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Style et beau jeu : A la découverte de la méthode Roberto De Zerbi

Johann Crochet

Mis à jour 19/01/2019 à 13:39 GMT+1

SERIE A - Alors que la Juve caracole en tête et que la lutte pour la 4e place s’annonce intense, la première partie de saison de Serie A a été marquée par le jeu séduisant de Sassuolo, longtemps accroché aux premières places avant de rentrer dans le rang au classement, sans jamais s’éloigner de ses principes de jeu.

Roberto De Zerbi, le 29 décembre 2018 lors de Sassuolo-Atalanta

Crédit: Getty Images

"Pour moi, le résultat n’est pas important. Ce qui l’est, c’est de voir comment on arrive à ce résultat." Cette phrase aurait pu être prononcée par Marcelo Bielsa ou Pep Guardiola et cela n’étonnerait personne. Si l’esthétisme est au cœur de l’attention de ces deux entraîneurs, un autre technicien, moins connu, l’a également mis au centre de sa réflexion. Méconnu du grand public, Roberto De Zerbi, 39 ans et à la tête de Sassuolo depuis l’été dernier, est l’entraîneur qui monte de l’autre côté des Alpes. Mais le plus dur commence.
S’il ne veut pas finir comme Andrea Stramaccioni, Fulvio Pea ou Giuseppe Sannino, tous les trois ayant disparu des radars après des débuts prometteurs et des intentions plus que louables, Roberto De Zerbi va devoir confirmer les belles promesses sur plusieurs saisons. Dans un pays où la culture de la gagne est tellement ancrée que les quelques courants modernes finissent toujours par être ramenés au jugement du résultat, la tâche s’annonce ardue. Maurizio Sarri peut en témoigner, lui qui a marqué la mémoire des tifosi du San Paolo par son jeu spectaculaire, mais a toujours été rattaché au nombre de trophées glanés lors de son expérience napolitaine : zéro.
Depuis le début de la saison, Sassuolo impressionne et intéresse. Son jeu divertissant, basé sur une volonté de possession et beaucoup de mouvements, lui a ouvert les portes de la notoriété sur les réseaux sociaux où de nombreuses séquences sont décortiquées. Comment le club d’Emilie-Romagne est-il devenu le club de quelques hipsters affamés de tactique ? Partez à la découverte de la méthode De Zerbi avec l’aide de Mehdi Bourabia, milieu de Sassuolo cette saison. Ses idées, ses consignes, son travail quotidien et son management, on fait le tour avant le déplacement du club sur la pelouse de l’Inter, ce samedi à 20h30.

Tout est une question de style

Jouer et prendre du plaisir. Voilà qui résume bien l’état d’esprit de Roberto De Zerbi. Dans une interview au quotidien Libero il y a quelques mois, le technicien précisait cette volonté : "Si tu fais ce métier, le plus beau du monde, tu dois t’amuser. Cela s’appelle un ‘jeu’, ce n’est pas un hasard. Ce n’est qu’en prenant du plaisir que tu peux dépasser des difficultés, aller au-delà de tes limites." Son Sassuolo porte donc ses idées : avoir le ballon, jouer au sol, dessiner des triangles d’échange, relancer proprement depuis le gardien, et trouver ses joueurs capables de faire la différence dans des zones clés du terrain.
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Manuel Locatelli et Kevin Prince Boateng avec Sassuolo en Serie A 2018/2019

