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Augusta ou la légende de la veste verte

Laurent Vergne

Mis à jour 04/04/2018 à 20:32 GMT+2

MASTERS – Comme chaque année depuis 1949, le vainqueur du premier tournoi du Grand Chelem de l'année recevra en guise de récompense une veste verte, ce "trophée" pas comme les autres. Véritable relique golfique, elle fascine et génère autant de fierté que d'humilité chez celui qui en hérite.

Sergio Garcia endossant la veste verte l'an dernier.

Crédit: Getty Images

10 avril 2017, Augusta. Sur le green du trou numéro 18, Sergio Garcia vient de remporter le premier titre du Grand Chelem de sa carrière. L'Espagnol se tourne. Danny Willett, derrière lui, l'aide à endosser la veste verte. Ce geste, tel un rite de passage, intronise le vainqueur du Masters, des mains même de son prédécesseur, dans une cérémonie au caractère presque religieux.
Temple ultime de la tradition golfique, le Masters n'est décidément pas un tournoi comme les autres. Ici, pas de coupe que l'on étreint, soulève à bout de bras ou embrasse. Pour seul trophée, le lauréat endosse cette simple veste. Augusta, c'est le Wimbledon du golf, et même un peu plus que cela. Sa spécificité, à multiples facettes, tient notamment à cette façon de célébrer son vainqueur. Le coût de la veste est estimé à 250 dollars. En réalité, elle n'a pas de prix.
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L'écusson d'Augusta sur la célèbre "green jacket" du club géorgien.

Crédit: Getty Images

La phobie de la perte

"C'est un moment de grande fierté, d'une grande intensité, mais c'est aussi un moment plein d'humilité. Il vous fait comprendre que vous n'êtes pas unique, mais que vous appartenez à un ensemble", avait souligné Garcia l'an passé. Humilité d'autant plus évidente que vous n'en êtes jamais que le locataire, non le propriétaire. Le vainqueur doit la restituer l'année suivante, à la fin de son règne, et une seule veste est autorisée à apparaître en public, celle du tenant du titre, ce qui renforce son côté mythique.
Chaque vainqueur prend donc un soin tout particulier de ce trophée à nul autre pareil. Sergio Garcia a raconté comment il avait été terrorisé juste après son sacre par la peur d'abîmer la précieuse étoffe. 48 heures après le Masters, El Niño portait sa veste verte en se rendant à une émission de télévision. En serrant la main à un technicien qui avait de la graisse sur sa chemise, il s'est aperçu qu'il avait sali la veste. "Je l'avais depuis une journée et demie et j'avais déjà fait deux énormes tâches dessus, j'étais catastrophé", a-t-il raconté mardi, précisant qu'un court séjour au pressing avait réglé le problème.
La phobie ultime, c'est évidemment de la perdre. A moins, comme Jack Nicklaus, de ne jamais la porter une fois franchies les portes d'Augusta, chaque vainqueur a sans doute au moins connu un moment pendant douze mois où il a craint de l'égarer, de l'oublier. Sacré en 2011, Charl Schwartzel a oublié sa veste verte à l'arrière d'une voiture conduite par un bénévole du club d'Augusta. "Heureusement, le type a été assez honnête pour me la ramener, a-t-il confié au New York Times. Mais ça aurait pu être pire, si je l'avais laissée dans un taxi, je ne suis pas sûr que je l'aurais revue."
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Sergio Garcia arborant sa veste verte à Wimbledon en 2017.

Crédit: Getty Images

Si vous voulez la veste, vous n'avez qu'à venir la chercher
Cette veste, c'est une relique. On ne la néglige donc en aucune façon. Il existe toutefois une fameuse exception. L'anecdote la plus connue remonte au début des années 60 lorsque Gary Player, vainqueur en 1960, s'était incliné l'année suivante en playoffs face à Arnold Palmer. En quittant Augusta, Player avait remis la veste dans sa valise, omettant de la rendre avant de regagner l'Afrique du Sud.
Sans tarder, il reçut un coup de fil de Cliff Roberts, un des fondateurs du club. "Je lui ai dit 'si vous voulez la veste, vous n'avez qu'à venir la chercher'", a raconté Player. Presque un blasphème. Finalement, le Sud-Africain put la garder mais avec une injonction non négociable : ne jamais la porter en public. Cet honneur était réservé à son seul successeur. Player s'est tenu à cet ordre. La règle avait été bafouée. Mais pas son esprit.
La genèse de la "green jacket" trouve paradoxalement sa source... en Angleterre, en 1937. Lors d'une visite au Royal Liverpool golf club, Bobby Jones, co-fondateur du club d'Augusta, remarqua lors du dîner que les capitaines de Liverpool portaient tous une veste rouge. L'idée lui a plu. A son retour en Géorgie, il a soufflé l'idée d'une tunique emblématique à Cliff Roberts. Les deux hommes se sont accordés sur la couleur verte. Mais ce n'est que douze années plus tard, en 1949, que le vainqueur du Masters a reçu pour la première fois la veste verte. Sam Snead fut le pionnier. Depuis, ce rituel est devenu un des moments forts de la saison en golf.

La tradition qui engendre ses propres coutumes

Symbole de tradition, la veste a engendré en elle-même ses propres coutumes. Comme la remise au vainqueur par le précédent lauréat, donc. Ou le fameux "repas des champions", organisé quelques jours avant le tournoi, en présence de tous les anciens vainqueurs vivants. Le tenant du titre confectionne lui-même le menu (pas les plats, tout de même) en fonction de ses goûts. Cette tradition-là date de 1952 lorsque Ben Hogan, fraîchement titré, décida d'inviter tous les ex-vainqueurs. Elle se perpétue depuis, avec l'indispensable photo de groupe.
Aussi mythique soit-elle, elle n'est pas forcément à sortir de son contexte. "Quand je la portais en présence de golfeurs ou de fans de golf, l'effet était garanti, a raconté le vainqueur de l'édition 2013 Adam Scott. J'entendais des murmures, ou un grand silence. Mais quand je me trouvais en présence de gens qui n'y connaissaient rien, ils me regardaient en se demandant pourquoi j'avais mis une veste aussi voyante et brillante." Reste que pour les initiés, elle a bien quelque chose de magique.
Porter la veste verte, c'est un honneur, un privilège. L'assurance d'appartenir à un cercle fermé. Dimanche, pour la 70e fois, celui qui triomphera de ce parcours légendaire endossera cette veste qui ne l'est pas moins. Ainsi va Augusta, plus que jamais ancré dans ses traditions, qui confèrent à cet endroit magique sa force intemporelle et à ce tournoi son caractère unique.
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La passation de pouvoir (et de veste) entre Bernhard Langer et Jack Nicklaus en 1986.

Crédit: Getty Images

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