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Vietnam, hutte et combats de serpents : l’incroyable tournée mondiale du Dallas Tornado en 1967

Four Four Two

Publié 25/04/2018 à 00:48 GMT+2

Pensionnaire de la Ligue nord-américaine de football (NASL) jusqu’en 1981, le Dallas Tornado s’est lancé en 1967 dans une tournée mondiale hors-norme. Jusqu’à jouer deux matches dans un Vietnam en pleine guerre.

Les souvenirs du Dallas Tornado (Crédit photo : FourFourTwo)

Crédit: Other Agency

Le nom de Bob Kap ne vous dit sûrement rien. En 1967, cet entraîneur méconnu s’est pourtant lancé avec ses joueurs du Dallas Tornado dans la plus folle des tournées mondiales de pré-saison. Pendant sept mois, la formation de la Ligue nord-américaine de football (NASL) va visiter dix-neuf pays et disputer 45 matchs amicaux. Avec un seul entraîneur, sans aucun personnel médical et surtout sans la moindre idée de la date du retour à la maison.
Ce périple a été imaginé par l’ancien sportif Lamar Hunt, devenu promoteur du soccer aux Etats-Unis. En 1967, ce futur père-fondateur de la MLS (qui a également aidé à concevoir le Super Bowl) avait pour mission de vendre le football à un public américain de masse. Avec le lancement programmé de la NASL en 1968, Lamar Hunt voulait s’appuyer sur une équipe de Dallas, sa ville natale, pour envoyer un message lors d’une grande tournée et ainsi modifier les perceptions d’un sport peu pratiqué aux USA.

Un groupe de globe-trotters inconnus

Il a d’abord fallu bâtir une équipe. Et aussi étrange que cela puisse paraître, cela s’est avéré d’une incroyable simplicité. Bob Kap, originaire de Skopje et qui avait fui l'Europe avec sa famille pour rejoindre le Canada lors de la Révolution hongroise de 1956, a été nommé entraîneur du Tornado. Puis une campagne de publicité a été lancée via des journaux à travers l'Europe, vantant aux joueurs la possibilité d'une nouvelle vie aux Etats-Unis.
Mike Renshaw, âgé à l’époque de seulement 19 ans, évoluait avec les équipes de jeunes de Blackpool quand il a décidé de s’embarquer dans l’aventure. Le défenseur John Stewart, viré de son Liverpool bien-aimé par le légendaire Bill Shankly, a pour sa part considéré cette proposition comme un excellent moyen d’évacuer plus facilement sa rancœur. Quant à Brian Harvey, frère cadet de Colin, joueur vedette d’Everton, il avait, lui aussi, besoin de changement après n’avoir fait qu’une seule apparition avec l’équipe de Chester.
Au cours des six mois précédents, l'assistant de Lamar Hunt a parcouru le globe en payant grassement un certain nombre de clubs et de fédérations pour établir le programme d’une tournée qui serait complètement impensable de nos jours. Des escales en Australie, à Tahiti, au Japon et en Nouvelle-Zélande semblaient une bonne idée en comparaison à des passages en Inde, au Pakistan, en Iran et au Vietnam, pays déchiré par la guerre. "C'était fou, s’amuse encore John Stewart avec un petit sourire. Imaginez des joueurs qui partiraient aujourd’hui en tournée en Irak !"
Ils sont dix-huit à débarquer en Europe. Un groupe composé d'Anglais, de Hollandais, de Suédois, de Norvégiens et d’un seul joueur américain, du nom de Jay Moore. Tout ce petit monde a l’obligation de porter la tenue officielle du club – pantalon en jean, chemise à carreaux et un chapeau Stetson – mais également de passer chez le coiffeur. "On était dans les années 60, avec les hippies et tout le reste, explique le milieu de terrain suédois Jan Book. Beaucoup d'entre nous avaient les cheveux longs. Mais Lamar Hunt ne voulait pas de ce look."
Les souvenirs de la tournée du Dallas Tornado en 1967 (Crédit photo : FourFourTwo)

Olé, olé, oh la...

