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Le choc du coronavirus : un retour à la case départ pour les clubs

Julien Tissot

Publié 10/06/2020 à 15:15 GMT+2

Comme tous les lieux non essentiels, les clubs ont fermé jusqu’à nouvel ordre en raison de la pandémie de coronavirus. Coincés entre des pertes colossales et le silence du gouvernement sur les jeux d’argent, ils s’inquiètent pour leur survie et réfléchissent à l'après. Un sujet signé Zilan Cokyigit et Jules Thomas, étudiants en journalisme à l'Institut Français de presse.

Paris Elysées Club

Crédit: Eurosport

Il devait être le huitième et dernier club de jeux de la capitale : après avoir subi le mouvement de grève hivernal et connu des problèmes administratifs en début d’année, le club Pierre Charron devait ouvrir mi-mars. Situé dans le VIIIe arrondissement, l’établissement du groupe Marval, qui souhaitait devenir le plus grand club de poker de Paris, avait même organisé une soirée avant-première avec ses actionnaires et des journalistes le mercredi 11 mars. Coïncidence, la France suspend peu à peu ses activités, et le weekend de fête promis est celui où le pays va s’endormir pour plusieurs mois. Dès le samedi 14 à minuit, tous les lieux publics non-essentiels sont fermés jusqu’à nouvel ordre : les clubs de jeux parisiens sont en première ligne.
Ces établissements d’un nouveau genre, très réglementés, ont vu le jour ces derniers mois pour assainir le jeu d’argent en région parisienne, alors que l'Île-de-France ne possède qu'un seul casino (à Enghien-les-Bains). Sociétés commerciales en bonne et due forme, ils sont censés remplacer les sulfureux cercles de jeux, dans le cadre d'une expérimentation de cinq ans. Ces établissements proposent donc des jeux de type poker, mais les activités les plus populaires y sont proscrites (roulette et machines à sous). Ouverts en nombre fin 2019, les clubs ont globalement connu un franc succès dans leur mission de faire renaître le jeu à Paris.

Les clubs fauchés en plein vol

« Vous sentez que tout va et on vous dit que tout s’arrête. Ca a cassé notre élan. » La dirigeante du Club Montmartre, Frédérique Ruggieri, n’a pas vu venir le coup d’arrêt. En quelques jours, les clubs doivent réduire leur fréquentation à cent clients maximum, avant de devoir définitivement fermer leurs portes. Le Club Circus, de son côté, est contraint d'annuler les tournois de son Circus Festival. Le responsable Thierry Bolleret revient avec amertume sur le début du confinement : « On a fait un très beau début mars, et on a eu l’info à 22h le 14 : vous fermez à minuit. Ça nous met un coup sur la tête, vous êtes une société qui a beaucoup investi, et six mois après l’ouverture ça s’arrête. Le club tournait de plus en plus. » A l'instar de tous les secteurs de l'économie, les jeux d’argent sont victimes depuis des mois de la pandémie de coronavirus.

Des pertes conséquentes

« Prenez bien soin de vous et ne nous oubliez pas, notre maison est la vôtre et vous faites partie de l’histoire du club Montmartre.‬ » Dans son message accompagnant la fermeture, Frédérique Ruggieri semble réaliser que le trou d’air sera long. Dès le début du confinement, tous les clubs font appel au dispositif de chômage partiel, plébiscité par les entreprises : « Sur les 105 employés, 103 sont au chômage partiel. 35 croupiers étaient en formation pour monter des tables mi-mai, pour l’instant on les garde, ils étaient au chômage », détaille Jean-François Panin de l’Imperial Club. Seuls les employés administratifs continuent de travailler, et la pilule est difficile à avaler pour les croupiers en particulier. « Ils n’ont plus de pourboire, et l’autre problème c’est qu’ils ne touchent que 84% de leur salaire », s’inquiète Thierry Bolleret.
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Club Circus Paris

Crédit: Eurosport

Autre problème plus grave, les finances des établissements : entre les 400 000€ de masse salariale que l’Imperial Club a dû avancer et les 150 000€ de loyer hors taxes sur 3 à 4 mois de fermeture du Club Circus, le confinement coûte cher pour tous. « On a la trésorerie, mais il ne faut pas que ça dure trop longtemps. On a demandé des délais de paiement, et on anticipe une demande d’annulation de ces délais », relate Jean-François Panin, inquiet. Le problème est encore plus grave pour les clubs Joa et Charron : le second n’a tout simplement pas encore ouvert, et le premier peinait à trouver ses marques au moment où le coup de massue est tombé.
Si la crise touche de plein fouet les établissements, le manque se fait aussi ressentir chez les joueurs. Beaucoup disent s’être remis au poker en ligne, sans évidemment pouvoir éprouver les mêmes émotions que lors des confrontations directes avec leurs adversaires. Pour ne pas se faire oublier, les enseignes ont choisi de maintenir le contact sur les réseaux sociaux. L’Imperial Club, tout en rappelant les mesures de protection contre le virus, lance par exemple les #ImperialGames sur Facebook, tandis que le Club Berri (VIIIe arrondissement) invente les “Vegas Home Games” sur Instagram.

