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Après le coronavirus, quand le sport reviendra...

Thibaud Leplat

Mis à jour 03/04/2020 à 15:07 GMT+2

Le sport est une fable délicieuse sur nos erreurs de trajectoires. Si on le guette à ce point dans n’importe quelle nouvelle qui nous tombe sous la main, c’est qu’au fond de nous, sa réapparition annoncerait déjà le retour à la normale.

Di Maria (PSG)

Crédit: Getty Images

Chaque soir, à 19h58, les enfants se jettent sur les balcons pour regarder les quelques feux artifices qui seront tirés d’un autre salon en l’honneur des soignants. À 19h59, on sait bien que tout cela ne changera pas le monde, que peut-être même on devrait s’abstenir de se pencher au-dessus de la rambarde, mais bon, on applaudit quand même. Et puis ça fait du bien aux gosses de partager une joie ensemble. À 20h pile on se demande encore combien de temps tout cela va durer. Un mois, deux mois ? Comment va-t-on tenir tout ce temps sans un seul match de tennis ? Sans la Ligue des champions qui nous attend après le dessert ?
À 20h01. On entame quelques refrains, on pousse la hi-fi pour se donner du courage. Et à 20h02, c’est terminé pour aujourd’hui. On se rassoit pour finir notre ration journalière de pâtes complètes. Il ne faudra pas oublier notre séance d’abdo ou de Yoga avant d’aller au lit. Beaucoup plus tard qu’hier. Beaucoup plus tôt que demain.

Supporters et tableaux d’affichage

"Trop souvent oublié, héros de notre société, merci au personnel hospitalier" : certains d’entre nous aussi se recyclent et peignent des banderoles pour les afficher à l’entrée des CHU comme on le ferait au bord d’une pelouse un soir de Coupe d’Europe. Alors bien sûr, il y a le manque de compétitions qui pèse sur notre imagination, c’est indéniable. Mais cette mélancolie est inavouable au temps du coronavirus.
Il y a le manque d’émotions sauvages, brutales, anodines, aussi, qui pèse. Mais que peut bien valoir un titre européen à côté d’un vaccin qui nous sortirait tous enfin de nos appartements ? Sans doute pas grand chose. On le célèbrerait avec beaucoup plus de joie. Alors plutôt que de se plaindre, le sportif se tait et applaudit sur son balcon. Il abandonne provisoirement son inexpugnable besoin de superflu et se consacre vaillamment à l’essentiel auprès des siens.
Il apprend même certains jours, au détour des gazettes qu’il effeuillait prudemment (en évitant les sujets sensibles) que les footballeurs du Barça avaient accepté de baisser leurs salaires de 70%, que Kylian MBappé avait fait un "très gros don" à la fondation Abbé-Pierre, que des clubs entiers risquaient de disparaître, que le football était en danger vital. La belle affaire… Ces évènements ne pèsent pas bien lourd à côté d’un autre tableau d’affichage, celui qui nous avait pris Pape Diouf et des milliers d’autres.
Affiché partout il semblait toujours nous accuser. Un jour d’incurie, l’autre d’impatience. Vous savez, comme au lendemain matin des remontadas douloureuses. La litanie journalière des victimes tombées sur le front du virus, énoncée comme un contre-classement où la montée était aussi crainte que la descente, c’est le drame de cette interminable compétition vitale au nom de Jeux Olympiques nommée Covid-19.

Ils changeaient la vie

Alors que peut bien peser un coup franc de Lionel Messi face à une chanson de Jean-Jacques Goldman pour les infirmières ? Pas grand chose, c’est sûr. Au point que certains se demandent même si dans le monde nouveau, celui où nous serons enfin tous vaccinés contre cette nouvelle peste, il y aura encore de la place dans nos esprits pour ces salaires à cinq chiffres, pour ces milliards gaspillés dans une Ligue 1 qui n’en vaut pas la moitié, pour ces footballeurs fortunés qui se moquent de la morale puritaine tout en forçant l’admiration des foules.
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Messi

Crédit: Eurosport

Peut-être même qu’après la peste, espèrent-ils en secret, nous aurons changé, que nous serons enfin devenus ces bons supporters que les censeurs appellent de leur vœux depuis l’invention du maudit sport professionnel. Ils sont aujourd’hui nombreux, ceux qui n’aiment pas le football, à déjà réclamer des comptes à nos héros d’antan. Ils croient deviner dans cet égarement coupable la trace d’un mal plus profond : "une société qui a besoin de héros pour rester debout est une société malade". Voilà ce que pensent ceux qui s’énervent de nous voir ainsi applaudir à tout propos.

Achille et Gilgamesh

Curieux reproche. Car en fait c’est tout le contraire qui est vrai. D’abord, l’anthropologie historique le dit depuis longtemps. Il n’y a pas de société possible sans narration commune, sans récit pluriel sous la forme de mythes qu’on se raconte sur les balcons des siècles pour s’inventer des raisons de progresser. Cette identité narrative faite d’intrigues successives, de héros passagers est le lot de toutes les sociétés depuis au moins Achille en Grèce ou Gilgamesh en Mésopotamie.
Ensuite, il ne faut pas tout confondre. Si les footballeurs méritent autant de louanges que les infirmières, c’est pour des raisons évidemment différentes. Les premières parce qu’elles endossent involontairement le vêtement (blanc) du martyr. Le seul héroïsme comparable est celui du soldat sur les champs de bataille. Ce premier héroïsme est triste parce qu’il joue avec l’idée de la mort. Et on le sait bien, la mort ne pardonne jamais, elle condamne. Voilà pourquoi cet héroïsme nous pèse tant. Nos banderoles ne sont donc pas des signes de la décadence de notre temps. Elles agissent plutôt comme des hiéroglyphes qu’on dessinerait pour alléger les âmes de tous ces corps que nos infirmières soignent obstinément chaque jour.

L’héroïsme sportif

Non, ce qui nous manque aujourd'hui, c’est le second héroïsme, l’héroïsme sportif. Celui-là nous permet d’agrandir nos existences mortelles. Le footballeur, le basketteur, le judoka, tous rappellent la même idée à chaque prise de parole : le sport est jeu qui n’a jamais de fin. On tâchera toujours de sauter plus haut, de courir plus vite le lendemain. On aura même toujours le droit de se tromper et de recommencer, dans le sport. C’est le sens de nos compétitions en forme de rituels et de répétitions. Et si l’on ne peut vraiment plus, alors on le fera pour de faux en regardant les autres progresser à notre place.
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Das Aushängeschild von PSG: Kylian Mbappé

Crédit: Getty Images

Le sport est un humanisme accessible à tous, une fable délicieuse sur nos erreurs de trajectoires. Si l’héroïsme du sport nous manque tant aujourd’hui et que nous le guettons un peu partout, c’est qu’au fond de nous, nous savons bien que son retour serait le premier signe de la vie qui aurait triomphé de la nuit. Quand le sport reviendra, nos balcons se videront enfin. Parce que ce sera le retour du printemps ou le "début de la saison", comme le disent si bien les sportifs. De temps en temps, la nature aussi joue à tout recommencer.
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