a rien réglé

Newcastle a désormais l'effectif pour se maintenir en Premier League. Et si Newcastle se maintient, ce sera uniquement parce que Newcastle était le seul club en danger d'être relégué qui disposât des ressources nécessaires pour changer de peau ; comme si une écurie de F1 changeait de fournisseur de moteurs après avoir disputé une dizaine de Grands Prix depuis l'arrière de la grille de départ.
Abolir le mercato hivernal, fermer pour de bon cette 'fenêtre des transferts' ? Et pourquoi pas ? On doit se souvenir que cette 'fenêtre' ne s'ouvrit pour la première fois qu'en 2002, à la suite de tractations entre la Commission européenne et la Fifa. L'idée était alors de trouver un compromis entre le principe de liberté de circulation des joueurs (et leur droit de changer d'employeurs) et la nécessité de mettre un semblant d'ordre dans la pagaille du marché des transferts qui, alors, dans de nombreux pays, ne se fermait jamais (c'est ainsi que Manchester United avait pu souffler un certain Eric Cantona au champion en titre Leeds United en novembre 1992). N'importe quel club pouvait acheter n'importe quel joueur à m'importe quel moment, ce qui faussait évidemment la donne. Mais, au bout du compte, la 'solution' à laquelle on parvint n'était qu'un pis-aller.
Parfois, c'est vrai, il n'y a pas mieux qu'un pis-aller; mais le football de 2022 n'est plus celui de 2002. Les règles du jeu n'ont pas changé; mais le jeu a changé, lui. 2003: Roman Abramovitch acquiert Chelsea. 2008 : Sheikh Mansour, autrement dit la famille régnante d'Abou Dhabi, entame la construction du City Football Group, qui contrôle désormais dix clubs sur quatre continents. 2011 : le Qatar achète le Paris Saint-Germain. 2021: l'Arabie Saoudite s'assied à la table, et Newcastle devient "le club le plus riche du monde". Le jeu est faussé, car ceux qui jouent ne sont plus les mêmes.

Instaurer un nombre limité de transferts

En privé, beaucoup de dirigeants et de techniciens maudissent ce mercato pendant lequel ils peinent à tenir les agents, sont à la merci de plus riche qu'eux, et courent le risque de perdre leurs meilleurs éléments. En public, on n'en débat même plus, tant il est passé dans les moeurs, est même devenu un spectacle dans le spectacle, une mine à buzz, une aubaine pour des médias qui doivent meubler antennes et colonnes pendant que les grands championnats font relâche. L'abolir pourrait se justifier sur le plan de l'équité sportive, mais, dans la pratique, parait impossible ; une abolition totale serait d'ailleurs foncièrement injuste dans le cas de certains joueurs qui, pour une raison ou une autre, mais sans en être responsables, se trouvent privés de temps de jeu, comme ce fut le cas de Donny van de Beek à Manchester United.
Mais rien n'empêcherait de le réglementer autrement, en introduisant une limite au nombre de transferts autorisés par club, par exemple, ce qu'avait suggéré Arsène Wenger dans les années 2000 (mais qu'il ne suggère plus en qualité de responsable du développement du football au sein de la Fifa). Rien n'empêcherait que des accords de transfert soient conclus pendant cette période, mais seulement actés à l'inter-saison.
Rien ne l'empêcherait - si la volonté d'agir existait, ce qui n'est pas le cas, pas la volonté collective en tout cas. Aussi longtemps que chacun se contentera de voir midi à sa porte, on ne se demandera pas pourquoi, en plein milieu de l'hiver, on continue d'ouvrir grand la fenêtre.
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