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Les Grands Récits : Massa - Hamilton, le thriller d'Interlagos

Maxime Dupuis

Mis à jour 17/11/2019 à 16:36 GMT+1

LES GRANDS RECITS - Le 2 novembre 2008, le Grand Prix du Brésil a été le théâtre du final le plus fou de l'histoire de la F1. Ce jour-là, Lewis Hamilton a été sacré champion du monde pour la première fois. Jusqu’à trois virages de l’arrivée, la couronne était sur la tête d'un autre, Felipe Massa. Et puis le Britannique l’a arrachée d’un souffle. Fondateur pour Hamilton. Crève-cœur pour Massa.

Hamilton - Massa Grands Récits

Crédit: Eurosport

Les Grands Récits sont de retour ! Avec une nouvelle thématique pour vous accompagner jusqu'à la fin de l'année. Elle s'intitule "Sur le fil". Après les maudits, les miraculés, les seconds rôles ou encore les héros improbables, nous avons souhaité nous pencher sur les "grands finishs" du sport et ces moments uniques (et tardifs) où tout a basculé.

S'il avait su, peut-être en aurait-il profité. Sans doute aurait-il exulté, conscient que le bonheur, de toute manière, ne dure jamais bien longtemps. Que la plénitude n'est qu'un état passager, voué à retomber dans les limbes pour y côtoyer les mornes désillusions qui constituent le fil rouge de nos vies. Il aurait probablement repris ces mots de Barjavel à son compte : "Le bonheur de demain n'existe pas. Le bonheur, c'est tout de suite ou jamais."
Malheureusement, Felipe Massa n'a même pas eu le temps de prendre conscience que son heure était (déjà) révolue. Entre le moment où le drapeau à damier a flotté au-dessus de sa visière et l'instant où la sentence, irréversible, lui est tombée sur le casque, il s'était précisément écoulé 38 secondes et 907 millièmes.
Pendant ce minuscule et ridicule intervalle qui a figé sa place dans l'histoire en le privant de l'éternité, Felipe Massa a tout de même trouvé le temps de lever l'index, de le secouer, comme pour dire : "Je l'ai fait". Parce que oui, le Brésilien l'avait fait. Il avait accompli sa mission sur ses terres, au terme d'un week-end jusqu'ici idyllique et symbolisé par le "hat trick" derrière lequel tout pilote de pointe court à chaque grand prix : pole position, meilleur tour en course, victoire. Désormais, il ne lui restait qu'à attendre. Et prier.
L'arrivée du GP du Brésil 2008
Attends, ce n'est pas fini. On surveille Lewis
Victorieux de son sixième Grand Prix de la saison, plus que tout autre pilote en 2008, Felipe Massa a lancé son tour d'honneur sans savoir à quoi s'en tenir. Le pilote Ferrari a pu plonger une dernière fois dans le "S" de Senna. Une courbe, rien. Deux courbes, toujours rien. Et puis le crépitement de la radio a enfin pris le dessus sur les vivats de la foule. Une voix familière, celle de son ingénieur Rob Smedley, a lancé ces mots qui avaient valeur d'avertissement : "Attends, ce n'est pas fini. On surveille Lewis".
"Etais-je sacré ou non ? Je savais que quelque chose d'imprévisible allait arriver, révéla-t-il quelques mois plus tard dans les colonnes du Guardian. J'étais en train de tourner sur le circuit et je voyais les gens dans les tribunes crier et sauter dans tous les sens. Mais je n'étais pas certain de ce que cela signifiait. C'était complètement surréaliste. Je devenais fou."
Mieux vaut prévenir que guérir. C'est vrai. Mais l'un n'empêche pas l'autre : on peut prévenir et avoir à guérir. Parce que les précautions oratoires de Rob Smedley n'auront pas soulagé l'âme de Massa au moment où l'ingénieur lui a assené un premier coup de massue : "Lewis a passé Glock". Felipe Massa était alors en train d'aborder la ligne droite opposée et il n'était pas encore certain d'avoir bien pesé les conséquences de ce qu'il venait d'entendre. "Je m'attendais à ce qu'il me dise : tu es champion". Massa en avait rêvé. Ce n'est jamais devenu une réalité. Joie éphémère. Regrets éternels. Installé aux premières loges pour assister à la naissance d'un immense champion, le Brésilien venait d'être victime du dénouement le plus dingue de l'histoire de la Formule 1.
Felipe Massa

