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Deschamps : "Le maître-mot pour un sélectionneur : s'adapter en toutes circonstances"

Maxime Dupuis

Mis à jour 16/10/2018 à 21:22 GMT+2

EQUIPE DE FRANCE - A l'occasion de la trêve internationale, Didier Deschamps a accordé une interview exclusive à Eurosport. A Clairefontaine, le boss des Bleus s'est longuement confié sur son rôle de sélectionneur, ses satisfactions et ses difficultés à un poste dont les contours précis sont parfois difficiles à cerner. DD les a tracés pour nous.

Didier Deschamps (Frankreich)

Crédit: Getty Images

Mardi soir, vous retrouvez l'Allemagne et Joachim Low. Il y a quelques années, vous nous aviez confié qu'il était le modèle à suivre. Aujourd'hui, on peut dire que vous avez parfaitement suivi sa trace…
Didier Deschamps : C'est un bon exemple de longévité. Joachim Low a été champion du monde, demi-finaliste de l'Euro il y a deux ans et a accumulé beaucoup de crédit avant cet été. Il est resté, c'est une très bonne chose pour lui et la fédération. La continuité a beaucoup de bons côtés, pour les joueurs surtout.
Travailler dans la longévité, dans le contexte actuel, avec des rassemblements toujours plus courts et avec un football de nations écrasé par le football de clubs, c'est indispensable…
D.D. : C'est mieux, mais c'est aussi valable pour les clubs. Après, la loi du terrain et les résultats font foi. Il est difficile de lutter contre ça. Quand on s'inscrit dans la durée, on peut programmer des choses et anticiper mais pas se projeter sur le long terme en revanche. Ça, c'est impossible en football. On peut néanmoins travailler sur le moyen terme. On instaure un rapport de confiance entre le sélectionneur et le président de la fédération. Les joueurs le sentent. Quand vous commencez une compétition avec des joueurs qui ne sont pas sûrs que vous serez encore là après, ce n'est pas facile à gérer. Savoir qu'un sélectionneur sera encore en poste, ça peut éviter certains débordements pendant la compétition. Cela donne une forme de tranquillité aussi, même si cela ne change pas ma façon de faire ou de voir les choses. Ça reste appréciable, surtout par les temps qui courent.
Vous avez démarré ce rassemblement par un premier entraînement très particulier lundi dernier. Vous n'aviez que deux joueurs concernés, les autres trottinaient après leurs matches du week-end. Question simple : comment prépare-t-on une rencontre dans ces conditions ?
D.D. : On n'a pas de temps car on joue très vite. C'était la même chose en septembre. On arrive le lundi à Clairefontaine, on joue le jeudi. Les rassemblements sont de plus en plus courts. Les plus longs durent dix jours. Avant, sans faire le vieux combattant, les matches internationaux avaient lieu le samedi et le mercredi. Mais maintenant, les clubs jouent souvent le vendredi après la trêve internationale… Du coup, on joue - au mieux - notre deuxième match le mardi. On ne peut pas faire grand-chose dans ce laps de temps. D'où l'importance d'avoir des joueurs qui sont déjà venus, qui ont déjà joué une grande compétition et ont le maximum d'informations sur le fonctionnement de l'équipe nationale et sur le terrain. Il leur faut des repères. Ce n'est pas comme en club où l'on joue tous les trois jours.
C'est la particularité du métier de sélectionneur. D'ailleurs, en quoi la fonction diffère-t-elle de celle d'entraîneur de club ?
D.D. : Sélectionneur est un métier totalement différent. Avec des avantages et des inconvénients. L'avantage, c'est la liberté de choisir qui on veut. En club, beaucoup d'entraîneurs doivent composer avec des joueurs dont ils ne veulent pas toujours. Après, concernant les inconvénients, il y a ces plages de plus en plus réduites et une coupure de novembre à mars.
Justement, de novembre à mars, quelle est la vie d'un sélectionneur ? Que fait Didier Deschamps au quotidien ?
