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Le Nürburgring, éternel prisonnier de son fantôme

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 09/10/2020 à 09:51 GMT+2

GRAND PRIX DE L'EIFEL - Le Nürburgring sur lequel les pilotes vont courir ce week-end est destiné à souffrir éternellement de la comparaison avec le redoutable et fascinant "Ring" d'antan. En voulant entrer de plain-pied dans la modernité en 1984, il avait renoncé à tout ce qui faisait la magie d'une piste.

Nico Rosberg (Mercedes) au Grand Prix d'Allemagne 2013

Crédit: Getty Images

Le Nürburgring souffre d'une réputation de mal aimé depuis son retour au calendrier de la Formule 1 en 1984, dans sa version courte - à l'époque 4,542 km - du "Circuit de Grand Prix" qui n'a plus rien à voir avec le géant de 28,265 km inauguré en 1927. "Définitivement moins spectaculaire que son prédécesseur", reconnaît elle-même la Scuderia Ferrari à la veille de la onzième manche 2020 qui va s'y tenir ce week-end.
Le moderne n'a même plus rien en commun avec l'ancien, et c'est un problème. S'il avait pu en garder ne serait-ce que quelques atours, il serait autrement considéré aujourd'hui et on ne le soumettrait pas aussi souvent à la comparaison avec ce monstre intimidant, immense vestige d'un passé révolu. "Quiconque prétend avoir aimé le circuit original mentait ou n'y était pas assez rapide, a dit un jour Jacky Stewart. Quand on revenait au stand, on remerciait Dieu d'être entier."
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L'Ecossais savait de quoi il parlait. Il y avait triomphé dans des conditions apocalyptiques en 1968, sur pas moins de 176 virages - 73 officiellement recensés aujourd'hui - dont beaucoup trop de rapides, sans dégagement ou en aveugle, au milieu de dénivelés et de 17 sauts imposés aux monoplaces. Le futur triple champion du monde avait survécu à la fameuse "Nordschleife" (boucle Nord) de 22,810 km, la "Südeschleife" (boucle Sud) ne faisant depuis longtemps plus partie du développement retenu pour les grandes occasions. Depuis sa première en championnat du monde de Formule 1 en 1951, notamment.
La "Nordschleife" était incarnée par tant de choses, dont le célèbre Carrousel - un virage à 180° - n'était pas la moindre. Et Juan Manuel Fangio l'aurait fait entrer au Panthéon de la course s'il ne l'avait pas été déjà en 1957, lorsqu'il avait opéré l'une des plus fascinantes remontées au volant de sa Maserati, pour se parer de sa cinquième couronne. Sa 24e et dernière victoire aussi, avant les premiers signes d'un inexorable déclin.
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Le Carrousel du Nurburgring au Grand Prix d'Allemagne 1972

Crédit: Getty Images

Tout pour la vitesse à Hockenheim

Ce monstre qu'était le Nürburgring imposait le respect. Pour tous, il était le "Ring" et jamais son avatar qui revisite à présent des portions de la boucle Sud n'a mérité ce surnom de seigneur. Le tracé du prochain Grand Prix de l'Eifel, étalé sur 5,148 km dans les environs d'Adenau, reste ce coupable qui a marqué à coups de millions de Deutschemarks l'entrée de la Formule 1 dans cette modernité controversée, synonyme de circuits sans caractères, abandonnés au formatage des impératifs sécuritaires. Dans son impuissance créative en 1984, il s'est quand même doté d'un paddock spacieux, de tribunes d'un gigantisme et d'un confort jusque-là inconnus en Grands Prix, d'un bitume assurant un drainage optimal et - grande première - d'une route intérieure favorisant l'intervention des secours. Sur ce point, il fut un formidable pas en avant, un essentiel progrès.
C'est un fait, le Nürburgring, rénové à coups de vallons rabotés et de virages à rayons constants, a raté sa mue et n'a dès lors jamais été traité avec les mêmes égards. En 1984, lorsqu'il revient au programme de la Formule 1 après huit ans d'absence, un 7 octobre, c'est en tant que Grand Prix d'Europe, deux mois après le Grand Prix d'Allemagne. Bref, il apparaît comme un doublon, loin de la complémentarité anglaise Brands Hatch - Silverstone de l'année précédente. Sans parler de son rival Hockenheimring, installé comme site permanent du Grand Prix d'Allemagne en 1977. Créé pour la moto, le toboggan du Baden-Württemberg a de suite été vu comme deux grandes lignes droites raccordées par un virage dans la forêt, avec d'une partie "Stadium" pour assurer des recettes. Mais ce parti pris l'a aussi imposé comme le pendant allemand de Monza, en dépit de ses chicanes. Un nouveau rendez-vous incontournable dans un été dédié à la vitesse, en osmose avec le Zeltweg autrichien et le Spa belge.

