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Un 100 mètres à Wembley... Quand le foot anglais recherchait son joueur le plus rapide

Four Four Two

Mis à jour 09/01/2018 à 08:32 GMT+1

A l’initiative de la télé anglaise et avec un chèque de 10 000 £ à la clé, les joueurs les plus rapides de Grande-Bretagne se sont affrontés lors du Rumbelows Sprint Challenge au printemps 1992. Avec une finale sur la pelouse de Wembley. Pour Eurosport, FourFourTwo vous raconte cette étonnante histoire.

Le Rumbelows Sprint Challenge 1992 (crédit FourFourTwo)

Crédit: Other Agency

Comme beaucoup de longues nuits alcoolisées, celle-ci était complètement imprévue. John Williams, attaquant de Swansea City, et son coéquipier Jon Ford logeaient au Hilton de Watford et avaient programmé une petite soirée tranquille. Jusqu’à ce qu’ils découvrent ce bar gratuit... "Jon aurait pu ranger les bouteilles et se contenter d’une bonne bière, se souvient John Williams. Mais nous avions du steak, des frites et c'était son anniversaire le lendemain. Alors je lui ai dit qu’on devait célébrer ça avec quelques pintes. Bien sûr, c’est devenu deux, trois, quatre... On a aussi bu une bouteille de champagne et des liqueurs. J’étais déchiré."
"Je pense que je suis remonté dans ma chambre à 3h du matin, poursuit-il. J'ai vomi et la seule chose dont je me souviens, c’est de m’être réveillé dans une baignoire avec Jon qui m’envoyait de l’eau froide au visage. Cela a été comme une onde de choc et je me suis jeté sur lui avant de réaliser ce qu'il se passait. Il me criait dessus : Nous sommes en retard, nous sommes en retard !" Williams, malgré une terrible gueule de bois, avait rendez-vous à Wembley. C'était jour de finale : celle de la League Cup en 1992. Et s'il n'était pas concerné par le match, il devait y courir pour le titre de footballeur le plus rapide de Grande-Bretagne.
Depuis 1992 et la naissance de la Premier League, beaucoup de choses ont évidemment changé. Souvent dans le bon sens. Mais ceux qui ont vécu les années '70, '80 et le début des '90 se rappellent avec nostalgie de tous les divertissements qui étaient proposés autour du football. En 1976 par exemple, Kevin Keegan a été champion avec Liverpool mais a également été autorisé à participer à Superstars, une mini-Olympiade organisée par la télé et durant laquelle il a été victime d’une lourde chute à vélo. Difficile d'imaginer Harry Kane, Kevin De Bruyne ou Eden Hazard avoir le feu vert de leur club pour faire pareil show en pleine saison.

"Vous êtes là parce que vous pouvez attraper des pigeons"

Le Rumbelows Sprint Challenge s'insérait parfaitement dans ces animations inimaginables aujourd’hui. Un show imaginé par des producteurs télé et financé par Rumbelows, un vendeur d’appareils électriques sponsor de la League Cup. Le principe ? Organiser une grande compétition de sprint pour désigner le joueur le plus rapide du Royaume-Uni. L'idée a séduit les fans. "La rumeur s'est vite répandue dans les clubs, se souvient Kevin Bartlett, l'attaquant de Notts County. La vitesse a toujours été une grande force de mon jeu alors je savais que j'avais une chance de gagner."
Les 92 clubs de l'English Football League (EFL) - Premier League, Football League Championship, Football League One et Football League Two - ont été invités à présenter un candidat. La plupart a opté pour des jeunes ou des joueurs peu utilisés, qui ont dû passer par des manches de qualification avant de venir disputer les demi-finales et la finale à Wembley. "Le coach Neil Warnock nous a demandé de nous mettre d'accord entre nous pour désigner celui qui irait courir, raconte Kevin Bartlett à FourFourTwo. Nous avons donc décidé d'organiser une course après l'entraînement. C'était un peu bordélique mais j'ai gagné facilement. Du coup, tous les gars m'imaginaient remporter cet évènement. Ils ont même été voir un bookmaker pour miser de l'argent sur moi."
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La course du Rumbelows Sprint Challenge (Crédit : FourFourTwo)