Larmes et torrent apocalyptique

La suite a été immortalisée par les caméras et les télévisions du monde entier. Parce que Felipe Massa a bien été forcé d'exposer son malheur à la face de la planète. Une fois garé dans le parc fermé, visière relevée, il n'a pu réprimer ses larmes, noyées dans le torrent apocalyptique qui avait accompagné cette après-midi pas comme les autres.
De guerre lasse, Felipe Massa s'est ensuite plié au protocole. Vainqueur de la course, le Brésilien a pris de la hauteur pour rejoindre le podium dans une scène d'une beauté cruelle et digne d'une toile de la Renaissance. Une œuvre à front renversé où les ténèbres, symbolisées par un ciel qui avait depuis bien longtemps dépassé le stade de la menace, le surplombaient.
A ses côtés, les deux derniers champions du monde, Fernando Alonso et Kimi Räikkönen, respectivement deuxième et troisième de ce GP du Brésil. Ces deux-là n'avaient pas plus envie que Massa d'être ici, à ce moment-là. Une chose est sûre, ils n'auraient pas échangé leur place de figurants avec celle du héros malheureux du jour, qui pleurait tout ce qu'il pouvait.
Le tableau n'aurait pas été complet si le paradis n'y avait pas trouvé place. Une fois n'est pas coutume, il se trouvait au pied de la scène. Sous l'épaisse dalle de béton soutenant le podium et supportant tout le malheur de Felipe Massa paradait Lewis Hamilton. Au sec, "Union Jack" sur le râble et sourire illuminé par la lumière artificielle du paddock, le Britannique embrassait tout ce qui lui tombait sous la main. Il n'en avait pas mené large durant les 71 tours d'un grand prix interminable et qu'il avait mieux résumé que quiconque une fois la ligne d'arrivée franchie par ce "Putain, ça a été serré" qui valait toutes les analyses du monde.
Felipe Massa (Ferrari) et Lewis Hamilton (McLaren) au Grand Prix du Brésil 2008

5482 kilomètres réglés en quelques hectomètres

On ne devient pas champion du monde par hasard. Même si certaines péripéties laissent parfois imaginer le contraire. Il est vrai qu'à quelques hectomètres près, Hamilton ne serait pas devenu le plus jeune lauréat du monde de l'histoire de la F1. Mais il est tout aussi indéniable que l'Anglais n'avait pas démérité sur les 5482 kilomètres qui avaient précédé un épilogue auquel les scénaristes d'Hollywood n'auraient pas osé donner corps.
Hamilton aurait pu, et peut-être même dû, sécuriser son bien avant d'être jeté dans la fosse aux lions d'Interlagos, sur les terres qui avaient vu naitre son rival vingt-sept ans auparavant. Mais la jeunesse a les défauts de ses qualités et le marbre fut gravé lors du dernier rendez-vous de la saison. Là où Hamilton avait, un an auparavant, laissé filer entre ses doigts une couronne qui ne demandait qu'à être posée sur son auguste crane.
En 2007, brillant et détonant débutant, il avait posé les pieds au Brésil avec quatre points d'avance sur son coéquipier chez McLaren, Fernando Alonso, et sept sur Kimi Räikkönen (ndlr : à cette époque, la victoire ne rapportait "que" 10 unités). Le "rookie" avait pourtant réussi à rater le coche, au profit de "Räikkö", couronné avec une petite unité d'avance sur ses deux dauphins. En terme de densité, difficile de faire mieux. En terme d'intensité, impossible d'égaler ce qui allait suivre un an plus tard.

