Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Olivier Jacque, champion 250 cm3 : "Je n'aimerais pas voir mes enfants faire de la moto"

Julien Pereira

Mis à jour 04/05/2023 à 15:12 GMT+2

Il est, pour toute une génération de fans du sport moto, un fleuron tricolore. Champion du monde 250cm3 pour 14 millièmes de seconde en 2000, Olivier Jacque a complètement pris ses distances avec la discipline. Marqué par les émotions et les moments plus difficiles qu'il a vécus durant sa carrière, l'ancien pilote Tech3 un œil sur le MotoGP. Mais il n'a jamais eu envie d'y regoûter.

Olivier Jacque après son titre en 250cm3, au Grand Prix d'Australie 2000

Crédit: Getty Images

Olivier Jacque, vous êtes un champion du monde très discret…
Olivier Jacque : C'est vrai que je ne donne plus trop de signes de vie dans la moto. Disons que la vie et ses circonstances sont parfois un peu bizarres. J'ai choisi une autre voie sans vraiment le savoir. J'ai fait d'autres sports et d'autres activités que j'ai découverts, notamment le monde des affaires. Et puis il y a la famille, les enfants…
J'avais peut-être moins envie de bouger aussi, parce que je suis resté longtemps sur le circuit, et qu'il y avait énormément de déplacements. Mais ça ne m'empêche pas de continuer à suivre la moto. J'ai toujours un intérêt pour les Grands Prix, j'adore toujours les courses.
Et cela ne vous a jamais donné envie de revenir ?
O. J. : Je ne me suis jamais posé la question d'un retour dans ce monde-là pour la simple et bonne raison que je suis épanoui aujourd'hui. La moto ne me manque pas parce que je regarde tous les Grands Prix.
Évoquons le plus grand moment de votre carrière : ce titre 250cm3 décroché pour 14 millièmes lors du dernier Grand Prix de la saison 2000. Lorsque l'on revoit votre dernier tour dans la roue de Shinya Nakano, on a l'impression que vous connaissiez déjà l'issue. Était-ce le cas ?
O.J. : Très honnêtement, je l'ai su dès le début de course. Avec Guy Coulon [son ingénieur de l'époque chez Tech3, NDLR], on avait beaucoup analysé mes données. J'avais reçu beaucoup d'informations et j'ai tout mémorisé presque inconsciemment. Sous mon casque, au deuxième ou troisième tour, tout est soudainement devenu une évidence.
Je savais qu'il fallait être patient, tenir toute la course comme ça, ne rien lâcher même si ça demandait beaucoup de concentration et d'expérience. Je me suis vite dit : "voilà, c'est mon destin. Il est là, face à moi". J'ai appliqué notre stratégie, qui était la plus évidente quand j'étais derrière Nakano. Je ne vais pas dire que c'était écrit. Mais dans ma tête, c'était très clair. C'est pour cela qu'à aucun moment, je n'ai eu le moindre doute. A aucun moment, je n'ai craqué.
Avez-vous échangé avec Nakano après votre carrière ?
O. J. : Aujourd'hui moins, puisque chacun a sa vie. Mais il m'a appelé quand il a mis fin à sa carrière. Ça m'a beaucoup touché. Dans le sport, on ne se parle pas beaucoup parce qu'il n'y a finalement pas beaucoup de sentiments. Parfois, il n'y en a même pas du tout même si j'ai l'impression qu'aujourd'hui, il y a plus de camaraderie entre les pilotes moto.
A notre époque, on ne laissait rien transparaître. On voulait gagner. Les moments partagés avec Shinya étaient forts. Juste après avoir mis fin à sa carrière, il m'a dit : "Sache que les meilleurs moments de ma carrière ont été avec toi... même si tu m'as chipé le titre !"
Vous arrive-t-il encore de reparler de ce titre, alors que vous n'êtes plus du tout dans le milieu ?
O.J. : Non. Mes enfants me disent qu'ils n'arrivent pas à m'imaginer pilote. Pourtant, je trouve que j'ai quand même gardé la forme [rires]. Mais c'est vrai qu'ils ne m'ont pas vu piloter des motos, à part lors de quelques exhibitions.
Vous n'avez jamais eu envie de partager cette expérience avec eux ?
O.J. : On ne pratique pas trop la moto à la maison. On n'est pas dans ce milieu-là. Mais maintenant qu'ils grandissent un peu plus, ils ont envie de voir mes courses. La dernière fois, jusqu'à minuit, ils ont absolument voulu revoir la course de Chine [en 2005, où Olivier Jacque finit deuxième derrière Valentino Rossi]. Et même si je leur ai dit qu'elle était longue, que tout se passait à la fin et que je n'avais pas spécialement envie de la revoir, ils ont insisté... On a fini par la regarder.
picture

Olivier Jacque sur le podium du Grand Prix de Chine 2005 aux côtés de Valentino Rossi et Marco Melandri

