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Lewis Hamilton et Michael Schumacher, sept titres mondiaux et deux façons de dominer la F1

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 16/11/2020 à 08:21 GMT+1

GRAND PRIX DE TURQUIE - Lewis Hamilton peut désormais se comparer à Michael Schumacher en termes purement statistiques avec ses sept titres. Mais au-delà des chiffres à manier avec prudence, le Britannique domine son époque à sa façon, comme l'Allemand l'avait fait à la sienne. Lequel des deux est le meilleur pilote ? Qui était le mieux armé pour triompher ? Eléments de réponse.

Lewis Hamilton - Gp Turchia

Crédit: Getty Images

Qui est le meilleur pilote ?

Michael Schumacher a gagné au moins un Grand Prix quinze ans de suite et Lewis Hamilton est à un succès de partager son record en 2021. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'ils ont traversé les époques en adaptant leur pilotage à différents règlements techniques (moteur, pneus, aéro, etc). Et en gagnant avec des écuries aux cultures parfois différentes, ce que Michael Schumacher a expérimenté en passant de Benetton à Ferrari.
Leurs mérites sont grands : des stars ont perdu le succès de vue en n'étant pas capables de se remettre en question comme Sebastian Vettel chez Ferrari, ou à cause de la sophistication électronique comme Alain Prost, même avec la Williams, alors la meilleure voiture du monde.
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7 titres mais pas que ça : Hamilton, les (autres) chiffres d'une domination sans précédent

Pour aller plus dans les détails, on peut évoquer les deux exercices de styles imposés par la discipline : la qualification et la course. Mais là encore, Schumacher et Hamilton se retrouvent dos à dos, à l'aise sur le tour chrono comme en tactique de course. Ça n'a rien d'évident d'être un spécialiste dans les deux domaines. A leur époque, Ayrton Senna et Alain Prost l'avaient bien montré.
En revanche, c'est dans le combat rapproché que l'Allemand et le Britannique se distinguent le plus. Pour le "Baron rouge", défendre ou attaquer justifiait de déployer les grands moyens, avec force intimidations, contacts si nécessaire. Sa volonté faisait foi, l'objectif de résultat primait sur la manière. La liste de ses victimes est d'ailleurs longue et fut, dans certains cas, polémique. Il a parfois joué avec les règles des changements de ligne, dans l'esprit d'un Max Verstappen aujourd'hui, jusqu'à ce que l'autorité sportive les précise pour cadrer ses débordements.
A l'inverse, Lewis Hamilton a la réputation d'être dur - ce qu'un champion doit être pour avoir de l'autorité - mais correct même si Felipe Massa ne l'a pas toujours vu ainsi. Peut-être parce qu'il a toujours eu un don pour savoir dépasser, il n'avait donc pas besoin d'expédient pour parvenir à ses fins.
La seule façon de battre Lewis est d'être à 100% tout le temps
"Il est le pilote le plus propre que nous ayons vu", juge Eddie Irvine, vice-champion du monde en 1999 avec Ferrari. "Il fait du Nadal ou du Federer. Il réalise les choses d'une façon très, très clinique", complète Mark Webber, double vainqueur du Grand Prix de Monaco.
Avec ses confrères, y compris son frère Ralf, Michael Schumacher usait aussi volontiers de mauvaise foi pour justifier ses agissements, ce qui lui permettait de se protéger mentalement. En dénonçant ses méfaits, Jacques Villeneuve est l'un des rares à l'avoir contesté, fait douter, spécialement après Jerez 1997.
Du côté de Lewis Hamilton, ce fut étrangement une autre histoire : il a surmonté l'affrontement interne avec Fernando Alonso chez McLaren en 2007 et on aurait pu croire que son titre en 2008 l'aurait rendu intouchable. Ce ne fut pas le cas, du moins pas tout de suite. Mélangeant vie professionnelle et problèmes sentimentaux les trois années suivantes, il a paru friable, déstabilisé.
Sa concentration était fluctuante et McLaren sélectionnait ses invités pour lui remonter le moral. Comme Rowan Atkinson alias Mr Bean, venu faire des pitreries au Grand Prix d'Inde 2011. Il a tourné la page de cette période en cloisonnant sa vie. Heureusement, parce que Nico Rosberg l'attendait chez Mercedes avec une obsession : le déstabiliser pour "entrer" dans sa tête. L'Allemand, titré en 2016, le sait : "La seule façon de battre Lewis est d'être à 100% tout le temps et de faire une saison parfaite". Et capitaliser sur ses "passages à vide".