Compte tenu du programme et d’un timing souvent serré, les séances d'entraînement se font rares. Priorité est donnée à des évènements et des représentations, même si tout ne se passe pas toujours comme prévu. A Madrid, les joueurs de Dallas assistent ainsi à une corrida quand ils sont expulsés de l’arène pour avoir manqué de respect envers le matador. "Il nous a jeté son chapeau alors on l’a ramassé et on lui a renvoyé en pleine tête, ricane Jan Book. Nous étions tous des petits cons."
Les joueurs ont à peine le temps de se connaitre qu’il faut déjà disputer un premier match amical face la formation de Cordoue, qui avait battu trois semaines auparavant le puissant Real Madrid. "Nous étions morts de trouille, explique Book. Nous n'avions jamais joué dans de telles conditions." La première sortie d’une équipe américaine sur le sol européen se solde par une lourde défaite (4-0). Mais pas de quoi entamer l’enthousiasme de la joyeuse petite bande. Cinq matchs sont prévus à Madrid et après deux victoires rassurantes, les joueurs de Dallas font la rencontre de Ferenc Puskas - un vieux copain de Bob Kap durant ses années hongroises - et de ses coéquipiers du Real.
Tout n’est cependant pas rose et la tournée prend une première tournure inattendue après la traversée du détroit de Gibraltar. Opposés au club marocain de l'UD Tanger, les garçons de Bob Kap se dirigent vers la victoire quand l'arbitre prolonge le match de quinze minutes, espérant voir les joueurs marocains égaliser. D’autres incidents de ce genre vont contribuer à forger des liens forts, comme en Turquie où le Dallas Tornado affronte une excellente équipe de Fenerbahçe emmenée par Lefter Kucukandonyadis, souvent cité comme le meilleur footballeur turc de tous les temps.
"Certains joueurs turcs étaient des sales types, se souvient Bill Crosbie. Ils faisaient toutes sortes de choses antisportives, y compris nous pincer les testicules. Mais nous avons réussi à repartir avec un superbe match nul (2-2)." La suite de la tournée mettra en revanche à l'épreuve la détermination des joueurs les plus motivés. Alors qu’ils attendent un avion à l’aéroport d'Athènes pour se rendre à Chypre, ils apprennent qu’un appareil a explosé au-dessus de la mer Méditerranée, tuant les 66 personnes présentes à bord. "Nous n'avions jamais entendu parler d’une bombe dans un avion auparavant, explique Book. Même si ce n’était pas notre appareil, c'était quand même très effrayant."

Viré dans des toilettes

Quelques jours plus tard, les joueurs débarquent en Iran et assistent au couronnement spectaculaire du Shah. Téhéran, la ville des mille lumières et d'un marathon footballistique. Au programme dans ce pays que l’on appelle encore la Perse, cinq matchs en huit jours. Et un groupe amputé de deux éléments. Le Norvégien Tom Weinholdt est rentré à la maison après une blessure alors que le Britannique Graham Stirland, accusé par son entraîneur de ne pas être dans l’esprit de l’équipe et de la tournée, est viré après une discussion houleuse… dans les toilettes de l'aéroport.
Assister au couronnement en Iran de Mohammad Reza Pahlavi, le 26 octobre 1967, ne sera pas la seule expérience marquante pour les membres de la tournée. Les joueurs sont en effet confrontés à des réalités sociales parfois choquantes, que ce soit en Inde ou au Pakistan. "C’est sûr qu’on ne voyait pas souvent des serpents se battre contre des mangoustes sur les trottoirs de Manchester, confirme Stewart. La plupart des membres de l'équipe n’avait jamais quitté l'Europe avant ce tour du monde. Et encore moins pour se confronter à des villes déchirées par la pauvreté comme Calcutta et Karachi."
L'équipe des Dallas Tornado lors de leur tournée en 1967
Ce séjour au Pakistan permet à l’équipe de Dallas de mettre un terme à une longue disette de six semaines sans victoire. Un succès face à un club de Karachi redonne le sourire aux joueurs. Puis le Dallas Tornado est censé franchir la délicate frontière avec l'Inde (les deux pays ont été en guerre en 1965 et le seront de nouveau en 1971). Tous les joueurs en possession d’un passeport britannique y sont bloqués. Ce n’est pas le cas pour les non-membres du Commonwealth, à commencer par Bob Kap qu’on laisse passer avec ses papiers canadiens.
"On pensait rester quelques heures sur place, le temps que tous les visas soient vérifiés, mais nous avons fini par passer la nuit dans une hutte, raconte Book. C'était une petite ville frontalière et je suis sûr que personne n'avait jamais vu une personne blanche auparavant. Tout le monde était dehors et nous regardait. Nous leur avons donné des ballons et ils nous ont amené du poulet et du jus d'orange car nous n'avions rien à manger." Les heures passent et l'espoir de pouvoir franchir la frontière diminue. "Alors nous avons soudoyé quelqu'un pour creuser un trou dans la clôture et nous l'avons traversée avec nos bagages et notre équipement au milieu de la nuit, se souvient Book. Nous sommes finalement arrivés à Calcutta à 6h00. Et il a fallu disputer un match à midi."
La tournée indienne n'est pas brillante, avec une seule victoire en sept matchs. Mais nager ensuite dans les eaux scintillantes du Sri Lanka a aidé à calmer les esprits, même si l'équipe nationale a battu deux fois la formation américaine. Puis direction la Birmanie, avec une réception dans une ambassade à la décoration opulente. "Certaines chaises avaient été fabriquées à partir de jambes d'éléphants", se rappelle Stewart. La prochaine escale est en revanche beaucoup moins accueillante. Les joueurs de Dallas débarquent à Singapour, alors majoritairement composée de communistes chinois.