Autre chose que 14 tours le dimanche

Sans "patte" particulière, le Nürburgring de 1984 a incontestablement échoué à se réinventer, au contraire par exemple de Spa-Francorchamps qui a pris le chemin opposé. Ramené à 7 km un an auparavant pour continuer d'exister, le tracé ardennais est resté un concentré d'adrénaline dans un décor de rêve, autant adulé et redouté que l'effrayant développement de 14 km notoirement dangereux.
Pourtant, le Nürburgring avait reçu un sérieux avertissement qui aurait pu lui éviter de se renier, de devenir un autre. Dénoncé régulièrement pour son manque de sûreté, il s'était s'incliné en 1970 devant la fronde des pilotes menée par Jochen Rindt, champion du monde cette année-là à titre posthume, et Jackie Stewart, pionnier de la sécurité. Jusqu'à perdre sa place en cours de saison au profit d'Hockenheim. Supplanté, "l'Enfer vert" avait fait son retour en 1971, suite à la réalisation des travaux réclamés. Pour un temps, pour un sursis. Jusqu'à ce grave accident de Niki Lauda en 1976, qui l'avait rendu impropre à la Formule 1.
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Jackie Stewart (BRM) au Grand Prix d'Allemagne 1966

Crédit: Getty Images

Le Nürburgring a sûrement eu ses maladresses, mais il ne faut pas oublier qu'il a suivi les nouvelles normes d'un sport en quête de médiatisation, de lisibilité, passant par de coûts de production télévisuelle réduits (moins de caméras), et de spectacle à proposer sur place au-delà d'un quota famélique de 14 tours le dimanche.
De cet avant-gardisme est donc né un tracé où le freinage du virage n°1 est cité par les pilotes comme l'endroit pour dépasser, la dernière chicane comme un exercice de franchissement excitant… Au milieu de lignes droites raccordées par des virages à moyennes vitesses… Mais vendredi, il y aura au moins un semblant de nouveauté car le circuit n'a plus accueilli la F1 depuis sept ans. "Le premier virage est un véritable défi et il représente une opportunité de dépassement, confirme Esteban Ocon, pilote Renault. Il y a plusieurs façons de l'aborder comme il s'agit d'une large épingle difficile à négocier parfaitement. Le deuxième secteur est amusant avec la courbe Schumacher, une montée, un premier gauche-droite rapide, puis un second. Le dernier secteur propose une ligne droite menant à la chicane, puis le dernier virage à droite vers la ligne d'arrivée. Cela sera très rythmé avec une F1 moderne. Nous retrouvons un type de tracé plus classique, correspondant davantage à ceux auxquels nous sommes habitués."
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Rendez-vous avec l'histoire ?

"Cela fait un moment que je n'ai pas roulé au Nürburgring puisque ma dernière expérience remonte à 2013, note Daniel Ricciardo, coéquipier du Français. Au niveau de la piste, la dernière chicane est assez plaisante, car on l'aborde rapidement pour sauter sur les vibreurs, d'où une sortie du virage assez violente. Cela sera très rapide avec les F1 actuelles."
Malheureusement, le "Schumacher" est une exception car le nouveau Nürburgring a donné aux autres virages des noms de sponsors. C'est là aussi où le circuit est peut-être passé à côté de quelque chose car c'est précisément quand on entend les pilotes évoquer "Copse", "Maggots", "Becketts" à Silverstone, "Eau rouge", "Blanchimont" à Spa, les "Lesmo", "Ascari", à Monza qu'on sait que les lieux sont entrés dans l'affectif et valent bien plus que de simple "n°1", "n°2"…
S'il fallait encore parler de ce qui fait le manque d'attrait du Nürburgring, on pourrait citer Ciaron Pilbeam, ingénieur de course en chef de Renault, rappelant que "le temps est normalement frais et parfois humide à cette période de l'année"… "La Formule 1 y a couru deux fois en octobre, en 1984 et en 1995, et on s'attend à un temps assez froid, une météo changeante, et des difficultés pour les équipes et les pilotes à faire fonctionner au mieux les pneus et tous les systèmes des voitures", complète Ferrari.
Pour autant, c'est ce temps imprévisible qui a écrit quelques-unes des plus belles pages de la course. Comme en 1995, lorsque Michael Schumacher (Benetton) avait fini au par déposséder Jean Alesi (Ferrari) de la victoire sur une piste humide. Ou en 2007, lorsqu'un violent orage avait semé la pagaille dans le peloton, envoyé pas mal de bolides dans les graviers, et abouti à un duel mémorable entre Fernando Alonso (McLaren) et Felipe Massa (Ferrari).
Si ce week-end les impers devraient faire partie de la panoplie du paddock, ce Grand Prix d'Eifel pourrait aussi entrer dans l'histoire en célébrant la 91e victoire de Lewis Hamilton en Formule 1, ce qui ferait du Britannique l'égal statistique de Michael Schumacher. De quoi se faire une place - enfin - dans l'histoire du Championnat du monde ?
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