Crédit: Getty Images

La prise de risque dans le jeu pour une formation de milieu de tableau se ressent dans les chiffres : 7e meilleure attaque et 5e plus mauvaise défense. Le niveau moyen des joueurs ne permet sans doute pas de grandement corriger les défauts de cette qualité de jeu, d’autant que l’entraîneur est des plus intransigeants. Par séquence, Sassuolo régale les observateurs avec un jeu très dynamique et porté par l’avant. Et par bribes, l’équipe frustre par sa naïveté quand elle n’a pas le ballon sur certaines phases défensives. C’est la conséquence directe d’un jeu ambitieux dans une équipe trop forte pour ne pas descendre et sans doute pas assez armée pour viser le top 6.
L’éclairage de Mehdi Bourabia : "Il prône le jeu court, au sol. C’est un fou de football, très attaché au moindre détail tactique de son équipe, sur les phases offensives comme défensives. Il accorde de l’importance au plaisir de toute l’équipe en passant par un jeu porté vers l’avant et des phases de possession. La transmission du ballon doit être rapide. Il doit vite voyager entre chaque joueur. Il y a une certaine liberté offensive pour créer des décalages. La prise de risque est encouragée dans ces zones-là, mais en défense et au milieu, elle doit être plus réfléchie. On sait qu’en Italie, chaque adversaire attend ton erreur pour contre-attaquer. On est ambitieux à travers notre jeu collectif, au sol, mais il doit y avoir des réflexions dans nos choix en défense et au milieu. Je ne vois pas d’autres équipes avec un jeu aussi fluide que le notre en dehors du top 6."
La première chose que je dis aux joueurs, c’est de se souvenir de leur enfance. Sur les terrains de terre et de poussière, ils prennent du plaisir uniquement s’ils ont le ballon. Cela doit rester ainsi même lorsqu’ils sont professionnels. On doit avoir le ballon, le garder, avancer avec la balle aux pieds. Après on peut perdre, mais sans jamais renoncer à la beauté du jeu." De Zerbi

Le travail quotidien à l’entraînement

Les séquences sont intenses. Roberto De Zerbi est un adepte de la répétition des gammes et de la reproduction de séquences que peuvent retrouver ses joueurs au cours des rencontres officielles. Très impliqué dans ses séances, il donne de la voix pour encourager et corriger les mouvements de ses joueurs. Malgré son jeune âge et contrairement à nombre d’entraîneurs de la même génération, il n’est pas obsédé par la vidéo et les statistiques.
L’éclairage de Mehdi Bourabia : "Les entraînements sont toujours différents. On peut très bien travailler un système de possession et des circuits différents selon notre adversaire du week-end. On comprend toujours la finalité de l’exercice. Il accorde autant d’importance à son système de jeu qu’à la réflexion liée aux adversaires et à leur manière de répondre à ses situations spécifiques, comme à la récupération du ballon. On travaille l’adversaire une à deux fois par semaine en vidéo. On a parfois des débriefings en vidéo s’il veut nous corriger sur certaines situations ou s’il voit des points à améliorer, mais tout dépend du match qu’on vient de faire et de notre état psychologique. Il consulte les statistiques mais on n’a jamais eu de discours ou de réflexion sur ça. Il a confiance en notre équipe, il sait qu’on donne le maximum. Il doit jeter un œil pour avoir une idée mais sans plus."
Si je dis à mes joueurs ‘sur le terrain, on doit se divertir’, mais que je ne les aligne jamais, je ne suis pas crédible. Il y a donc du turn-over." De Zerbi

Un manager ouvert porté sur la psychologie

Entraîneur moderne, Roberto De Zerbi sait que la réussite de son projet passe autant par le jeu que par sa capacité à manager des hommes et à les fédérer autour de son idée esthétique. En plus d’être un technicien, il se doit d’être psychologue pour gérer au mieux son vestiaire. Un domaine auquel il accorde une grande importance. Il se refuse par exemple à sortir un joueur en première période, même si celui-ci est en difficultés, par volonté de "ne pas l’humilier", malgré les conseils reçus lors de l’enseignement suivi à Coverciano (le Clairefontaine italien, ndlr), lorsqu’il a passé ses diplômes d’entraineur. Il s’agit de comprendre les joueurs et anticiper leurs ressentis et réactions. L’aspect psychologique est fondamental dans la réussite.
Jeune coach, Roberto De Zerbi était encore sur le terrain il y a cinq ans et il a su absorber les codes de la nouvelle génération. Un élément indispensable pour entraîneur Sassuolo, un club misant sur les jeunes talents. Lorsqu’on l’interroge sur sa façon de fonctionner avec son groupe, il concède se mettre au même niveau que ses joueurs. "Je veux un rapport d’égal à égal au quotidien, concède-t-il. Certes, je prends les décisions et je fais des choix. Mais je pense que ce n’est pas payant de se mettre sur un piédestal à penser que tu dois être suivi sur tout, le seul à être respecté. C’est fini le temps où un entraîneur ou un dirigeant était respecté quoiqu’il te dise, sinon tu en prenais une. Te mettre au niveau des autres, veut dire que tu peux prendre des idées des joueurs. Je n’ai pas peur de les faire parler, de les faire s’exprimer sur des corrections qui doivent être faites ni de m’excuser si j’ai mal géré une situation."
Enrico Brignola avec Sassuolo en Serie A 2018/2019
L’éclairage de Mehdi Bourabia : "C’est un homme honnête et droit. C’est un entraîneur très franc, qui va te dire les choses en face. Dès le début de la saison, il avait expliqué qu’on devait tous prendre du plaisir et que tout le monde aurait sa chance. Et c’est ce qui se passe. Il est capable de mettre un joueur titulaire sur un gros match alors qu’il n’a pas joué depuis plusieurs rencontres. C’est un coach très intelligent, c’est un meneur d’hommes qui gère ses joueurs comme un général d’armée. Il est toujours là à nous motiver, il ne laisse pas tomber ses joueurs, il a une grande influence psychologique. Il sait aussi responsabiliser les joueurs. C’est un coach sanguin, volcanique. On a l’habitude. Même s’il peut s’énerver, ça sera toujours constructif, pour te faire avancer."
Je ne m’en prends jamais à un joueur qui rate quelque chose que je lui ai demandé de tenter et réaliser. Je m’agace s’il rate et qu’ensuite il se cache." De Zerbi