Crédit: Getty Images

Mais concernant la pratique, ils ne sont pas trop demandeurs non plus. Et puis c'est quand même compliqué de faire de la moto. C'est coûteux, il faut de l'équipement…
Être le papa de pilotes l'est peut-être encore plus…
O.J. : Je pense que c'est une souffrance, effectivement. Personnellement, je n'aimerais pas trop voir les miens faire de la moto. J'ai risqué ma vie à plusieurs reprises. Et même si j'ai pris beaucoup de plaisir, même si j'ai été privilégié, j'ai quand même beaucoup de pilotes autour de moi qui se sont blessés grièvement. Et d'autres qui ont perdu la vie.
C'est la raison pour laquelle vous n'avez jamais encouragé vos enfants à s'orienter vers ce milieu ?
O. J. : On suit beaucoup Marc Marquez puisqu'on vit à Barcelone et qu'on connaît bien son ancien manager [Emilio Alzamora, NDLR]. Quand Marc retourne à l'hôpital, je leur explique que ce sont des moments hyper désagréables dans une carrière. C'est vraiment dur. Et à un moment donné, le corps dit stop.
Je pense d'ailleurs que c'est ce qui m'est arrivé. J'ai dit "c'est fini" parce que je n'avais plus envie de me blesser, de passer du temps à l'hôpital, me faire ouvrir le corps sans arrêt. C'était trop. Que mes enfants vivent cela, je n'en ai pas envie. Surtout qu'au final, il y a peu d'élus.
Vous évoquez vos blessures. Vous avez subi de très nombreuses opérations tout au long de votre carrière. En gardez-vous des séquelles aujourd'hui ?
O. J. : Je n'ai pas à me plaindre. A notre époque, il n'y avait pas les mêmes protections. Et à celle de Christian Sarron, par exemple, c'était encore pire. Eux roulaient "en sandalettes". Ça a commencé à évoluer avec nous, quand on en a eu marre et qu'on s'est plaint des équipements.
Mais j'ai quand même eu 22 fractures aux pieds. Et puis les vertèbres, les cervicales touchées, la clavicule une fois, l'avant-bras... Beaucoup de fractures mais finalement peu de séquelles. J'arrive à faire plein de sports sans trop de problèmes. Je cours comme un lapin !
Avez-vous conscience que ce style, qui vous a parfois joué de mauvais tours, a aussi contribué à la grande cote de popularité que vous conservez auprès des fans ?
O. J. : Un peu. J'ai quand même partagé beaucoup de moments incroyables avec le public. Ça a été fort. Je voyais leurs banderoles. Il y avait beaucoup plus de partage à mon époque. Ils étaient proches de la piste, ils accédaient plus facilement aux stands, Tech3 avait plus de liberté aussi pour les laisser accéder au box plus facilement. Il y avait de la proximité avec le public. Et je l'ai ressentie toute ma carrière. Ça m'a beaucoup aidé aussi. Je les en remercie encore aujourd'hui.
Suivez-vous encore le MotoGP ?
O. J. : Je me tiens informé de toutes les séances d'essais, même si je ne peux pas toutes les suivre à l'écran. Je regarde ce qui s'y passe pour avoir une idée de ce qu'il faut attendre de la course. Quand on a vécu une carrière de pilote, on se projette beaucoup plus facilement, on sait ce qu'ils vont ressentir.
C'est aussi pour ça que je n'ai pas trop donné suite aux médias qui venaient me voir pour m'offrir des postes de commentateurs. Je l'ai fait quelques fois mais j'y allais toujours un peu à reculons. Simplement parce que j'aime bien vivre la course de mon côté. Ça me permet de me projeter un petit peu, d'imaginer ce que les pilotes peuvent ressentir sous leurs casques. Le fait de commenter, ça me coupe, parce qu'on ne voit finalement rien de la course.
Durant de longues années, on a parlé de vous comme le dernier champion français en catégorie intermédiaire, et de Régis Laconi comme le dernier vainqueur en catégorie reine. Puis Johann Zarco est arrivé, et Fabio Quartararo ensuite. Comment avez-vous vécu leur émergence ?
O. J. : Honnêtement, très bien. J'étais super content pour Johann [double champion Moto2, l'équivalent de la catégorie 250cm3, en 2015 et 2016]. Là, ça fait beaucoup d'années qu'il est en Grands Prix et malheureusement, il n'a pas encore eu la victoire qu'il cherche tant. Mais il a eu le titre. Moi, ça m'a réjoui.
En plus, il a eu de super résultats avec Tech3 par la suite. C'était génial. Et après, l'OVNI Quartararo est arrivé et a mis tout le monde d'accord. Maintenant, il n'y a presque d'yeux que pour lui alors que Johann fait des super performances aussi. Il y a deux Français au plus haut niveau et ça a vraiment amené le sport moto très haut en France. C'était inimaginable.
picture

Olivier Jacque (Kawasaki) derrière Valentino Rossi (Yamaha), à Sepang, en 2005

Crédit: Getty Images

A-t-on une chance de vous voir au Mans le 14 mai prochain, dans le cadre du 1000e Grand Prix de l'histoire ?
O. J. : Si c'était au Castellet, je serais venu bien volontiers. Le Mans, c'est plus compliqué pour y aller ! Mais j'irai certainement au Grand Prix de Catalogne, en septembre.
Au Mans, vous seriez bien accueilli par le public…
O. J. : Je n'en doute pas. Ce n'est de toute façon pas le but. Et puis ce n'est plus la même génération. Il y a quelques années, je suis allé rouler avec Marc Marquez en supermotard. Il me connaissait bien parce que je l'ai connu tout petit. Son frère également. Tito Rabat et d'autres, eux, ne me connaissaient pas, alors que j'étais encore relativement jeune. Ce n'était pas leur génération. Il faut laisser la place à ceux qui arrivent. Si je viens, ce sera uniquement pour le plaisir.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité