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Puissance financière, polémiques géopolitiques : Newcastle peut-il bouleverser le foot européen ?

Glenn Ceillier

Mis à jour 08/10/2021 à 16:26 GMT+2

PREMIER LEAGUE – La vente de Newcastle au fonds public d'investissement saoudien pose beaucoup de questions. La puissance de ce nouvel acteur du football européen amène à penser que le paysage de la Premier League pourrait évoluer. Mais il y a aussi des questions géologiques derrière cet achat, qui dérangent nombre d'observateurs et notamment des ONG. On vous aide à y voir plus clair.

Newcastle United

Crédit: Imago

Pourquoi c'est un séisme ?

Pour une question financière mais aussi de géopolitique et d'éthique. Après une première tentative repoussée à l'été 2020, en raison notamment du lourd passif du prince héritier Mohammed ben Salmane, l'Arabie Saoudite a réussi son coup : le fonds public d'investissement saoudien (PIF), allié à PCP Capital Partners et aux frères David et Simon Reuben, est parvenu à mettre la main sur un club de Premier League en s'achetant Newcastle qui se retrouve avec des moyens gigantesques. Et cela rappelle que le "football n'est plus seulement une affaire de sport", comme le souligne notre collègue d'Eurosport UK, Tom Adams.
En avril dernier, le Guardian avait ainsi révélé que Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, avait envoyé un message au Premier ministre britannique Boris Johnson pour lui signaler que les relations entre leurs deux pays seraient détériorées si le gouvernement britannique n'intervenait pas pour corriger la décision de la Premier League de repousser l'offre saoudienne. A l'époque, l'assassinat en octobre 2018 du journaliste Jamal Khashoggi, tué au consulat saoudien à Istanbul et dont MBS serait le commanditaire selon un rapport du renseignement américain avait fait capoter l'affaire. Tout comme le conflit avec le Qatar, notamment pour une histoire de piratage des images de BeIn Sport.
Depuis, l'Arabie saoudite a mis un peu d'eau dans son vin pour apaiser ses relations avec son voisin et a autorisé la diffusion de beIN Sports sur son territoire. Une des clefs à l'origine de ce rachat tonitruant, qui peut changer la face de la Premier League en raison de la puissance financière du PIF. Avec toutes les questions que cela pose sur le côté éthique de cette affaire même si la Premier League dit avoir avoir "reçu des garanties légalement contraignantes que le Royaume d'Arabie saoudite ne contrôlera pas le club de Newcastle United". Sans tromper trop de monde. "Le fonds souverain est l'équivalent d'une banque d'investissement d'état, qui est directement sous le contrôle de la famille royale et donc du Prince héritier", répond Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport.

Quelle est la puissance du nouveau propriétaire de Newcastle ?

Elle est colossale, tout simplement ! Si l'offre de rachat s'élève à 300 millions de livres (333 millions d'euros) selon la presse britannique, c'est un coup de couteau anodin dans le portefeuille du PIF. Car le fonds d'investissement saoudien présente des actifs estimés à 400 milliards de dollars ! Ce qui fait de Newcastle le nouveau club le plus riche au monde. Et d'assez loin.
Même les autres clubs détenus par d'immenses fortunes des pays du Golfe ne peuvent pas lutter. Sous pavillon émirati depuis 2008, Manchester City ne joue clairement pas dans la même cour alors que la fortune de ses investisseurs est estimée à 30 milliards de dollars. De son côté, le fonds d'investissement qatari QSI, détenteur du PSG depuis 2011, n'est lui valorisé "qu'à" 300 milliards de dollars. De quoi vous donner une petite idée de la puissance possible du nouveau mastodonte du football anglais.

Newcastle peut-il devenir le nouveau roi d'Angleterre ?

C'est aujourd'hui le rêve des fans des Magpies. Les nouveaux propriétaires du club ont d'ailleurs déjà clairement affiché leurs ambitions de regarder City et le PSG les yeux dans les yeux. Rien que cela. "Newcastle est la meilleure équipe du monde et nous voulons la voir remporter des trophées au top niveau, en Angleterre et en Europe" a résumé jeudi Amanda Staveley, la directrice du club. Mais ce n'est pas gagné. En Europe déjà où l'expérience des Citizens et du PSG a démontré qu'il fallait du temps pour avoir le droit de rêver en grand. Mais en Premier League aussi, la mission des Magpies s'annonce ardue.
La Premier League n'est pas le premier championnat venu. C'est le plus dense d'Europe. Et Newcastle va devoir lutter pour se faire sa place au plus haut niveau. Même avec des moyens colossaux, il y a des étapes à franchir, et non des moindres. "Newcastle va se retrouver sur le devant de la scène en Premier League, probablement très rapidement", prédit notre collègue britannique, Tom Adams. "Mais les Magpies ne vont pas pouvoir se limiter à la puissance financière de l'Arabie saoudite pour réussir à gagner le championnat. Il leur faudra un manager d'élite pour commencer, et une stratégie de haut niveau et cohérente pour rivaliser avec City. Ou Chelsea d'ailleurs qui est tout aussi excellemment géré et possède également de vastes richesses". En clair, un nouveau roi n'est pas encore couronné outre-Manche. Loin de là. "Obtenir ces trophées signifie investissements, patience, et temps", reconnaît d'ailleurs Amanda Staveley.

