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Du pionnier Petrov à la pépite Shwartzman, la Russie s'avance sur l'échiquier de la F1

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 24/09/2020 à 23:47 GMT+2

GRAND PRIX DE RUSSIE - Le circuit de Sotchi ne génère pas vraiment de passion depuis son arrivée au calendrier en 2014 mais la Russie s'affirme dans l'univers de la F1. Car Vitaly Petrov n'a pas manqué d'ouvrir la voie il y a dix ans à une génération de pilotes russes ambitieux à l'image du jeune et prometteur Robert Shwartzman, qui fait brillamment ses classes aujourd'hui en Formule 2.

Robert Shwartzman (Prema) à Spa-Francorchamps le 28 août 2020

Crédit: Getty Images

Tour d'honneur du Grand Prix d'Abu Dhabi 2010 : Fernando Alonso arrive au ralenti, à la hauteur de Vitaly Petrov et l'interpelle à coups de gestes exaspérés. Pour connaître l'Espagnol, on n'est pas étonné de ce besoin de passer ses nerfs sur son successeur chez Renault. Expurger sa rage, en toute mauvaise foi. Dans sa trajectoire légèrement oblique, la Ferrari n°8 oriente la machine jaune en dehors de la piste. Ce que le natif de Viborg réprouve qu'une correction sèche sur son volant. Alonso lui fait la morale, encore. "Qu'est-ce que j'y peux ?", semble lui répondre son adversaire qui a juste fait son boulot de pilote.
"Nando" rêvait d'une troisième couronne mondiale, sa première en rouge. Il vient de se faire avoir comme un bleu, par un débutant qui n'a jamais cédé à ses intimidations, à son activisme frénétique dans ses rétroviseurs. Il a démarré cette manche décisive en leader du championnat, avec huit points d'avance sur Mark Webber et quinze sur Sebastian Vettel. Il a fait l'erreur de calquer sa course sur celle de l'Australien, et de ne pas considérer l'Allemand, l'autre pilote Red Bull, comme éligible à la gloire.
C'est rare, mais il arrive qu'un facteur X se glisse dans une course et personne n'aurait imaginé qu'il puisse se nommer Vitaly Petrov ce jour-là. En anticipant son pitstop pour couvrir le risque Webber, Alonso n'a effectivement pas fait attention à la Renault postée devant lui à son retour en piste, au 15e passage. Dans sa fière Ferrari, il pensait se débarrasser de la R30 sponsorisée par Lada dans la première ligne droite venue, ou au premier gros freinage. D'autant plus facilement qu'un sans-grade a tout pour se sentir petit quand ce genre de dramatique qui se noue autour de lui. Et qui le dépasse.
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Vitaly Petrov (Renault) et Fernando Alonso (Ferrari) au Grand Prix d'Abou Dabi 2010

Crédit: Getty Images

Petrov, le pionnier

Les tours ont défilé, l'accélération du Renault a toujours valu celle de Ferrari et Petrov est resté inflexible. Alonso a eu le temps de réaliser qu'il avait croisé ce regard glacial dans le paddock pendant toute l'année, et que l'affaire s'annonçait plus compliquée avec cet outsider que le monde de la F1 n'a presque jamais vu sourire. Au 23e des 55 tours, le piège s'est presque refermé sur lui. Le pilote d'Oviedo avait fait le plus gros du travail à la deuxième chicane, mais la Renault s'est rabattue, laissant la Ferrari couper le virage en catastrophe. Le résultat d'une lutte improbable pour la… 10e place. Alonso se fichait alors pas mal de savoir que Webber roulait derrière lui, en douzième position. Parce qu'il était trop tard, parce que ça se passait devant depuis un moment. Loin devant même, depuis le départ. Alonso a finalement échoué au septième rang, pris jusqu'au bout dans cet étau infernal entre l'intrus Petrov et son pote Webber. Emporté dans le tombeau de ses illusions.
Vitaly Petrov est le premier Russe en Formule 1 et il vient de signer un exploit retentissant à l'échelle d'un pays qui ne sait pas grand-chose de la Formule 1 pour n'avoir jamais eu d'invité à la table des grands. Aujourd'hui encore, il est considéré comme le bourreau ultime d'Alonso, celui plus que tout autre qui l'a empêché d'être une autre fois champion du monde. C'est ce que l'on retient encore de son passage en Formule 1. C'est injuste car il suffit de regarder le classement : Petrov n'a terminé qu'à trois secondes de son coéquipier Robert Kubica, considéré alors unanimement comme une grosse pointure.
C'est réducteur, caricatural, car lors du Grand Prix suivant, en Australie, Petrov devient le premier Russe à recevoir les honneurs du podium à l'issue d'une course de rentrée des classes moins tendue, mais extrêmement relevée. Il n'a été battu que par Sebastian Vettel (Red Bull) et Lewis Hamilton (McLaren), et il a tenu derrière lui Fernando Alonso (Ferrari), Mark Webber (Red Bull) et le champion du monde en titre, Jenson Button (McLaren).
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Vitaly Petrov (Renault) au Grand Prix de Singapour 2010