D.D. : Beaucoup de choses. La priorité des priorités, c'est l'observation. Suivre des matches avec mon staff technique. Chaque week-end, chaque milieu de semaine quand il y a des matches, on suit une bonne cinquantaine de joueurs. Après, il y a le travail avec la fédération, la DTN, le planning est très chargé entre les réunions fréquentes avec le staff pour la planification du travail à venir, les nombreuses demandes médiatiques, etc. J'organise aussi un séminaire de quatre jours avec mon staff pour faire le bilan et se projeter sur la suite. Enfin, il y a le relationnel avec les joueurs. Ça peut se faire en se déplaçant ou par téléphone. Il faut rester en contact avec eux, c'est très important. Ce n'est pas un travail médiatisé comme lorsqu'on est en stage avec l'équipe de France mais c'est essentiel.
Si je vous dis que sélectionneur, c'est beaucoup de temps pour penser, peu de temps pour agir, êtes-vous d'accord ?
D.D. : C'est un peu réducteur… même si la seule période où l'on bénéficie de plus de temps est avant les compétitions. C'est là où l'on arrive à mener de séances d'entraînements et faire, un peu, le travail que tout entraîneur réalise en club. A savoir du travail physique, tactique et technique et mettre en place des choses. On a trois semaines pour ça. Le reste du temps, il faut aller à l'essentiel parce que ça va tellement vite… Les joueurs arrivent le lundi midi et après le deuxième match, ils sont déjà repartis.
Compte tenu du vécu de cette équipe et du titre de champion du monde décroché en Russie, est-ce que votre boulot n'est pas un peu plus facile en cette rentrée ?
D.D. : Ce titre de champion du monde n'est pas anodin, c'est sûr. Me rend-il la tâche plus facile ? Non. Par période, ça peut être moins difficile mais les 23 qui sont là ne sont pas toujours les mêmes. En revanche, on a toujours les mêmes problématiques : ils veulent tous jouer et je sais qu'ils ne joueront pas tous. Il faut réussir à garder ce que l'on sait très bien faire et améliorer le reste. Ce n'est pas toujours faire la même chose. La pire des choses serait de tomber dans la routine. Je peux renouveler les joueurs pour éviter ça mais c'est aussi à moi de me renouveler dans le discours, les séances et dans le quotidien. Il faut surprendre les joueurs.
Comment fait-on ?
D.D. : De différentes façons… Je ne suis pas là pour tout réinventer mais on s'adapte en fonction des périodes.
Durant la Coupe du monde, vous vous êtes évertué à répéter que le football était avant tout "une question de rapport de force". Les observateurs oublient-ils souvent l'autre équipe au moment d'analyser les performances des Bleus ?
D.D. : Le football n'est que rapport de force. Sur le terrain, il n'y a qu'un ballon. Je veux que mon équipe l'ait plus que l'adversaire mais, parfois, cela n'est pas possible. Dans ce cas, il faut s'adapter. C'est quoi le football de haut niveau ? Il y a deux zones où il faut être efficace : les deux surfaces de réparation. Lors de la dernière Coupe du monde, on l'a été dans les deux. On fait en sorte d'informer les joueurs sur les données des adversaires, les spécificités individuelles et collectives de l'équipe adverse tout en sachant que cela peut être modifié au dernier moment. C'est un rapport de force, oui. Si l'équipe d'en face préfère défendre plus bas ou plus haut, il faut avoir cette capacité à garder la même efficacité dans toutes les situations. Sélectionneur, le maître-mot, c'est s'adapter en toutes circonstances.
Cela ne vous agace-t-il pas quand on réduit votre travail à cela, au pragmatisme et à l'adaptabilité et que l'on met l'identité de jeu sur le tapis ? D'ailleurs, est-il possible d'avoir une identité de jeu avec une sélection sans un noyau dur de joueurs issus d'un même club ?