Crédit: Other Agency

Ce Rumbelows Sprint Challenge avait des règles plutôt simples. Un sprint qui se déroulait sur les 100 yards du gazon de Wembley, avec des concurrents qui devaient porter des chaussures de football et le maillot de leur club. Pas de protège-tibias en revanche. Et des départs debout ou accroupis selon les préférences de chacun. "J’ai toujours trouvé que c’était un peu bizarre, confie John Williams. Les footballeurs sont habituellement rapides sur 10 ou 15 yards mais ils ne sont pas préparés pour en courir 100. Je mesurais 1m91 et j’étais assez disgracieux. J’avais du mal à me lancer mais une fois que c’était fait, j'étais rapide. Mon boss, Frank Burrows, m'a attrapé et m'a dit qu'il m’inscrivait au défi, que j’allais représenter Swansea parce que je pouvais attraper des pigeons. J’ai accepté car cela semblait amusant."
"Nos manches régionales étaient à Portsmouth. J'ai pris le train et j'ai rencontré quelques autres joueurs sur le chemin, comme John Beresford, qui évoluait à Bristol Rovers. Nous sommes arrivés à Fratton Park et nous avons fait la course. Je l'ai battu dans les deux manches.
C’était un bon moment et en plus, j'ai gagné 500 £ et une télé.
"Je pensais que c'était fini pour être honnête mais quelqu'un m'a dit que j'étais seulement qualifié pour la finale, se remémore Williams. Je pensais que ce serait un bon moment."
Mais pas forcément au point de gagner ce Rumbelows Sprint Challenge, malgré son surnom de Postier Volant en référence à un emploi précédent pour le Royal Mail. "J'ai toujours été un bon athlète et je me souviens d'un manager qui m'avait dit que j'avais les jambes d’un cheval de course, s’amuse-t-il. Tous les gars de Swansea pensaient que j'avais une chance de gagner mais quand j'ai commencé à regarder les séries après avoir fait mes courses, j'ai vu Kevin Bartlett en compétition. Il gagnait avec 15 yards d’avance. On aurait dit Ben Johnson, sans les produits dopants ! Il était petit, puissant et réalisait des temps incroyables."

"Fais-le boire et tu auras affaire à moi"

Oui mais voilà, Bartlett a eu un problème. "Dans les semaines précédant la finale, j'ai été blessé, raconte-t-il. Je n’ai guéri qu’une semaine avant la course. Et puis, j’étais remplaçant la veille lors d’un match avec County. Je n'étais pas à 100% mais j'étais confiant. Je suppose que les courses de qualification avaient fait de moi le favori des bookmakers. On pouvait voir que tout le monde prenait cela très au sérieux. Rumbelows avait offert un chèque de 10 000 £ alors on voulait tous gagner. Et surtout aller à Wembley pour être couronné le joueur le plus rapide. A Nottingham en tout cas, ils étaient sûrs que je gagnerais."
Williams était lui dans un état de forme encore moins bon. Et pas seulement à cause de sa cuite : il avait joué 90 minutes la veille de la grande finale à Wembley. "Nous avions un match à Darlington, confirme-t-il. Nous avions fait 1-1 et j'avais marqué un but. Avec Jon Ford, on avait ensuite pris un bus jusqu’à Birmingham puis le train pour rejoindre notre hôtel. Je me souviens que le coach Frank Burrows avait dit à Jon : 'Si tu le saoules, tu auras affaire à moi'. Jon lui a répondu qu’il n’avait rien à craindre mais finalement, c'est arrivé. Mais malgré ma gueule de bois, je me sentais détendu sur la ligne de départ."
"Il y avait 75 000 personnes dans le stade, essentiellement des supporters de Manchester United et de Nottingham Forest qui s'affrontaient en finale de la League Cup, se souvient-il. Le pauvre Keith Curle, qui jouait pour Manchester City, avait pratiquement besoin d'un garde du corps tant il était pris pour cible." L’évènement est évidemment diffusé en direct à la télévision. Avec un expert des cotes qui fait de Bartlett un favori à 3 contre 1. Le coureur de demi-fond Steve Cram est lui aussi consulté. "C'est une course d'endurance pour les footballeurs, explique-t-il. Ça va être dur pour eux. Dans les trente derniers mètres, les têtes commencent à beaucoup bouger."