Le dogme du jeu plutôt que l’obligation de résultats ?

Roberto De Zerbi sait à quoi s’attendre. En cas de victoire, les journalistes et consultants loueront son jeu attractif, ses idées et le courage de défier n’importe quelle équipe avec le même plan de jeu ambitieux. Dans le cas inverse, les critiques reviendront inlassablement sur la naïveté de ses joueurs sur les actions défensives et le manque de rigueur sur ces phases de jeu, comme lors de la défaite à domicile face à Milan (1-4) où les Rossoneri parvenaient à se projeter bien trop facilement dans la surface de son équipe avec des 3 contre 2 sur des transitions rapides. Régulièrement accusé de ne pas assez travailler les phases défensives, le jeune entraîneur de 39 ans contre-attaque et rappelle que l’aspect défensif est primordial pour lui dans son travail quotidien.
Bien jouer et gagner ne sont pas toujours deux vérités dissociables et le football regorge de vainqueurs ayant enthousiasmé supporters et observateurs par leur style de football attrayant. Mais en Italie, c’est un peu plus compliqué qu’ailleurs avec une culture très forte du résultat. Dans le cas de Sassuolo, la saison 2015-2016, achevée à la 6e place sous l’égide d’Eusebio Di Francesco, montre la voie à suivre. Quitte à vivre des émotions, autant divertir, d’autant qu’une belle surprise n’est pas impossible. Allez demander aux supporters du Chievo s’ils n’auraient pas aimé assister à des matches haletants comme ceux du Sassuolo de Di Francesco ou de De Zerbi, plutôt que de se sauver sans panache ni émotion chaque année, avant de probablement descendre en Serie B à l’issue de cet exercice.
L’éclairage de Mehdi Bourabia : "Il a toujours ce souci de ne pas prendre de buts. On a pas mal de jeunes joueurs comme nos latéraux, mais aussi au milieu. On manque parfois de maturité, je pense que c’est parfois ce qui nous fait défaut. Le style peut totalement coller avec le fait de prendre peu de buts car il veut qu’on soit très efficace dans les deux surfaces. L’aspect défensif est même beaucoup plus important pour lui. La phase offensive découle de notre style et vient assez naturellement en match parce qu’on a une vraie liberté créatrice. On travaille au final moins les aspects offensifs à l’entraînement. Au delà du plaisir qu’on prend en jouant bien, on peut aussi en prendre en ayant des résultats, c’est mon cas. On essaye de lier les deux à Sassuolo. On aurait pu faire mieux sur certains matches, mais, pour nous, la finalité vient après le jeu car si on applique notre style en étant aussi rigoureux défensivement, alors on obtiendra des résultats. Moins bien jouer et avoir un meilleur classement, peut-être que ça embêterait le coach."
Il n’existe pas qu’un seul type de football, donc tout le monde a tort et a raison à la fois, même celui qui gagne. Car même celui qui a soulevé des trophées, comme Mourinho, a aussi perdu. L’important est qu’au moment de juger un style de football, on le respecte et on essaye de le comprendre." De Zerbi
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