A 9 ans, des parieurs voyaient déjà Hamilton gagner en F1

De l'arrivée de la tornade britannique en 2007 au départ du discret Brésilien en 2017, Lewis Hamilton et Felipe Massa auront partagé les pistes durant une décennie. Massa aura surtout été un excellent numéro 2 quand Hamilton ne s'est jamais imaginé à une autre place que celle qui fut la sienne depuis le début : celle de numéro 1.
Si vous souhaitez avoir un aperçu du talent et des promesses du gamin né le 7 janvier 1985 à Stevenage, pas besoin de fouiller bien loin ou de vous assommer avec moults détails sur une enfance biberonnée à la gagne et durant laquelle le petit Lewis a passé son temps à mettre tout le monde d'accord. Retenez simplement qu'en 1994, un type avait poussé la porte d'une des boutiques de Ladbrokes, célèbre enseigne de paris anglaise, et avait mis un peu de ses économies sur le fait qu'un enfant nommé Lewis Hamilton gagnerait un Grand Prix de Formule 1 avant ses 23 ans. A 40/1, c'était raisonnable. Un autre audacieux l'avait imité en déposant quelques pounds sur le jeune homme en pariant qu'il serait couronné de champion du monde avant qu'il ait soufflé ses 25 bougies. Hamilton était alors âgé de… 9 ans. Il gagnera sa première course à 22 ans et sera sacré champion du monde à 23.
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Lewis Hamilton en 1995

Crédit: Getty Images

Quand le fils d'Anthony Hamilton, son premier soutien, débarque chez McLaren en 2007, c'est par la grande porte. Lewis, premier pilote noir de l'histoire de la F1, n'est pas venu à Woking pour faire de la figuration. Ni des courbettes. En tout cas, pas à son double champion du monde de coéquipier, Fernando Alonso. La cohabitation, impossible, ne durera qu'une année. Ron Dennis, qui a découvert le phénomène au mitan des années 90, a choisi son camp.
Séduit par un môme de 10 ans qui avait eu le culot de lui assurer qu'il piloterait un jour l'une de ses monoplaces, le boss de McLaren chérit le jeune Hamilton. Il le voit comme l'égal d'Alonso quand l'Asturien aimerait qu'il soit son aide de camp dans sa quête d'un troisième titre mondial d'affilée.

Massa, plus Barrichello que Senna

Felipe Massa, lui, vit une cohabitation plus sereine avec le taiseux et impénétrable Kimi Räikkönen. Il faut dire que le Brésilien n'est pas plus tempétueux que son partenaire et, au petit jeu des comparaisons entre pilotes auriverde, on peut avancer sans trop se tromper que Felipe Massa est plus proche d'un Rubens Barrichello que d'un Ayrton Senna. C'est peut-être d'ailleurs pour cela que Massa prend la suite de "Rubinho", aux côtés de l'écrasant Michael Schumacher, en 2006.
Avant la Scuderia, Massa a vivoté chez Sauber. Une saison, en 2002, et il est lourdé sans ménagement. Ce qu'il vécut excessivement mal. "J'ai beaucoup douté de moi à ce moment-là. Peter Sauber avait pris cette décision alors que je commençais à être de mieux en mieux. J'étais même devenu plus fort que mon coéquipier Nick Heidfeld. Je ne méritais pas de me faire virer." A toute chose, malheur est bon. En 2003, Massa se retrouve pilote essayeur chez Ferrari. Il va taper dans l'œil de Schumi, et deviendra pilote titulaire chez Ferrari en 2006, après un deuxième passage par la case Sauber, en 2004 et 2005.
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Michael Schumacher et Felipe Massa

Crédit: Getty Images

Quand arrive la fameuse saison 2008, Massa a déjà gagné à 5 reprises avec le Cheval Cabré et il est toujours le coéquipier d'un champion du monde en la personne de Kimi Räikkönen. Le talentueux Finlandais a pris la suite de la légende Schumacher et décroché la palme dès son coup d'essai. La suite sera moins heureuse pour Räikkönen qui ne va pas défendre sa couronne aussi longtemps qu'il l'aurait aimé. Le numéro 1 stické sur sa monoplace deviendra au fil de la saison le seul signe distinctif de son règne. Deux victoires en quatre courses, en Malaisie et en Espagne, et puis le trou noir.

