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Gary Lineker, réinstallé aux commandes de Match of the Day par la BBC : une voix qui porte

Philippe Auclair

Mis à jour 13/03/2023 à 22:12 GMT+1

Gary Lineker a finalement été réinstallé à la présentation de l’émission Match of the Day, par la BBC. L’ancien buteur de l’équipe d’Angleterre, suspendu par la chaîne pour avoir critiqué la politique du gouvernement, n’a pas été mis sur la touche bien longtemps. La BBC ne pouvait gagner son bras de fer avec Lineker, dont la parole est respectée, et respectable.

Gary Lineker, samedi, dans les tribunes du stade de Leicester

Crédit: Getty Images

Comme on s'y attendait, la BBC a donc fait volte-face. La mise à pied de Gary Lineker, "coupable" d'avoir choisi des mots très durs envers le projet de loi sur l'immigration du gouvernement de Rishi Sunak, n'aura duré que soixante-douze heures. Le Soulier d'Or de la Coupe du monde de 1986, l'influenceur aux presque neuf millions d'abonnés sur Twitter, sera de nouveau l'officiant de la grand-messe télévisuelle hebdomadaire du football anglais samedi prochain.
Match Of The Day, réduit à vingt minutes de résumés de matches diffusés sans présentation, analyses ou commentaires lors de sa dernière édition, va donc retrouver son format habituel. Les complices Ian Wright et Alan Shearer reprendront leurs places aux côtés du très éphémère paria qu'ils avaient aussitôt soutenu, et l'Angleterre pourra de nouveau ronronner devant ses écrans de télévision à la sortie des pubs, comme un chat qui aurait retrouvé son coussin préféré devant le feu de bois.
Le soutien immédiat et unanime du football anglais et de la très vaste majorité de l'opinion rendait toute autre issue impossible. Lineker, travailleur indépendant, n'était pas astreint aux mêmes règles que les employés permanents du service public. Il s'était exprimé sur un compte privé qu'il prend soin de ne pas associer à la BBC.
La teneur de ses propos pouvait sembler déplacée à ceux qui n'acceptaient pas qu'on pût comparer le Royaume-Uni de 2023 à l'Allemagne des années 1930, encore que Lineker ne fût certainement pas le premier à faire ce parallèle. Là n'était pas la question. En censurant son présentateur le plus populaire (et le mieux payé), la BBC donnait l'impression de se soumettre aux desiderata du pouvoir en place; et cela, qu'on soit de gauche ou de droite, était inacceptable.
Le plus extraordinaire est que la BBC, cédant à la panique - surtout, surtout ne pas se mettre à dos un gouvernement dont certains membres influents souhaiteraient privatiser l'institution! -, ait pu s'imaginer une seconde que Lineker fasse marche arrière.
C'est qu'en Angleterre, être un footballeur, d'hier ou d'aujourd'hui, ce peut aussi être aussi un porte-parole, un activiste, un citoyen. Gareth Southgate, le sélectionneur des Three Lions, n'a jamais hésité à mettre en avant des convictions humanistes et anti-racistes qui vont bien au-delà des mots d'ordre convenus chéris des grandes institutions. Marcus Rashford a défié le gouvernement britannique et son premier ministre d'alors Boris Johnson pour plaider en faveur des enfants déshérités et obtenir gain de cause lorsqu'il fut question de mettre fin au service de repas gratuits dans les écoles. Gary Lineker, lui, n'en était pas à son coup d'essai.
En juin 2016, juste avant le référendum qui vit une - courte - majorité de Britanniques se prononcer en faveur de la sortie de leur pays de l'Union européenne, il avait dit : "je crois personnellement qu'il y a plein de raisons pour rester [dans l'Union], mais pratiquement aucune pour la quitter. J'aime l'Europe, j'aime faire partie de l'Europe". Quelques mois plus tard, lorsqu'un député britannique Tory suggéra que les enfants demandeurs d'asile soient l'objet de tests dentaires pour déterminer leur âge, il rétorqua : "la façon dont certains traitent ces jeunes réfugiés est hideusement raciste et totalement cruelle. Qu'est qu'il est train d'arriver à notre pays ?"
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"Gary Lineker for Prime Minister"

Crédit: Getty Images

En juillet 2018, après avoir confié qu'il se sentait politiquement orphelin, entre des Conservateurs dérivant vers la droite et des Travaillistes à la tête duquel on trouvait le Trotskyste Jeremy Corbyn, il participait à un grand rassemblement pro-européen en faveur d'un second vote sur le Brexit. "Il y a des choses plus importantes que le football", dit-il alors. Quand je lui avais demandé les raisons de cet engagement, il m'avait répondu : "ce n'est pas pour moi, c'est pour mes enfants".
Il s'est aussi insurgé contre ces compagnies de traitement de l'eau, toutes privatisées, qui rejettent des eaux usées non traitées dans les rivières et l'océan; il attaqué aussi des personnalités politiques qui avaient accepté des sommes importantes de donateurs russes; critiqué le ministre des Affaires Etrangères James Cleverly qui avait suggéré que les supporters LGBTQI+ se rendant à la Coupe du monde de 2022 se montrent" des coutumes du Qatar, pays dans laquelle l'homosexualité est hors-la-loi; parlé des Etats-Unis comme d'un pays "incroyablement raciste" dans un podcast. Gary Lineker n'a pas sa langue dans sa poche; beaucoup de ses compatriotes lui savent gré de s'en servir, et la grande majorité lui en reconnait le droit.
La BBC, d'ailleurs, n'avait rien trouvé à redire lorsque son présentateur-vedette avait entamé sa présentation du Mondial qatari de 2022 sur l'antenne du service public par un débat sur les dilemmes moraux causés par l'organisation du tournoi dans une autocratie accusée de multiples violations des droits de l'homme. La cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde avait d'ailleurs été écartée du réseau hertzien de la BBC pour n'être diffusée que sur l'une de ses chaînes numériques.
Mettre Lineker à pied, c'était, des plus maladroitement, donner l'impression que c'était une chose que défendre les droits de l'homme quand c'était un pays étranger qui était visé et une autre, toute différente, lorsque c'était le Royaume-Uni qui était en cause. Dans un tel combat d'idées, il ne pouvait qu'y avoir qu'un seul vainqueur.
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Lineker a 60 ans : les stats bluffantes d'un buteur hors-pair

En cela, le football anglais n'affirme pas sa différence que sur les seuls terrains. Il arrive que quelques grands noms du football fassent entendre leurs voix sur d'autres sujets que leur sport ailleurs en Europe et dans le reste du monde. Philip Lahm, par exemple, est une de ces voix en Allemagne. Le choix d'un sponsor saoudien par la FIFA pour son Mondial féminin a suscité bien des réactions négatives au sein de la "famille" du football. Parfois, ces voix s'expriment collectivement, comme les Socceroos australiens le firent si éloquemment, avant, encore une fois, le Mondial qatari.
La différence anglaise, incarnée par Southgate, Rashford et Lineker, mais aussi le défenseur de Tottenham Eric Dier (sur le Brexit, dans son cas), est que cette "politisation", au sens non-partisan, est désormais un acquis. Le temps où un footballeur qui avait le toupet de donner le fond de sa pensée se voyait aussitôt conseillé de retourner au ballon est - presque - passé, et il n'est pas de meilleur exemple de cela que Gary Lineker.
L'Angleterre va mal. Son économie est à la traîne de celles des autres pays du G7 - et même du G20. L'écart entre riches et pauvres est le plus prononcé de toute l'Europe. Les grèves succèdent aux grèves : cette semaine, les fonctionnaires, les enseignants, les transports en commun et les médecins en formation d'un système de santé publique en passe d'imploser. Les légumes manquent dans les supermarchés. Son gouvernement est profondément impopulaire et réagit en se retranchant sur des positions de plus en plus extrêmes. L'opposition travailliste caracole en tête des sondages, mais ne suscite pas l'enthousiasme des masses, préférant laisser aux Conservateurs le soin de s'auto-détruire.

Leader d'opinion

Vers qui se tourner, alors, si l'on cherche une autorité morale, un repère dans ce paysage désolant, quelqu'un qui incarne les vertus de tolérance, d'humanisme et de "bon sens" que l'Angleterre pensait être les fondements de son identité ?
Ce peut être vers le naturaliste nonagénaire David Attenborough, le fantaisiste Paul Whitehouse, l'ancien chanteur des Undertones Feargal Sharkey, l'analyste financier Martin Lewis, autant de figures révérées ici qui, sans l'avoir nécessairement demandé, se retrouvent bombardés leaders d'opinion; un rôle que Gary Lineker, lui, n'a aucune réticence à accepter.
La faute de la BBC est de n'avoir pas réalisé que, même si Lineker n'a pas forcément raison aux yeux du public tout entier, en s'attaquant à lui, elle avait forcément tort. Ce n'est pas qu'un homme qu'elle punissait, c'était un pays tout entier, qui se demande où il va et peine à trouver des guides.
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