Qui était le mieux armé ?

Un champion parvient toujours à ses fins, par son niveau d'investissement dans le travail. Ce fut certainement le cas pour Michael Schumacher, à la fois chez Benetton et chez Ferrari. L'Allemand a sorti l'équipe anglaise d'un statut d'outsider pour devenir champion du monde avec elle. D'abord avec un V8 Cosworth, considéré en 1994 comme dépassé par la génération V10.
Michael Schumacher (Ferrari) au Grand Prix de Saint-Marin 2005
Enstone fonctionnait aussi avec un budget modeste par rapport à Williams ou Ferrari. Dans l'histoire de la F1, peu de pilotes sont parvenus à un tel résultat avec si peu de facilités mais ça ne pouvait pas durer au-delà d'une saison. En 1995, Schumi a eu droit à un V10 Renault, et il éclipsa Damon Hill et sa Williams propulsée par le Losange. Il avait mérité ce bloc premium, pour lui "fabuleux" dans sa facilité d'utilisation. Ce n'était pas qu'une question de puissance, contrairement à ce que beaucoup de pilotes réclament trop souvent.
Le plus extraordinaire est que "Schumi" a choisi d'abandonner ce package enviable en 1996 pour un gros contrat et la promesse de redorer le blason de Ferrari. Un sacré pari : l'usine italienne n'était alors qu'une friche technique, même pas dotée d'une soufflerie digne de ce nom. La conversion au V10 fut douloureuse en termes de fiabilité mais côté châssis, le duo Brawn-Byrne a rapidement élevé les standards. Pour parvenir à une épopée alors sans précédent : 6 titres Constructeurs et 5 Pilotes.
Là où Michael Schumacher s'est spécialement bien trouvé dans cet environnement, c'est lorsque Ferrari est devenue écurie de développement de Bridgestone, en 1999. L'Allemand a vécu le rêve de tout pilote : tester à l'envi, avoir le final cut sur les nouvelles pièces, orienter le développement des pneus, si cruciaux dans cette bataille des manufacturiers.
Cependant, certaines voix s'élèvent dans le paddock pour souligner la contribution de l'armée rouge pour guider le Baron rouge. "De ce que j'ai compris, je ne pense pas qu'il était très bon en mise au point mais il avait une capacité à piloter n'importe quoi, comme Ayrton Senna", se risque Damon Hill.
On lui fait confiance
De son côté, Lewis Hamilton n'a connu que McLaren et Mercedes, des top teams au sommet, un rare privilège et un énorme avantage, dans une carrière où les opportunités de se trouver un jour au bon endroit n'ont rien d'évident
Ce confort, le Britannique en a fait une force car il a toujours eu une équipe soudée autour de lui, où il était le pilote de référence. Ce statut de leader est le premier objectif que tout apprenti champion doit remporter. On l'a vu chez Ferrari, où Charles Leclerc et Sebastian Vettel avaient des demandes très différentes sur le comportement de la voiture, son niveau d'appui aéro. Ce n'est pas un hasard si le Monégasque a pris le leadership. De tout temps il en fut ainsi, et c'est aussi comme cela qu'Alain Prost avait écarté la menace Keke Rosberg chez McLaren, en 1986. Le Français aimait la MP4 sous-vireuse, le Finlandais pas du tout et l'équipe n'a rien fait pour que cela change.
Plus que jamais, on écoute Lewis Hamilton chez Mercedes et on se repose sur lui. Même si c'est une façon différente car les temps ont changé. Finis les tests privés, le développement des gommes : Hamilton fait la différence dans les réglages, qu'ils composent à chaque fois pour la qualif et la course. Et il dit ce qu'il attend du staff pour faire progresser le matériel, les modes opératoires. "La façon dont Lewis exige toujours le meilleur de nous, l'équipe technique, est très semblable à Michael", raconte d'ailleurs James Allison, le directeur technique qui a longtemps officié chez Ferrari.
"On lui fait confiance", ont dit en substance Ole Kallenius (CEO de Daimer) et Toto Wolff (directeur de Mercedes Motorsport) dimanche, et ce sentiment réciproque ne peut se construire que dans la durée, et nécessairement la stabilité. De grands noms comme Clark (Lotus), Stewart (Tyrrell), Prost ou Senna (McLaren) l'avaient montré avant Schumacher, et Hamilton n'a fait qu'emboîter le pas. Et plus que jamais, ce que l'on regrettait du temps d'un Michael Schumacher souverain chez les Rouges est devenu une norme qui sert aujourd'hui l'as de Mercedes.
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Toto Wolff et Lewis Hamilton (Mercedes) au Grand Prix de Turquie 2020