Le trio devient duo

A mi-championnat, après Silverstone, les trois hommes sont pourtant à égalité, avec 48 unités au compteur. Tous ont été à un moment de la saison en tête du championnat. Pour Massa, c'était après le Grand Prix de France. Et c'était une première dans sa carrière. "Räikkö" perd pied à la fin de l'été et le trio devient duo. Dès lors, Hamilton va constamment faire la course en tête, talonné de plus ou moins près par Massa.
Les deux rivaux de McLaren et Ferrari vont alors connaitre leur lot d'occasions ratées. Notamment Massa. Il casse son moteur en Hongrie, alors qu'il ne lui restait que trois boucles à parcourir sur le tourniquet hongrois et que Lewis Hamilton était loin du compte. Un coup d'épée dans l'eau. Quid de Singapour où, poleman, le natif de Sao Paulo connait une folle mésaventure en ressortant des stands avec le tuyau de ravitaillement accroché à sa monoplace ? Erreur qui lui vaudra de repartir à la dernière place d'un GP resté dans l'histoire pour d'autres raisons, plus sombres.
La saison 2008 se résume à un long duel à distance entre les deux hommes. Trois fois seulement, ils font 1-2 sur le podium. Et, avant Interlagos, le climax de leur duel a lieu sur le circuit du Mont-Fuji. Parti en pole, Hamilton perd très vite le bénéfice de sa qualif' après un lancement de grand prix chaotique au possible. Il se retrouve 6e derrière… Massa, qui n'a pas bougé d'un cil. Dès le deuxième tour, l'impétueux Britannique tente de passer son rival, qui l'accroche. Hamilton n'a pas réussi à se contenir. Dommage. Il mène alors le championnat de sept points. Les deux écoperont de pénalités durant la course. Massa lui reprend deux unités à deux courses de l'épilogue de la saison.
"J'ai pris un mauvais départ, et là, ma première pensée a été de me battre, de ne pas laisser d'autres gars me dépasser, se justifiait alors Hamilton dans les colonnes du Figaro. C'est le cœur qui a parlé, plutôt que le cerveau. Mais d'une certaine manière, je ne peux pas contraindre ma nature. Je suis un pilote de course". Hamilton ne sait pas conduire autrement qu'avec le pied à fond sur le champignon.
A Shanghai, il remet sa McLaren dans le bon sens et son week-end, parfait, le rapproche un peu plus du titre. Vainqueur devant Massa, le jeune homme n'est qu'à 71 tours d'un sacre dont il rêve depuis qu'il a commencé à piloter ses voitures téléguidées. Comme en 2007. A ceci près qu'il n'a pas 4 points d'avance et deux poursuivants dans le rétro. Mais 7 et un dernier challenger, Massa. Pour faire simple : une cinquième place à Interlagos lui suffit, quel que soit le résultat de son actuel dauphin au Championnat du monde. Rien d'impossible donc, même si le spectre de 2007 flotte au-dessus de sa tête. Ce qu'il admet volontiers.
"L'an dernier, sans aucune expérience, j'étais un peu perdu. Mais cette année, on arrive avec une meilleure approche, un meilleur package et je pense que l'équipe on a fait un meilleur travail. Regardez la Chine, on a su se remettre d'aplomb après le Japon", explique-t-il en préambule du GP dans les colonnes du Guardian.

