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Drame, beau geste et doigt d'honneur : Cinq grands prix mémorables à Monza

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 08/09/2014 à 15:42 GMT+2

Depuis la création du Mondial, Monza n'a manqué son rendez-vous avec la F1 qu'une fois. Voici cinq éditions appartenant à l'histoire du Grand Prix d'Italie.

Michael Schumacher (Benetton) et Damon Hill (Williams) au Grand Prix d'Italie 1995

Crédit: Imago

1956 : le geste incroyable de Collins

Lors de cette finale italienne du Mondial, deux des trois prétendants à la couronne portent le blason au Cavalino rampante : Juan Manuel Fangio et Peter Collins. L'Argentin compte 30 points au Championnat, et le Britannique 22. Mathématiquement, Peter Collins a besoin - comme le Français Jean Behra (Maserati) du reste - de gagner et d'établir le meilleur tour (un point) pour coiffer le grand Fangio.
Au 42e de 50 passages au programme, Behra renonce sur problème de direction et le scenario idéal prend forme pour Collins cinq tours plus tard, lorsque Fangio voit la Ferrari qu'il partage avec Castellotti rendre l'âme. Troisième, il peut encore doubler Luigi Musso (Ferrari) et Stirling Moss (Maserati). Mais à la surprise générale, il offre à Fangio de monter dans sa voiture pour terminer deuxième et partager finalement les six points de sa deuxième place. Et décrocher un quatrième titre.
"Je dois adresser un grand merci à Peter Collins", s'exclame à l'arrivée Fangio, empli d'un respect définitif. "Ferrari était assuré du titre et ne nous avait donné aucune consigne. Lorsque j'ai cassé la direction de ma voiture, j'ai trouvé absolument normal que Luigi Musso ne me cède pas son volant. Jugez donc ma joie lorsque, à un arrêt pour changement de roue, Peter Collins, en troisième position, a sauté hors de sa voiture pour crier : 'A toi Fangio'."
"Normal de lui passer le volant", expliquera Collins, toujours au reporter du quotidien l'Equipe. "Fangio est notre patron à tous, le maître. Ce n'est pas comme spectateur qu'il devait être sacré champion du monde, mais au volant d'une monoplace, en terminant avec les honneurs de la bataille, à la pointe de la bagarre." Dans les deniers tours, Collins avait estimé qu'il n'avait plus aucune chance de gagner, présumant qu'il n'arriverait rien à Musso et Moss. Un bel esprit fair-play.
Pourquoi c'est magnifique : un sacrifice devenu impossible.
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Juan Manuel Fangio (Ferrari) au Grand d'Allemagne 1956

Crédit: Panoramic

1971 : l'arrivée la plus serrée

Monza et ses interminables rectilignes reliées par des grandes courbes rapides n'est pas pour rien le "Temple de la vitesse". Dans sa Matra servie par un moteur doté d'une évolution, Chris Amon a foncé vers la pole position à 251,214 km/h de moyenne, et le lendemain promet une sacrée explication car d'autres sont prêts à la surrenchère : Jacky Ickx (Ferrari), à qui les chronométreurs ont un temps attribué la pole position et reclassé deuxième, Jo Siffert (BRM), troisième et sensationnel vainqueur du Grand Prix d'Autriche sur l'intimidant et vertigineux Österreichring. Ou encore Clay Regazzoni (Ferrari), Ronnie Peterson (March), Jackie Stewart (Tyrrell), François Cevert (Tyrrell).
Le dimanche, la fascination est bien au rendez-vous et le circuit consacre l'aspiration comme l'exercice en vogue, indispensable préalable à la victoire, au podium, à l'intronisation dans le cercle des sans-peur. Et pendant 51 tours, les leaders se succèdent tels des funambules - Regazzoni, Peterson, Stewart, Cevert, Hailwood, Siffert et Amon - quand Gethin prend la tête. A bord de sa BRM, le Britannique déploie des trésors d'intelligence pour éviter de tracter ses rivaux, toujours groupés à des allures folles. Effrayant et génial.
Gethin mène les tours 52 et 53 mais se fait déborder par Peterson, Cevert et même Hailwood dans le tour 54. Tout est à refaire... Mais dans le dernier tour, l'Anglais joue son va-tout, et conduit toujours comme s'il avait volé son bolide. Comme les autres... Comment se placer, où, pour réaliser le hold-up ? Gethin réfléchit, passe Hailwood et voit Peterson et Cevert s'écharper. L'entrée de la parabolique est le moment décisif : Peterson et Cevert l'abordent à gauche, laissant l'intérieur à Gethin, qui file pour de bon. Quant à Hailwood et Ganley, ils s'engouffrent dans le tournant en battus. Qu'importe, ils seront de cette arrivée historique. Gethin devient le vainqueur le plus rapide (242,616km/h) et le plus précaire de tous les temps, 0"01 devant Peterson. Cevert suit à 0"09, Hailwood à 0"18, Ganley à 0"61.
Pourquoi c'est historique : le Top 5 toujours le plus serré de tous les temps et un record toujours vivant de leaders (8) pour un grand prix. Et trente-deux ans et trois chicanes plus tard, le record de la victoire la plus véloce sera enfin surpassé par Michael Schumacher (Ferrari), à 247,586km/h de moyenne.
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Peter Gethin (McLaren) au Grand Prix de Monaco en 1971