Crédit: Getty Images

Qui a fait face à la plus forte concurrence ?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord considérer le traitement à l'intérieur de l'équipe. Sur ce point, Michael Schumacher a bénéficié d'un confort extraordinaire. Autant Flavio Briatore que Jean Todt ont organisé le vide autour de lui pour mieux le faire briller. Aux seconds couteaux chez Benetton ont succédé des pilotes ambitieux qu'il a éteints par son propre talent. Le plus emblématique d'entre eux fut incontestablement Rubens Barrichello, n°2 contractuel mal assumé. Le mulet était toujours préparé pour l'Allemand et les nouvelles pièces réservées au pilote en tête du championnat... "Moi, dans mon contrat, il n'y avait rien sur le sujet. J'ai fini par découvrir qu'il y avait beaucoup de choses dans les contrats de Michael qui n'étaient pas spécifiées dans le mien", a remarqué un jour le Pauliste.
En début de saison, l'objectif était de toute façon de valider le plus vite possible sur la piste le statut de n°1 du Baron rouge, histoire d'acheter la paix. Alors, pourquoi en vouloir à Ferrari, sinon causer des torts au suspense ? Beaucoup de champions ont bénéficié de ce traitement, de Juan Manuel Fangio à Lewis Hamilton, en passant par Jackie Stewart, Niki Lauda (chez Ferrari), Mario Andretti (Lotus), Nelson Piquet (Brabham, Lotus), Ayrton Senna ou Sebastian Vettel (Red Bull).
Il ne faut pas s'y tromper : régler cette question de la lutte intestine était sans doute la première chose à faire. Frank Williams l'a appris à ses dépens en 1986 avec Nigel Mansell et Nelson Piquet, Ron Dennis aussi avec Fernando Alonso et Lewis Hamilton en 2007. Et finalement, cette absence chronique de bagarres usantes avec les coéquipiers explique aussi la longévité des carrières.
Schumacher vs Hill et Hamilton vs Vettel
Pour ce qui est de l'adversité véritable, celle qui n'était d'aucune sorte biaisée, on a sûrement fait un mauvais procès à Schumacher en considérant qu'il s'était retrouvé seul face à lui-même, un triste après-midi à Imola, en 1994. Heureusement, Il eut ensuite des rivaux de qualité qui lui ont donné la place qui lui revenait dans l'estime de tous. Damon Hill était une victime expiatoire, mais Jacques Villeneuve fut un formidable opposant médiatique, pas seulement pendant la seule saison de leur affrontement au sommet.
A cette époque, les équipes anglaises avaient encore les faveurs des meilleurs motoristes, tels Renault et Mercedes, ce qui permit à Jacques Villeneuve et Mika Häkkinen de retarder la consécration de Michael Schumacher. Et c'est sûrement le Finlandais qui a fait le plus pour la carrière de l'Allemand, qui ne retrouva que cinq ans plus tard un opposant de choix en la personne de Fernando Alonso.
Si l'on ne s'en tient qu'aux chiffres, Michael Schumacher et Lewis Hamilton ont curieusement eu une opposition similaires lors de ses sept saisons glorieuses. L'Allemand a signé 65 succès pendant que Damon Hill en récoltait 10, Rubens Barrichello (9), David Coulthard (8), Mika Häikkinen et Ralf Schumacher (6). Alors que Lewis Hamilton a signé 66 victoires, Sebastian Vettel (14), Nico Rosberg (11), Valtteri Bottas (9), Max Verstappen (8) et Kimi Räikkönen (7).
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Bling bling, burn, bain de foule, Roscoe… Comment Hamilton a inventé sa légende

On pourra toujours débattre sur la chance du champion de se retrouver dans un creux générationnel, et Lewis Hamilton n'aura pas eu cette faveur du destin. Mais mieux que cela, il l'a pris comme une donnée de base. Quand on découvre la F1 dans la concurrence de Fernando Alonso et qu'on tient le choc, on se dit peut-être qu'on est paré à tout. Voilà pourquoi, il a peut-être plus facilement accepté d'avoir d'autres coéquipiers du monde, tels Jenson Button et Nico Rosberg, au point de partager huit saisons avec ces gros calibres. Tout ça en pleine hégémonie de Sebastian Vettel et Red Bull, il était difficile d'imaginer que l'Anglais puisse parvenir à ce total à peine croyable de sept titres. Qui en appelle d'autres.
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