Concurrents, pas ennemis

A cette époque, Hamilton et Massa sont concurrents. Pas ennemis. Mais à mesure que le final de la saison pointe le bout de son nez, le duel se tend. Parce qu'une voix, plus ou moins bien inspirée, s'élève pour jeter de l'huile sur le feu. Eddie Jordan, ancien boss de l'écurie éponyme, s'en prend gratuitement à Massa et y va de son conseil malvenu à Hamilton : "Si Massa essaie de le sortir de la piste, comme il l'a fait au Japon où il a essayé de lui voler le titre, Lewis Hamilton doit être prêt à répondre. Il n'aura qu'à tourner ses roues sur Massa pour s'assurer qu'il ne finira pas la course non plus."
Massa s'emporte : "Conduire salement n'a jamais fait partie de mon registre. La seule chose qui m'intéresse est de gagner la course. Le reste ne dépend pas de moi. Depuis qu'il a vendu son équipe, Eddie Jordan n'a plus rien à faire en F1, à part pour parler à la presse." Jordan tente de faire de Massa - Hamilton un remake Canada Dry de Senna - Prost. Raté. Sao Paulo ne sera pas Suzuka. Parce qu'il n'y aura pas de duel.
Pour autant, la pression, ce n'est pas seulement ce qu'on met dans les pneus. Et Massa va tout de même essayer d'en mettre un peu sur les épaules du jeunot Hamilton qui s'apprête à courir tout le week-end dans un environnement sinon hostile, au moins propice à son adversaire. "On peut essayer de me mettre de la pression sur mes épaules mais je n'en ressens aucune parce que je n'ai rien à perdre, assure Massa. J'ai le public derrière moi et la pression, finalement, sera sur lui. On sait tous ce qu'il s'est passé l'an dernier..."
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Felipe Massa et Lewis Hamilton à Interlagos en 2008

Crédit: Getty Images

Massa dans un fauteuil

Dimanche 2 novembre. Nous y voilà enfin. La veille et comme les deux années précédentes, Felipe Massa a décroché la pole position à la maison. Lewis Hamilton, sur la retenue, est en deuxième ligne. En quatrième position. Massa sait ce qu'il lui reste à faire pour espérer devenir le premier champion du monde brésilien depuis 1991 et un certain Ayrton Senna : gagner. Il va s'y tenir. Brillamment. Mais quand on a dit ça, on n'a finalement pas dit grand-chose. En tout cas, pas l'essentiel.
Ce dimanche de course sera unique à bien des égards. Parce que les cieux, souvent imprévisibles dans ce coin de la planète, vont s'en donner à cœur joie tout au long du GP. Rien à voir avec l'impensable déluge de 2003 mais les intempéries vont jouer un rôle majeur et forcer les acteurs de ce dernier acte à lancer les hostilités avec dix minutes de retard sur l'horaire prévu. Pourquoi donc ? En raison d'une violente averse. Changement de pneumatiques. Et on y va.
Si Massa domine les débats, Hamilton, lui, s'accroche sagement à sa 4e place et compte bien rallier l'arrivée ainsi. C'est alors que la pluie vient redonner un peu de sel à la course et une bonne once d'espoir à Massa. On court alors le 64e des 71 tours. Deux boucles plus tard, Alonso (2e), Raïkkonen (3e), Hamilton (4e) et Vettel (5e) plongent dans la ligne droite des stands pour chausser des "intermédiaires" et éviter toute mauvaise surprise. Jusqu'ici, tout va bien pour Hamilton. Loin devant, Massa les imite le tour suivant et poursuit sa procession vers la victoire.