Sous le feu

L’équipe s’apprête à disputer un match devant 50 000 spectateurs remontés, scandant des slogans comme "Rentrez-chez vous, Yankees", quand elle est attaquée par des individus qui utilisent les poteaux de corner pour frapper les joueurs. Tout le monde se réfugie dans le vestiaire mais le cauchemar va se prolonger plusieurs heures. "On est resté sur place en attendant une escorte militaire, précise Jan Book, blessé par une pierre lancée des gradins. La foule attendait dehors, c'était un moment compliqué."
La deuxième rencontre prévue le lendemain soir est également annulée. Et l’équipe s’envole pour... le Vietnam. Une escale que Jan Book n’est pas prêt d’oublier. "Alors que l'avion s'apprêtait à atterrir, le pilote est arrivé et nous a dit : ‘Si vous voyez des explosions de fumées blanches par les hublots, c'est que l'ennemi nous tire dessus. C’est pour ça que nous allons voler très haut et atterrir très rapidement.’ On a tous baissé les yeux et on s’est dit merde, c’est la guerre !"
"Une fois que nous avons atterri sur le tarmac, on est descendu de l’avion et on est tombé sur tous ces sacs mortuaires", se souvient Crosbie. L’équipe se rend plusieurs fois à l'ambassade américaine pour des briefings de sécurité. "On a été à l'hôpital militaire avec Per Larsson, raconte Jan Book. Nous étions assis et on voyait des soldats américains arriver avec toutes sortes de blessures vraiment terribles. Je me souviens avoir vu un gars se faire amputer d’un bras en raison d’éclats d'obus. Nous, on était là car Per avait une épaule démise depuis le dernier match."
Le lendemain, l’équipe effectue une excursion sur la rivière Saigon puis rencontre des soldats américains dans une énorme décharge d'armes. "C’était irréel d'être assis là et de parler à des troupes américaines, se remémore Stewart. Ils nous ont dit comment était leur vie au Vietnam et à quel point ce n’était pas bon." Le Dallas Tornado signe deux matchs nuls contre le Vietnam et Saigon. Deux nuls sous la surveillance de la police militaire, sous les hélicoptères et les bombes. "Des soldats faisaient face à la foule avec des fusils pendant que nous jouions, raconte Crosbie, l'un des six Scousers (originaire de Liverpool) de la tournée. Même si on était dans le Vietnam du Sud et que les gens étaient amicaux, c'était un peu étrange."

Une saison catastrophique

Un mois plus tard, le Viet Cong et l'Armée populaire vietnamienne déclencheront l'offensive commune du Têt. Le Tornado était parti depuis longtemps, poursuivant son tour de l'Asie de l'Est entre Taiwan, Tokyo (où il a affronté une équipe japonaise qui a ensuite remporté la médaille de bronze aux Jeux Olympiques de 1968) et les Philippines. Avant de retrouver des zones beaucoup plus sûres du côté de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Neuf matchs en Australasie ont mis un terme temporaire à ce tour du monde, l’équipe effectuant alors un voyage exténuant de 24 heures pour rentrer à Dallas. Avant un mini-tour de l'Amérique Centrale afin d’affronter des équipes physiques comme le Costa Rica, le Honduras et le Guatemala.
Deux semaines plus tard, le Dallas Tornado débute sa saison de NASL par une lourde défaite 6-0. Et après quatre matchs sans victoire, quatre membres de la fameuse tournée sont sortis de l’équipe. Book en fait partie. Le niveau de la compétition nationale s'avère finalement trop élevé et le Tornado termine dernier de la 'Gulf Division'. Le bilan n’est pas fameux : deux victoires en 32 matchs et 109 buts encaissés.
Le Dallas Tornado disparaitra tristement en 1981, incapable d’assumer des investissements irréfléchis pour essayer de vivre dans l’ombre du Cosmos de New York. Mais l’histoire de leur tournée de 1967 est ancrée dans toutes les mémoires. "Ça aurait pu être tellement mieux, conclut Stewart, devenu policier et longtemps au service de la famille royale en Angleterre. Mais si c’était à refaire, je recommencerai sans hésiter."
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