La longue négociation

Si le pays avance dans le brouillard depuis le début du déconfinement, il est encore plus difficile d’envisager une réouverture des clubs, toujours fermés alors que les casinos ont rouvert le 2 juin. Les clubs de jeux, qui ne possèdent pas encore d’organisation interprofessionnelle, ont dû se ranger derrière le syndicat des Casinos de France, à l’exception des clubs Montmartre, Berri et Charron (les trois indépendants). Au passage, conséquence de la crise, le Club Berri a été racheté fin mai par le groupe Partouche.
Philippe Bon est délégué général de l’organisation qui rassemble les trois quarts des casinos de l’Hexagone. Il était déjà en discussion avec le gouvernement autour d’une ouverture partielle des casinos quand le Premier ministre a interrompu le dialogue, le 14 mars. Depuis, il souhaite une réouverture partielle des casinos, en ayant la « volonté de ne conserver que les jeux qui permettent de respecter les mesures sanitaires de distanciation ».
C’est bien là tout le problème pour les clubs, puisque Philippe Bon pointe du doigt les machines à sous. Or, dans les clubs, seuls les jeux de tables sont autorisés, et leur situation devrait donc être étudiée après celle des casinos. Face à des pertes colossales, les dirigeants souhaitent alors des contreparties financières. « On va faire une demande sur la fiscalité mais tous les restaurants et hôtels vont la faire… », regrette Thierry Bolleret. Je pense que cet épisode va changer la donne. Il va y avoir un avant et un après : le syndicat des casinos va demander des aides de l’Etat. »
La question de la survie des clubs à court terme se pose, s’ils ne rouvrent pas rapidement. « Tout le monde a mis un investissement assez important, tout le monde a recruté, et si aujourd’hui on nous empêche de travailler, il faut qu’on nous donne un petit billet quelque part. Il faut quand même vivre », s’agace Frédérique Ruggieri devant l’inaction du gouvernement. Même point de vue chez Jean-Denis Bardoux, du Paris Elysées Club : « S’ils ne nous lâchent pas d’autorisation de réouverture, on va perdre de l’argent chaque mois jusqu'à ce que l’autorisation soit donnée. Et une partie des clubs fermeront. »

Réinventer la vie des clubs

Comme tous les commerces, les clubs devront aussi vivre avec le virus à leur réouverture : ils s’interrogent sur une manière intelligente de jouer à table tout en respectant les mesures barrières. Cela commence par le nombre de joueurs dans le club : alors que le Club Circus accueillait jusqu’à 300 clients chaque soir, son responsable Thierry Bolleret imagine difficilement une limitation. « Si je ne fais rentrer que 70 personnes, je perds de l’argent. Le casino c’est un plaisir, la distanciation ça n’a aucun sens chez nous. » Autre point évident, le nombre de joueurs aux tables, qui pouvaient normalement accueillir entre huit et dix personnes chacune. « Je suppose qu’ils n’ouvriront que les tables à six personnes, et alors ce n’est plus le même jeu », observe l’habitué Philippe Lecardonnel, sceptique. Thierry Bolleret, qui travaille à un nouveau protocole sanitaire avec son équipe, ne veut pas envisager des tables de quatre : « on a l’impression de jouer en prison, avec des gants et un masque en plexiglas. »
Pourtant, ces mesures semblent nécessaires en cas de réouverture. Certains clients inquiets vont même plus loin : vérification de la température à chaque entrée à l’aide d’un pistolet, gants pour tous les joueurs et croupiers, utilisation d’un bain désinfectant pour les jetons… « C’est un endroit où les microbes peuvent circuler davantage, il n’y a rien de pire que les jetons, mais je ne me vois pas non plus jouer avec des gants », observe Philippe Lecardonnel. Un avis partagé par Kazuma, qui ne se voit pas retourner de sitôt dans les clubs : « les gestes barrières ça ne donne pas envie, mais en même temps les gestes d’hygiène vont faire du bien car plein de cercles ou clubs ne faisaient pas attention à la propreté des jetons ! En revanche, des vitres avec quatre joueurs par table, c’est non. »
Ces mesures “crève-coeur” semblent pourtant devoir s’imposer : « Je vais faire attention à la sécurité de mes employés en priorité, puis les clients. La santé va passer avant tout. Les tournois on ne va plus nous les autoriser mais c’est comme ça », relativise la présidente du Club Montmartre Frédérique Ruggieri. Le Club Circus a commandé 150 000 masques et des centaines de visières. Thierry Bolleret et son équipe ont également prévu une désinfection des locaux et des jetons, ainsi que le renouvellement fréquent des paquets de cartes. « Mon rêve c’est d’ouvrir, j’en ai mal au ventre. Il ne faudrait pas que ça dure des mois. »
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