Quelles conséquences sur le marché des transferts ?

Elles vont être importantes. Alors que Newcastle n'aura pas à se soucier dans un premier temps des limites d'un fair-play financier que l'UEFA chercher à remodeler, ce club populaire du nord-est de l'Angleterre devrait vite se faire remarquer sur le marché. Dès cet hiver sûrement. "Ils vont dépenser beaucoup d'argent et essayer d'acheter des grands joueurs pour exciter leurs fans", annonce notre collègue britannique, Tom Adams. Mais au début, il ne faudra pas rêver. Si Antonio Conte a déjà été contacté pour s'installer sur le banc, des joueurs de la dimension de Kylian Mbappé ou Erling Haaland ne vont ainsi pas se retrouver l'été prochain chez les Magpies.
"Parler de Mbappé est une blague. Ils ne vont pas essayer de signer les meilleurs joueurs du monde dès maintenant", ajoute Tom Adams. Car il ne faut pas oublier qu'on ne parle pour le moment que d'un club qui pointe seulement à la 19e place du classement après 7 journées. "Coutinho a été évoqué. Et cela paraît plus réalisable", complète Tom Adams. Ce qui serait déjà une signature de poids pour une formation de ce niveau.

Pourquoi l'Arabie saoudite investit en Premier League ?

Comme pour son rival et voisin le Qatar avec le PSG ou encore les Emirats arabes unis, c'est une histoire de "soft power" sportif encore une fois. L'Arabie saoudite pense en effet à demain alors que la fin des énergies fossiles se rapproche et que sa dépendance à l'or noir est encore énorme. MBS a ainsi engagé depuis 2015 une politique de diversification des ressources de la pétromonarchie. Et dans ce programme intitulé "Vision 2030", la "diplomatie sportive" prend une place clef. "Pour aborder la fin de la rampe pétrolière qui devrait arriver d'ici une trentaine d'années, l'Arabie saoudite a besoin de faire venir des investisseurs internationaux et de bénéficier du soutien des banques internationales", nous explique Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport.
Mais pour cela, il faut séduire. Or entre l'assassinat de Jamal Khashoggi, les atteintes aux droits humains ou encore la guerre au Yemen et le "kidnapping" du Premier ministre libanais Saad Hariri en 2017, le Royaume part de très loin. "L'Arabie saoudite est un état qui a besoin de lessiver son image pour être attractif", résume Jean-Baptiste Guégan, auteur de 'Géologique du sport : une autre explication du monde'. "Or, on a aujourd'hui des retours chiffrés. Dès lors que tu investis dans un club ou en "sponsoring club", tu gagnes en visibilité. Tu améliores ton image." L'achat de Newcastle s'inscrit dans cette logique.

Quel est l'avis des fans de Newcastle ?

L'image sulfureuse de l'Arabie saoudite sur la scène internationale n'a pas empêché de nombreux supporters de Newcastle de se rendre à St James' Park pour fêter la vente du club, même si Amnesty International a interpellé la Premier League dans la journée de jeudi pour s'y opposer. "Nous avons récupéré notre club", chantaient même les fans des Magpies ce jeudi soir alors que l'homme d'affaires britannique Mike Ashley, qui détenait le club depuis 14 ans, était méprisé.
"Il semble que la grande majorité des fans ne se soucient tout simplement pas du bilan très douteux de l'Arabie saoudite en matière de droits humains ou du meurtre de Khashoggi", résume Tom Adams, qui travaille à Eurosport.uk. En clair, tant qu'ils peuvent rêver à nouveau, qu'importe ce qu'il y a derrière. Quelques mois après les manifestations des supporters anglais pour protester contre le projet de Super Ligue, c'est un retour sur terre un peu violent pour certains. "Il est facile de comprendre la joie des supporters mais cet accord est malaisant (…). Le bilan de l'Arabie saoudite en matière de droits de l'homme assombrit la lecture" de ce rachat, résume Henry Winter, l'éditorialiste du Times dans sa chronique.
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