Le débat du jour : Fourcade ou Boe, qui sera le roi des Jeux ?

La grande différence avec Sotchi pour Martin Fourcade, c'est que tout ne dépend plus de lui. En Russie il y a quatre ans, le Français savait que s'il faisait sa course, s'il évoluait à son meilleur niveau, son bilan ne pourrait qu'être positif. Ce fut le cas. Après un sprint un peu décevant (6e), il était passé à trois centimètres d'un phénoménal triplé sur la poursuite, l'individuel et la mass start. Cette fois, tout n'est pas aussi simple. Même à son meilleur niveau, le Catalan peut très bien être battu par Johannes Boe, légèrement plus rapide que lui sur les skis depuis le début de l'hiver.

Chacun de ces deux géants a ses propres atouts. Fourcade est d'une constance ahurissante dans la performance. Boe, lui, peut devenir franchement irrésistible. Disons que le plancher du Français me semble un peu plus élevé, et le plafond du Norvégien un peu plus haut. C'est conforme à ce qu'ils nous ont montré cette saison. Fort de ses 18 podiums consécutifs, Fourcade me parait constituer l'option la plus sûre pour obtenir quatre podiums en quatre courses individuelles. Boe en est tout à fait capable lui aussi, mais la probabilité de le voir passer à côté d'une course est un peu plus grande.

A l'inverse, il ne me surprendrait pas que le jeune Johannes rafle davantage d'or que son grand rival. Nous ne parlons là que des épreuves individuelles, évidemment, car le Norvégien aura un avantage énorme dans le relais. Au final, même si les Jeux sont parfois sources de surprises, et même si le vent pourrait jouer par moments les trouble-fête, je serais très surpris que l'un des deux se rate complètement dans cette quinzaine olympique. Il y a de la place pour deux rois en biathlon à PyeongChang, comme ce fut le cas depuis le début de cette saison, et il n'y en aura pas forcément beaucoup pour les autres. Mais celui qui a la clé, cette fois, c'est peut-être plus encore Boe que Fourcade.

Au moins deux choses me laissent à penser que Fourcade aura l'avantage. Premièrement, la présumée marge physique de Johannes Boe ne me semble pas si évidente. J'aurais même presque tendance à penser l'inverse. Certes, le Norvégien a franchi un cap sur les skis. Et c'est ce qui lui a permis de remporter plus de la moitié des épreuves individuelles cet hiver. Mais il ne faut pas oublier que le Français a tout axé sur les Jeux. Sans doute davantage que tout le monde. Ce n'est pas un hasard si le rapport de force a semblé s'inverser en janvier, dans la dernière ligne droite avant PyeongChang.

Après un doublé à Oberhof, Fourcade avait infligé une nouvelle claque cinglante à son rival lors de l'individuelle de Ruhpolding. C'était il y a un mois, et Fourcade avait été plus rapide d'une minute sur les skis. Ça doit forcément encore trotter dans la tête du Norvégien. Car depuis, Boe n'a pas véritablement eu l'occasion de prendre sa revanche dans un cadre où les deux hommes étaient à 100% de leurs moyens. À Antholz, Fourcade était un cran en-dessous. Mais il n'y avait vraiment rien d'étonnant à cela sachant la difficulté chronique du Français à briller dans la station italienne, mais aussi la semaine de travail très chargée qu'il a dû absorber la semaine précédente. Ce contre-coup était planifié. Tout comme l'est son pic de forme à venir pour Pyeonchgang.

Un deuxième paramètre me paraît en faveur du Catalan. Dimanche, le sprint devrait être largement perturbé par le vent. Fourcade dit craindre que la course vire à la "loterie". On le comprend aisément, il n'a pas vraiment envie de voir ces rêves d'or s'envoler pour une ou deux rafales mal venues. Mais d'un autre côté, le Français aux 18 podiums consécutifs est sans doute le mieux armé pour faire face aux aléas et répondre à l'imprévisible. Il est le plus solide et le plus régulier de tous.

Boe n'a pas encore la même sérénité derrière la carabine (même s'il a progressé). Et quand viendra ce flottement au moment de mettre la balle cruciale, rien ne dit que la différence abyssale de palmarès entre les deux hommes ne viendra pas peser de tout son poids. Après tout, Fourcade a déjà tout gagné. Boe, lui, n'a encore jamais décroché la moindre médaille olympique. Aux Jeux, plus qu'ailleurs, l'expérience sera un atout de choix pour Fourcade.