Manchester City déclare la guerre au football
Manchester City a dénoncé une forme de "tyrannie" et de "discrimination" dans une plainte déposée auprès de la Premier League. Une réponse à peine voilée aux 115 chefs d'accusation dressés par la PL contre les Citizens. Mais par cette démarche, le club mancunien ne déclare pas seulement la guerre à la Premier League. C'est le football de manière général qui est concerné.
L'Etihad Stadium, le stade de Manchester City
Crédit: Getty Images
Un pareil culot coupe le souffle, au point qu'on serait presque tenté d'en rire. Manchester City serait donc victime de la "tyrannie de la majorité" et souffrirait de la "discrimination" du championnat dont les Citizens ont remporté six des sept dernières éditions. C'est en tout cas ce qu'ils affirment dans le document de 165 pages qui accompagne la plainte déposée contre la Premier League, dont l'issue sera tranchée aux alentours du 18 juin si les deux parties ne sont pas parvenues à un accord à l'amiable.
Il est vrai que, côté tyrannie et discrimination, les Émiratis n'ont de leçons à recevoir de personne - ah, pardon, Manchester City n'appartient pas aux Emirats. Manchester City appartient au prince Cheikh Mansour ben Zayed al Nahyan, vice-président et vice-premier ministre de la nation du Golfe, dont le président est son grand frère Mohammed. Aucun rapport. Pas plus qu'il n'y en a dans le fait que quatre des dix plus gros sponsors du club soient de facto contrôlés par cette famille royale émirati dont la devise pourrait être : "l'Etat, c'est nous". Aucun rapport, juré. Dire l'inverse, ce serait faire preuve du racisme à peine voilé dont City dénonce l'influence au sein de la Premier League, ce même "racisme" qui, selon eux, explique pourquoi le club aura à répondre de 115 chefs d'accusation dressés par la Premier League en novembre prochain.
Nous n'en sommes pas encore là. La présente action en justice, révélée ce mardi par le Times, n'a rien à voir avec ce dossier-là. Nous nous comprenons. Evidemment que les deux sont liés. Evidemment que City ne se serait jamais lancé à l'assaut de la PL comme c'est le cas aujourd'hui si la PL n'avait pas engagé sa propre offensive auparavant. Mais la substance de leur argument actuel est toute autre.
Par quoi remplacer ce système ?
Selon City, les règles mises en place par la Premier League en décembre 2021, qui ont pour objet d'empêcher un club de bénéficier de contrats de sponsoring surévalués, ont un caractère discriminatoire et anti-compétitif. Un club devrait avoir toute liberté de conclure les accords commerciaux qu'il souhaite sans qu'on vienne lui mettre des bâtons dans les roues sous prétexte que leur partenaire serait, au bout du compte, une entité associée. Et peu importe que Manchester City eût soutenu l'introduction des réglementations visant les "APT" ("associated party transactions") dans un premier temps, la cible en étant en premier lieu Newcastle United.
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Le Cheikh Mansour bin Zayed Al-Nahyan, propriétaire de Manchester City
Crédit: AFP
Oui, cela parait insensé. Come on, guys...vous vous fichez de nous, non ? Ce qui est anti-compétitif, ne serait-ce pas plutôt que vous puissiez compter sur les amis d'Etihad et autres (autrement dit, sur vous-mêmes) pour gonfler leurs contributions à vos revenus commerciaux quand personne d'autre ou presque ne peut bénéficier des mêmes avantages ? En quoi avez-vous été lésés, vous qui avez dégagé plus de 80 millions de livres sterling de bénéfices en 2022-23, la saison du premier triplé de votre histoire ?
Et si vous vous plaignez du fait que la Premier League prenne ses décisions à la majorité des deux tiers, par quoi comptez-vous remplacer ce système que vous dites "tyrannique", ce système qui lui a permis de prospérer comme aucun autre championnat en garantissant que ce ne soit pas que les plus gros qui puissent s'asseoir à la table pour se remplir la panse ?
Une tactique élémentaire et efficace
Nul doute que City aura les réponses à ces questions. Le club a embauché pour cela les mercenaires du prétoire les plus chers et les plus craints du Royaume-Uni, dont Lord Pannick, un habitué des offensives par avocats interposés dont semble raffoler Sheikh Mansour, comme l'UEFA s'en souviendra longtemps. Tout le monde n'en a pas les moyens. Pannick facture apparemment son heure de travail entre 5 et 10 000 livres sterling, c'est selon.
La tactique est des plus élémentaires, mais aussi des plus efficaces. Si l'objectif est de gagner, "gagner" a un autre sens ici. Ce peut être causer de tels dommages financiers à son adversaire que celui-ci se sente obligé de jeter l'éponge. C'est l'une des méthodes préférées des oligarques russes pour faire taire les journalistes trop curieux. Le coût de se défendre contre de telles attaques est si élevé que beaucoup préfèreront s'avouer vaincus.
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La joie des joueurs de Manchester City avec le trophée de Premier League, le 19 mai 2024.
Crédit: Getty Images
Or ce n'est pas parce que la Premier League est "le championnat le plus riche du monde" qu'elle a les moyens de faire face aux frais que ces poursuites engagent. L'argent qu'elle brasse n'est pas le sien; c'est celui des vingt clubs qui, chacun, détienne une action de la société. City lui a déjà coûté une fortune. Les frais engagés dans la préparation du dossier des 115 infractions aurait fait quadrupler son budget légal - de 5 à 20 millions de sterling - en l'espace d'un an. Dans ce contexte, la plainte déposée par City ne représente qu'une (grosse) goutte d'eau de plus. Le problème est que le vase déborde déjà.
Une catastrophe à venir pour le football ?
De plus, ce n'est pas parce que les prétentions de City paraîtront risibles, pour ne pas dire ridicules, que City perdra pour autant. Il se peut que ses avocats trouvent les arguments légaux pour convaincre le juge que, s'il ne s'agit que de respecter la lettre de la loi, la PL a enfreint celle-ci en empêchant ses actionnaires de mener leurs affaires comme bon leur semble. Cela n'est pas impossible; et ce serait une catastrophe pour le football tout entier.
Rien n'empêcherait un propriétaire de club, qu'il s'agisse d'un état, d'un multi-milliardaire ou d'un fonds d'investissement, de pomper les millions par centaines par le biais de contrats de partenariat frelatés qu'ils auraient signés avec eux-mêmes. On ne prêterait alors vraiment plus qu'aux riches. La PL avait au moins eu le mérite de s'en inquiéter, même si c'était sur le tard. Trop tard, même, sans doute. Ce n'est pas seulement à la Premier League que Manchester City a déclaré la guerre, c'est au football tout entier.
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