Glock, l'intrus

Un intrus est venu s'intercaler entre les quatre hommes : Timo Glock. Le pilote Toyota est passé de la 7e à la 4e place. Parce que son écurie et lui ont décidé de ne pas rentrer aux pits et de rallier l'arrivée avec des pneus "sec". Pari risqué mais qui pourrait rapporter gros. Après le bal des arrêts aux stands, Glock se retrouve loin devant… Hamilton qui, désormais 5e, reste en ballottage favorable. A ceci près qu'en délicatesse avec ses gommes, il a de plus en plus de mal à maintenir sa monoplace dans les clous et se voit clairement menacé par le jeune Sebastien Vettel, qui lui mord les échappements depuis quelques tours.
Hamilton devant Vettel à Interlagos
Comme si Timo Glock ne suffisait pas, débarque alors un autre acteur improbable : Robert Kubica. Le Polonais compte un tour de retard mais tourne bien plus vite que Vettel et Hamilton. Du coup, il les dépose sans coup férir dans la remontée vers les stands. Hamilton, malhabile, fait alors un écart. Vettel profite de l'aubaine pour lui souffler la politesse. Le Britannique rétrograde à la 6e place, Massa est virtuellement champion du monde.
"A ce moment précis, je ne savais pas que j'influençais le résultat du championnat, reconnaitra plus tard Sebastian Vettel pour ESPN. Quand Lewis a fait son écart, je l'ai naturellement doublé. C'était ma dernière course avec Toro Rosso et je voulais réussir le meilleur résultat possible."
C'est forcément une blague ! Pas encore !
Pour Lewis Hamilton, un monde s'écroule. Il lui reste deux tours pour le rebâtir. "Quand il a commencé à pleuvoir, j'avais du mal à maintenir ma vitesse. Je n'avais pas envie de prendre de risque. En plus, j'avais des problèmes avec mes pneus et je ne pouvais pas faire grand-chose, juste essayer de garder la voiture sur la piste. Je me rappelle m'être dit : c'est forcément une blague ! Pas encore !"
"Spoiler alert" : il ne rattrapera pas le fougueux pilote Toro Rosso, qui conservera près d'une seconde d'avance sur la ligne d'arrivée.
Si vous avez bien suivi l'histoire, vous vous souvenez que le peloton de tête, largement mené par Felipe Massa compte un intrus : le fameux Timo Glock. A deux tours de la fin, l'Allemand possède 15"2 secondes d'avance sur Vettel et Hamilton. Un tour plus tard, il n'a perdu que trois secondes. Sur le papier, son avance et le rythme imposé par Vettel laissent imaginer que Lewis Hamilton va, encore, quitter Sao Paulo la queue entre les jambes. A ceci près que les cieux en ont décidé autrement.
Les trombes d'eau redoublent d'intensité et les pneus "sec" de Glock ne tiennent plus la route, à tous les sens du terme. "Ça n'allait pas trop mal jusqu'au dernier tour, analyse Glock. Là, c'est devenu impossible. La voiture est devenue inconduisible. Je glissais de partout et n'avais plus de grip".
Lewis Hamilton est à ce moment précis le cadet des soucis d'un Timo Glock qui patine sur le bitume de l'autodrome d'Interlagos. "Je ne savais même pas que Lewis était derrière moi. L'équipe me parlait de Sebastian Vettel qui revenait sur mes talons. Mais j'étais avant tout concentré sur ma voiture, que j'essayais de garder sur la piste. J'ai su que Lewis m'avait doublé après la course. Trois ou quatre gars m'ont dépassé lors du dernier tour, je ne savais plus ce qu'il se passait."
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Lewis Hamilton au Brésil en 2008