Crédit: Getty Images

Sotchi, le vrai ticket d'entrée en F1

Bref, Petrov n'est plus un briseur de rêve, un empêcheur de tourner en rond. Pourtant, il ira un peu plus loin mais curieusement jamais plus haut que la cinquième place en cette saison 2011 marquée par le désengagement de Renault suite au scandale du crashgate de Singapour 2008. Petrov tient son passeport pour son plus solide atout. En sus de sponsors privés comme d'état, il est le porte-drapeau de Lada, dont Renault est actionnaire, mais ce soutien est amené à prendre fin. En 2012, il trouve donc refuge chez Caterham, mais son talent de pilote reste insuffisant pour sortir l'écurie de Tony Fernandes des dernières places de la grille.
Nation d'un gigantisme que tout autorise, la Russie n'en reste pas là. Elle avance doucement ses pions sur la scène de la Formule 1, dont elle se rêve en acteur majeur à terme. Fin 2010, la presse nationale s'est emballée à propos de l'arrivée de Marussia Motors en tant que sponsor de l'écurie Virgin. Elle a fait le lien entre le constructeur automobile et le pilote de Viborg sans savoir qu'une telle association restait la conjugaison d'intérêts complexes. Irréalisables en l'occurrence. Pour autant, Petrov a bien suscité un intérêt en Russie et Marussia devient le deuxième étage d'une fusée encore fragile quand Richard Branson lui revend 40% de son écurie brinquebalante. Marussia devient ainsi la première équipe à courir sous licence russe en F1.
Fin 2012, Petrov achève sa carrière de 56 Grands Prix chez Caterham. Le Losange continue comme simple motoriste en F1 et son avenir passe désormais par l'Endurance. Il laisse une place vide, mais avant même d'entrer dans l'histoire du sport auto russe, il savait son pays assuré d'un avenir en Grand Prix. Le mois précédent son fameux coup d'éclat d'Abou Dhabi, Vladimir Poutine, le premier ministre russe, avait signé avec Bernie Ecclestone, le promoteur du Championnat du monde de Formule 1, un accord pour organiser un Grand Prix de Russie pendant sept ans à compter de 2014.
Valtteri Bottas (Mercedes) au Grand Prix de Russie 2019

La Russie pourra bientôt compter sur Shwartzman

Les installations ont coûté 150 millions d'euros et c'est une opération est toujours plus sûre que l'hypothétique présence d'un pilote ou d'une écurie. C'est aussi un défi dans ce pays sans véritable culture de l'automobile, où le circuit créé par Herman Tilke dans un cadre symbolique mais restrictif ne suscite pas de passion chez les pilotes. C'est là où l'on s'aperçoit de toute la difficulté de se faire une place parmi d'autres pays pourvus depuis des décennies en matière de circuits, d'écuries, de pilotes. Mais il faut bien commencer par quelque chose. Et continuer en essayant de progresser.
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Robert Shwartzman (Prema) à Montmelo le 14 août 2020

Crédit: Getty Images

Pour ce championnat du monde 2014, la relève est néanmoins là. Du moins le croit-on avec Daniil Kvyat, produit Red Bull qui compte booster la notoriété de sa boisson énergisante de l'autre côté de l'ex-rideau de fer. Mais la saison 2015 apportera son lot d'infortune, de malheur même avec l'accident tragique de Jules Bianchi à Suzuka et la capitulation de Marussia, malgré un management anglais. L'année 2016 fera de Daniil Kvyat le premier pilote déclassé de Red Bull à Toro Rosso, suite à deux incartades au Grand Prix de Russie. Il ne prouvera rien de plus en 2017 et reviendra en grâce en 2019 pour combler la pénurie de pilotes détenteurs d'une superlicence au sein de la filière autrichienne. Dans l'intervalle, son compatriote Sergei Sirotkin ne lui aura même pas fait de l'ombre comme , énième pilote payant chez Williams.
On ne prend pas beaucoup de risques en estimant que Daniil Kvyat va vivre son dernier Grand Prix de Russie ce week-end. Mais on pourra peut-être voir dans les deux courses de Formule 2, samedi et dimanche, ce que la Russie nous réserve de mieux pour l'avenir. Robert Shwartzman est un authentique talent, sans doute le meilleur pilote que le pays n'ait connu. Le protégé de Vitaly Petrov était encore il n'y a pas si longtemps le leader du championnat. A 21 ans, pour sa première année dans la catégorie, dans la redoutable concurrence de Mick Schumacher et Calum Ilot, premier et deuxième du championnat. Comme lui, pilotes de Prema Racing et comme lui membres de la Ferrari Drivers Academy. Shwartzman revient sur ce circuit de Sotchi qui l'avait couronné l'an dernier champion de Formule 3. Et même s'il ne fait pour l'heure pas partie des deux candidats que la Scuderia propose pour une titularisation chez Alfa Romeo et Haas en 2021, il ne perdra pas son temps à remettre le couvert en F2 l'an prochain avec l'objectif de gagner sa place en F1 en 2022.
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