Crédit: Imago

1978 : le drame Peterson

Monza, la vitesse, les drames. En 1928, six ans après la création de l'autodrome nazionale, la voiture de Materassi a volé dans la foule et fait vingt mort. En 1961, dans le cadre du Mondial, Wolfgang von Trips (Ferrari) a emporté dans son tragique destin 14 spectateurs. En 1978, le malheur s'invite une fois de plus, privant le Mondial d'un pilote aimé, renommé : Ronnie Peterson.
A cette époque, la sécurité est encore balbutiante, les procédures incertaines. Chaque organisateur fournit son directeur de course. Et en ce 10 septembre, c'est Gianni Restelli qui a la responsabilité de la course. Inexpérimenté, il donne le coup d'envoi alors que la grille n'est pas totalement en place. Résultat : les monoplaces de la seconde partie du peloton, environ, ne sont pas arrêtées lorsque le feu verdit, et fondent sur les voitures de tête au moment où la piste se rétrécit de moitié, juste avant la grande courbe à droite. Le carambolage est inévitable : James Hunt (McLaren) heurte Ronnie Peterson (Lotus), seul pilote encore capable d'empêcher son coéquipier Mario Andretti d'être champion, et qui connait bien Monza pour y avoir gagné en 1973, 1974 et 1976. Le Britannique tape le rail à gauche, le Suédois traverse la piste et tape à droite. Avant déchiqueté, sa Lotus repart dans la direction opposée, prend feu. Heureusement, les secours sont prompts à neutraliser le sinistre. Pour le reste, Peterson est sorti de sa machine, gisant à même le sol. Il souffre de graves blessures aux jambes et de brûlures aux bras. Vittorio Brambilla, inconsicient, lui aussi est transporté à l'hôpital.
La course est redonnée 2h45 plus tard, avec la même incompétence que la première fois, et Mario Andretti croit consoler Lotus en gagnant mais il est inexplicablement pénalisé pour départ volé (comme Gilles Villeneuve, deuxième sur Ferrari). Il est quand même champion du monde. Avant la tristesse du lendemain. Ce bon Ronnie, qui avait refusé de le doubler au Grand Prix des Pays-Bas pour respecter son contrat de numéro 2, a succombé à ses blessures.
Pourquoi c'est une malédiction : Ronnie Peterson au milieu d'une série noire. Jo Bonnier, vainqueur d'un grand prix en 1959, aux Pays-Bas, s'est tué au 24 Heures du Mans, en 1972. Un mois et dix jours après le drame de Monza, on apprendra le décès de Gunnar Nilsson à 29 ans, vaincu par un cancer. Il avait fini premier au GP de Belgique 1977. La Suède a ainsi perdu ses trois vainqueurs de grands prix et n'en a pas connu d'autres depuis.
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Ronnie Peterson (Lotus) après l'accident qui va lui coûter la vie, au Grand Prix d'Italie 1978

