Hayden au paradis

Les statistiques trahissent une tendance qui finit toujours par s'infléchir, leur vérité est celle du passé et n'augure rien de l'avenir. Nicky Hayden l'a démontré dimanche. 2006 était la première clôture d'un championnat élite avec le titre Pilotes en jeu depuis 1992, et seul dans l'histoire de la catégorie reine Mike Doohan avait raflé la mise lors d'une ultime course qu'il n'avait pas abordée en leader du championnat. A Valence, le quintuple champion australien a trouvé un successeur en la personne du "Kid du Kentucky". Plutôt corporate, la légende de la vitesse ne peut qu'approuver cette descendance : après Alex Crivillé et Valentino Rossi, le natif d'Owensboro a pris la suite au guidon de la Honda Repsol qu'il avait glorifiée de 1994 à 1998.

Plus près de Nicky Hayden encore, c'est bien le collègue de box, Dani Pedrosa, qui peut se féliciter de l'issue quasi miraculeuse. L'incroyable bourde d'Estoril -un strike sur l'autre RCV211 orange- aurait pu suivre encore longtemps la réputation du bouillant ibère, poussé à l'individualiste par son mentor Alberto Puig mais revenu à des considérations plus altruistes par sa quête de réparation. Tout s'est donc arrangé, et la vision de la Honda Racing Corporation est sauve : pas de consignes de course, les pilotes sont assez grands pour savoir ce qu'ils ont à faire.

C'est par admiration pour son père, qui ferma les yeux à deux tours de l'arrivée, que Nicky Hayden avait choisi de courir il y a quelques années avec le N.69. Le côté pratique paternel : souvent dans un bac à sable, la plaque était lisible aussi bien à l'endroit qu'à l'envers... Pourtant, le seul accident rencontré par Nicky Hayden en 2006 est arrivée dans l'autodestruction portugaise. La copie presque parfaite livrée cette année est donc une jolie anomalie dans l'album de famille.

Pour en venir à la trame du dénouement, on notera que Hayden s'est classé 15 fois sur 17 dans le top 5 en 2006, avec c'est vrai seulement deux victoires contre cinq au rival malheureux, Valentino Rossi. Certains observateurs ont déjà résumé le duel en expliquant que la meilleure machine avait gagné le championnat Pilotes. Sévère mais recevable : la casse moteur de la Yamaha du "Docteur", au Mans, a pesé très lourd dans la comptabilité de l'Italien, invincible de 2001 à 2005.

Autre contraste : Hayden a évité tous les sales coups cette année, au contraire de Rossi, mis au parfum dès le premier virage du championnat, à Jerez, fauché par Elias. Sans parler des sérieuses blessures dont le pilote du Nouveau monde a su s'écarter. Les ravages opérée par la Ducati de Sete Gibernau au départ du GP de Catalogne, le 18 juin, a annihilé les chances mondiales de l'Espagnol mais aussi celles de son co-équipier Loris Capirossi et celles de Marco Melandri (Honda Gresini), sortis très diminués de la cabriole générale. Ce jour-là, Rossi avait raflé la mise, mais un virage d'Assen attendait sournoisement pour lui prendre un rendez-vous à l'infirmerie...

Pas verni, Rossi, en retard de 51 points après Laguna Seca, le 23 juillet, aura finalement trébuché lui-même, sur une rare faute personnelle au 5e des 30 tours, offrant à la régularité de l'Etasunien une occasion décisive de faire la différence.

Le pigiste Troy Bayliss, champion du monde de Superbike 2006 de 37 ans, leader de bout en bout devant son partenaire de Ducati Corse, Loris Capirossi, et le N.46 désespéré 13e en solitaire, Nicky Hayden pouvait à 25 ans aller chercher la consécration de sa vie. Et recevoir les félicitations de son dauphin dans le tour d'honneur. "Bravo à Nicky, car c'est un bon gars et un grand pilote. Il est champion parce qu'il a été le meilleur cette année", a estimé Rossi.