Crédit: Getty Images

Putain, dis-lui !
Dans le box McLaren, on a mis moins de temps à comprendre ce qu'il se tramait et que Lewis Hamilton avait un dernier un coup à jouer, parce que Glock est en perdition. "A l'époque, c'est un gars nommé Richard Hopkirk qui communiquait avec Lewis. Il était sur le muret des stands, se souvient Phil Prew, ingénieur de course d'Hamilton. Je lui ai lancé : 'Dis à Lewis que Glock est celui sur lequel il faut se concentrer'. Ce à quoi Richard m'a répondu : 'Je ne peux pas lui dire maintenant, il entre dans un virage.' Je l'ai coupé et lui ait juste dit : "Putain, dis-lui !"
L'information finit par arriver aux oreilles du futur champion du monde : "Ils m'ont expliqué que Glock était juste devant et que je devais le doubler. Je ne savais pas s'il était loin mais je savais qu'il était en pneus "sec". J'étais aussi à la lutte avec Vettel mais lui était un peu plus rapide que moi. Je priais pour rattraper Glock à temps et je l'ai finalement aperçu à la sortie du virage 10".
Pendant deux tours, avec une monoplace retorse et dans le sillage de Vettel, Lewis Hamilton s'est accroché à son rêve comme un naufragé à un radeau. Et, d'un coup, dans la remontée vers les stands, là où Vettel lui avait grillé la politesse deux tours plus tôt, Hamilton aperçoit sa bouée de sauvetage. Glock galère. Hamilton le passe sans ciller. A l'exact même endroit. Quinze secondes plus tard, le Britannique franchit la ligne d'arrivée en cinquième position. Il est champion du monde. Quinze secondes, rendez-vous compte…
Le type était très très mal. Il en a éclaté un mur avec sa tête
A cet instant précis, Felipe Massa parade de l'autre côté du circuit. Dans le stand Ferrari, c'est la liesse absolue. La famille du Brésilien et toute la Scuderia exultent dans le box. Ça saute, ça chante, ça crie. Il ne manque plus que le champagne. Aucune bouteille n'a été débouchée. Ça tombe bien, ç'aurait été du gâchis. "Quand Sebastian a doublé Lewis, on a commencé à célébrer dans le garage. Mais je me souviens que mon père et moi demandions à tout le monde de se calmer. Ma mère commençait à pleurer, évoque Dudu Massa, frère de. Et d'un seul coup, un mécanicien est venu nous dire : 'Felipe n'a pas gagné le championnat'. Le type était très très mal. Il en a éclaté un mur avec sa tête."
Nicole Scherzinger, chanteuse de feu les Pussycat Dolls et accessoirement petite amie de Lewis Hamilton, a vite compris. C'est son pilote de boy friend qui a décroché la timbale. Son cœur est près d'exploser. Celui d'Hamilton ne bat pas moins vite. "Je ne savais pas où on en était ! Je criais : 'Est-ce que je l'ai ? Est-ce que je l'ai ?' On me l'a finalement confirmé alors que j'arrivais dans le premier virage. (…) J'ai vraiment été chanceux. Je ne sais pas ce qu'il serait arrivé si j'avais perdu le titre comme ça dans le dernier tour…"
Felipe Massa le sait, lui. La douleur est immense. La nuit sera courte. Et si le Brésilien assurera avoir vite mis cette mésaventure derrière lui, il ne s'en relèvera jamais. Cette onzième victoire en F1 sera la dernière de sa carrière. Après, plus rien ne sera jamais comme avant.
La saison suivante, sa monoplace, la F60, n'est pas au niveau escompté. Massa non plus. Le Brésilien sera d'ailleurs victime d'un incroyable et rarissime accident au Hungaroring quand un ressort de 700 grammes perdu par la Brawn de son compatriote Rubens Barrichello viendra le heurter en plein casque à plus de 270km/h. Résultat des courses : de multiples fractures au crâne et des lésions à l'œil gauche, qui laisseront craindre le pire pour sa vie. Massa met alors sa carrière entre parenthèses. De retour en 2010, il ne sera jamais mieux classé que sixième au Championnat du monde.

Glock menacé de mort

Lewis Hamilton mettra lui aussi quelques années à digérer ce triomphe précoce. Six ans exactement, puisqu'il lui faudra patienter jusqu'en 2014 pour redevenir champion du monde et se hisser au rang unique qui est aujourd'hui le sien.
Comme Felipe Massa, Timo Glock n'a jamais été sacré champion du monde. Mais il a longtemps trainé ce dernier tour comme un boulet. Jusqu'à être menacé de mort. "On a reçu des lettres de menace dans ma famille, chez mon père et ma mère. Ils expliquaient qu'ils allaient me tirer dessus." Personne n'a tiré sur personne, fort heureusement. Et la caméra embarquée qui était dans sa Toyota a fini par le laver de tout soupçon.
Ce jour-là, Glock a juste fait de son mieux. Comme Hamilton. Comme Massa, qui a fini par relativiser. Si tant est que ce soit concevable. "Si la pluie était tombée plus fort ne serait-ce qu'une minute plus tard, j'aurais gagné le titre. Je crois que les choses arrivent pour une raison. Peut-être qu'un jour je saurai pourquoi ça s'est passé ainsi. Je garderai ça en moi le reste de ma vie. Je ne pourrai jamais oublier. Je pense que personne n'oubliera jamais".
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