D.D. : Ce n'est pas lié à cela l'identité de jeu. C'est une expression qui revient tout le temps mais 98% des gens ne sauraient pas la définir. Si vous me parlez du Barça et de l'Espagne, entre 2008 et 2012, ok. Après, il y a des styles différents et, je le répète, un sélectionneur doit s'adapter aux joueurs qu'il a pour les mettre dans les meilleures conditions et ceci dans un cadre collectif. Et la finalité, c'est de gagner des titres. Il faut être le plus performant possible dans un laps de temps le plus réduit. C'est aussi pour cela que le noyau dur est important car les joueurs se connaissent, ce qui n'empêche pas d'ouvrir la porte, de faire revenir des joueurs ou faire venir des nouveaux. On entend des gens dire : 'Il garde toujours les mêmes, il appelle des jeunes, il rappelle des anciens…' Mais il faut de tout pour un équilibre ! C'est d'ailleurs l'un des maîtres-mots l'équilibre : équilibre entre l'expérience et la jeunesse, équilibre défensif et offensif. Mais c'est quelque chose de très fragile.
Si on vous écoute, vous êtes une sorte de funambule…
D.D. : Non mais ce n'est pas rationnel le football. C'est ce qui le rend passionnant. Entre un poteau rentrant et un poteau sortant à la dernière minute, ce n'est pas la même chose. J'en sais quelque chose…
Récemment, dans une interview au Figaro, vous avez expliqué que vous aimiez "entrer dans la tête des joueurs". Là aussi, il faut être efficace compte tenu du court de laps de temps dont vous disposez…
D.D. : C'est un travail de psychologie, c'est important. On est plus ou moins efficace, on le voit par ce que font les joueurs. Aujourd'hui, dans le management y a une fonction de préparateur mental qui apparaît. Certains en ont peut-être besoin mais moi, si on me le propose, je dis non. A quoi je sers autrement ? C'est une grande partie de mon travail la relation de confiance avec les joueurs, activer certains leviers à certains moments dans un cadre collectif. J'aime faire ça.
Faire fonctionner les jambes, c'est une chose. Mais comment s'y prend-on avec les têtes…
D.D. : La réalité est simple : c'est la tête qui commande, pas les jambes. Si la tête ne va pas, le corps ne suivra pas. Le moteur est là-haut. Entre un joueur qui est en confiance et un qui ne l'est pas, quel que soit son âge, son nombre de sélections… La performance est à des années-lumière. Et ce n'est pas toujours dire au joueur ce qu'il veut entendre, c'est aussi de dire ce qui ne va pas pour leur bien et celui du groupe. Au-delà des qualités des joueurs, ce qui m'intéresse autant, c'est connaître les hommes. Leurs qualités, leurs défauts…
On a pointé les difficultés inhérentes au poste de sélectionneur en 2018. Mais, émotionnellement, le football de sélections, cela reste tout de même le top. Vous l'avez encore vécu cet été…
D.D. : Je suis très heureux. Je l'étais même avant d'être champion du monde. Je suis épanoui dans le rôle de sélectionneur. Etre entraîneur de club, c'est usant, c'est lourd, c'est H24… Y a le côté long terme qui de la sélection qui me plaît, même si c'est au détriment de la complémentarité, de l'osmose et des joueurs. Aujourd'hui, j'ai une vie en dehors de la sélection. Quand on entraîne un club, la vie privée est quasiment réduite à néant.
Justement, vous imaginez vous reprendre un club dans le futur ?
D.D. : Je n'y pense pas, je suis bien là. J'aurai une vie demain, après-demain… Je ne me suis jamais soucié de la suite. Ça changera à un moment ou à un autre pour différentes raisons. Mais je suis quelqu'un de positif et je sais que chaque jour qui passe me rapproche du jour où je ne serai plus sélectionneur. Je fais en sorte de le rester le plus longtemps possible…
Vous venez d'avoir 50 ans…
D.D. : Il paraît, oui… (sourire)
Vous êtes-vous fixé une date butoir à la tête des Bleus ?
D.D. : Ma femme me l'a rappelé récemment : quand j'ai commencé, je lui ai dit 'je ne ferai pas ce métier jusqu'à 50 ans' et puis voilà. Je suis bien, j'ai besoin de ça, c'est ma passion. Si un jour, je vois que je n'ai plus la même envie et détermination, je passerai à autre chose. Mais ne demandez pas quoi, je n'y pense même pas aujourd'hui. Mais j'aurai une vie et serai très heureux.
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