Crédit: AFP

1988 : miracle à l'italienne pour la défaite de McLaren

Pour la derrière année des V6 turbo, Gordon Murray a dessiné une McLaren MP4-4 imparable équipée d'un surpuissant Honda qui exploite un réglement que la FIA croyait dissuasif. Woking laisse déjà peu de chance à la concurrence de briller, mais quand on sait qu'Ayrton Senna et Alain Prost sont les artistes aux commandes, on comprend pourquoi McLaren est la seule au palmarès des 11 grands prix déjà disputés. Au moment d'aborder Monza, McLaren est en fait la seule équipe à exister médiatiquement dans le prisme du duel brésilo-français.
Systématiquement laminée, Ferrari aurait peut-être mieux fait de se convertir elle aussi au tout-atmo de vigueur en 1989, ça lui aurait fourni une nouvelle excuse pour sa course à domicile. Sauf que, parfois, la cause n'est pas désespérée… En ce week-end lombard, la famille rouge est au centre des attention, soudée deux semaines après le décès de son fondateur, Enzo Ferrari. Et Michele Alboreto et Gerhard Berger sont prêts à en découdre pour un hommage, sur la dernière marche du podium. Autrement, on ne fait pas attention à l'absence de Nigel Mansell, remplacé chez Williams par Jean-Louis Schlesser. Une varicelle dont on ne se doute pas des conséquences.
En qualification, la magie a encore opéré et Senna s'est échappé de la dixème pole position en douze meetings. Tout va même bien pour lui, et le 35e tour le rapproche encore du titre puisque Prost range sa McLaren, moteur cassé. Au 49e des 51 giri au programme lombard, le Brésilien est en tête, juste un peu pressé par les Ferrari.
Tout va bien, donc. Le Brésilien est un as pour ce qui est de naviguer dans le trafic. Au loin, il aperçoit juste la Williams de "Schless" qui en termine de la ligne droite. Le Français, chevronné de l'Endurance chez Sauber et essayeur attitré de Williams, débute et Senna arrive pour faire un retardataire de plus. Le Brésilien a encore une attitude de prédateur. Trop cette fois : la Williams s'est écartée pour laisser la place dans le virage, où Senna s'engouffre trop tard pour éviter l'accrochage. Une suspension pliée plus tard, la MP4/4 finit en équilibre instable sur une bordure. Clameur dans la foule : la Ferrari de Berger arrive, suivie par celle d' "Albo" qui va assurer le doublé.
"Il m'était impossible de faire plus. J'ai mis deux roues dans la terre, je ne pouvais y mettre les quatre. Je devais aussi prendre ce virage", se défend Schlesser. "Je suis sincèrement désolé pour Senna, qui perd la victoire, et pour McLaren, qui laisse échapper la possibilité de remporter toutes les courses. Je me sens aucunement responsable de cet accrochage, mais je suis néanmoins allé m'en excuser auprès de Ron Dennis."
Senna sait son erreur. "Je me suis retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Quelqu'un, là-haut, n'a pas voulu que je gagne aujourd'hui", explique le Sud-américain, dans un fatalisme religieux. "J'effectuais une course calme, je dominais la situation. Quant à Schlesser, sa responsabilité n'est pas engagée. Il estmême venu s'excuser. Un vrai gentleman." La classe.
Pourquoi c'est unique : parce qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même. "Je dédie ma victoire à Enzo Ferrari… et à moi-même", s'est exclamé Berger à l'arrivée.
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Ayrton Senna (McLaren) - Grand Prix d'Allemagne 1988 - Paul-Henri Cahier

Crédit: DR

1995 : Herbert invraisemblable vainqueur effronté

La saison est dominée par deux pilotes, Michael Schumacher (Benetton) qui file assurément vers un second titre consécutif, et Damon Hill (Williams), laborieux contradicteur. Et entre ces deux-là, il est bien difficile de trouver un espace vital. Jean Alesi (Ferrari) a profité des ennuis de l'Allemand à Montréal pour gagner - enfin ! - et Johnny Herbert (Benetton) a capitalisé sur l'accrochage entre son leader et Hill à Silverstone. Mais dans cette Formule 1 de l'après-Ayrton Senna émergent quand même de nouveaux talents, comme David Coulthard. A Buenos Aires, le Britannique qui remplace chez Williams le Brésilien disparu, a conquis une première pole position sans suite.
A Monza, le revoilà en tête de grille, pour donner le coup d'envoi d'un scenario fébrile, déroutant puisqu'il sort dans le tour de formation ! Mais il est dans un jour de chance : derrière, Olivier Panis (Ligier) a ralenti et Max Papis (Arrows) est parti en tête-à-queue, bloquant la piste. David Coulthard se glisse donc dans le mulet pour le second départ, et commence par emmener Berger, Schumacher, Hill et Alesi. Et bientôt, la course prend une drôle de tournure, quand Hill se loupe derrière Schumacher pour le même résultat qu'à Silverstone. L'Anglais est penaud et il faut la médiation d'un commissaire pour empêcher l'Allemand de dire plus que sa façon de penser… Dans le paddock, Damon Hill évoque la présence du retardataire Taki Inoue, et "Schumi" peste : "C'est la deuxième fois qu'il me sort cette saison, mais il ne veut jamais s'avouer coupable."
Pour Williams, c'est la fin de l'histoire puisque Coulthard a abandonné sur une défaillance de roulement. Mais chez Benetton, Herbert roule toujours. Et pour ce qui est de Ferrari, c'est carrément l'euphorie : Berger ouvre la piste devant Alesi. Les arrêts au stand ont juste inversé l'ordre, croit-on. Mais Alesi, désormais leader, avance avec une caméra qui se détache de l'aileron arrière (elle a été déboîtée par un mécanicien au pit stop), et vient bientôt casser une suspension de la Ferrari de Berger… Malheureusement, le désespoir finit aussi par envahir le cockpit de la n°27, dans un panache de fumée de frein qui met le Français en larmes. Sorti de nulle part, Johnny Herbert (Benetton) est en tête. Il n'a doublé qu'un pilote en piste, Mika Häkkinen (McLaren), mais ne boude pas le plaisir de s'offrir une victoire sur un autre grand circuit du Mondial. Encore sur un coup de dés.
Pourquoi c'est improbable : la foule ne reconnaît pas Johnny Herbert comme vainqueur légitime et le siffle. Sur le podium, ce dernier répond par un doigt d'honneur.
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Michael Schumacher (Benetton) et Damon Hill (Williams) au Grand Prix d'Italie 1995

Crédit: Imago

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