Williams vainqueur mais Bartlett le plus rapide

Aux côtés de Bartlett et Williams en finale, on retrouve Michael Gilkes (Reading), Tony Witter (QPR), Leigh Jenkinson (Hull), Adrian Littlejohn (Sheffield United), Efan Ekoku (Bournemouth) et Paul Fleming (Mansfield). Wembley pouvait rugir. Et la course fut lancée. "Je suis parti debout parce que je pensais que si je m’agenouillais, je ne me relèverais plus jamais, se marre Williams. Au moment où on s’est tous aligné, il y avait ce jeune garçon qui jonglait sur la ligne de touche. Il ne regardait même pas le ballon, il me fixait droit dans les yeux. Je me suis dit qu’il était plutôt doué techniquement et j'ai réalisé que c'était Ryan Giggs. J'étais tellement distrait par cette scène que je n’ai pas tout de suite entendu le pistolet du départ."
Bartlett s’est également raté au départ. "Je ne me suis pas lancé assez vite et j’avais trop de retard à rattraper", regrette-t-il. Aux 50 yards, Williams filait comme Usain Bolt. "Je me sentais de plus en plus fort et j’ai compris que j’avais une bonne chance de gagner. C'était un sentiment génial." Au micro, Parry apprécie le moment. Aucun doute possible sur l’identité du vainqueur : "Williams de Swansea !" La ligne est franchie en 11"49 et Williams empoche le chèque de 10 000 £. C’est lui le footballeur le plus rapide du Royaume-Uni.
Le spécialiste Steve Cram se montre alors assez admiratif : "C'est un garçon puissant et il ne serait pas ridicule dans beaucoup de sprints dans le monde entier. Il pourrait vouloir tenter les sélections olympiques plus tard dans l'année." Bartlett est lui arrivé deuxième, profondément déçu malgré son gain de 2 000 £. Et c’est Gilkes qui a pris la troisième place et les 1 000 £ qui vont avec.
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John Williams vainqueur du Rumbelows Sprint Challenge (crédit : FourFourTwo)

Crédit: Other Agency

Un prêt immobilier et une 205 GTI

Ce chèque de 10 000 £ n’avait rien d’anodin pour un jeune joueur professionnel des ligues inférieures. "Cela m’a été très utile, confirme Williams. J'ai pu faire un prêt pour une maison et je me suis acheté une voiture. Une Peugeot 205 GTI 1.9. Ce n'est rien comparé aux Bentley d’aujourd'hui mais j'étais juste un gars du centre-ville de Birmingham. Des tas de personnes m'avaient soutenu et parié sur moi. Avec une cote à 16 contre 1, ils étaient plutôt heureux !"
Tout le contraire pour Bartlett, malheureux deuxième. "Je me suis fait massacrer en rentrant à Nottingham, dit-il. Je suis toujours en contact avec beaucoup de joueurs et même aujourd'hui, ils me rappellent qu’ils ont perdu leur argent par ma faute. Et les fans m’en parlent aussi." Seule petite consolation : c’est lui qui a été le plus rapide... "J'ai couru en 11.40 dans les manches qualificatives donc je me considère toujours comme le footballeur le plus rapide." Williams ne s’en offusque pas. "Ce n'est pas ce que vous faites avant qui compte, c'est ce que vous faites en finale", rigole-t-il.
Avec la liquidation financière de Rumbelows plus tard dans l’année et l’acquisition des droits du football anglais par Sky, le Rumbelows Sprint Challenge ne sera plus jamais organisé. "Nous avons tous reçu des remboursements de nos frais de déplacement et une télévision de la part de Rumbelows, précise Williams. C'est probablement pourquoi ils ont fait faillite (rire). Franchement, j’ai eu peur de ne pas toucher mon argent mais ils ont payé. C'est amusant aujourd’hui de pouvoir dire que je suis toujours le joueur le plus rapide. D’autant qu’une telle course ne pourrait plus avoir lieu. Les joueurs sont devenus des rock-stars, complètement détachés des fans. Le foot, c'est désormais une grosse industrie."
Le plus rapide de tous, John Williams, a également reçu une précieuse leçon de vie. "C'est la dernière fois que je me suis saoulé !" Parole de sprinteur.
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