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"On le surnommait la Pinte" : Quand le champion Alexis Pinturault s'est construit au pôle France

Julien Chesnais

Mis à jour 22/03/2021 à 14:26 GMT+1

C’est au pôle France d’Albertville, au sein du lycée d’été Jean Moulin, qu’Alexis Pinturault a entamé sa mue de champion, de 2006 à 2010. Jean-Pierre Mollié, directeur de la structure, et Anthony Milesi, son compagnon de chambre à l’internat, racontent comment s’est construit le nouveau vainqueur du classement général de la Coupe du monde.

Alexis Pinturault le gros globe du général

Crédit: Getty Images

Albertville abrite depuis 2016 le Centre National d'Entraînement de la Fédération Française de Ski. Un complexe sportif au sein duquel les athlètes peuvent notamment effectuer leur préparation physique et se réathlétiser en cas de blessure. Il englobe le pôle France, qui existait déjà en amont, une structure permettant aux jeunes de mener de front sport et études au sein du lycée d’été Jean Moulin, qui se trouve deux petits kilomètres au nord, tout près de la rivière d’Arly. "Ils font leur scolarité en 4 ans au lieu de 3, explique Jean-Pierre Mollié, directeur du CNE depuis l’an dernier et qui s’occupe aussi du pôle depuis 2006. Cela nous permet d’étaler la scolarité d’avril à novembre afin qu’ils puissent être libérés l’hiver, où les jeunes suivent tout de même des cours à distance."
A son arrivée à la tête du pôle, voilà 15 ans, Jean-Pierre Mollié voit débarquer dans sa première promotion un certain Alexis Pinturault, originaire de Courchevel, où il est licencié et a chaussé ses premiers skis à deux ans. Le futur vainqueur du gros globe, qui vient d’avoir 15 ans, n’a pas du tout l’étiquette d’un prodige. Pas encore. "On recrutait une dizaine de jeunes par année d’âge à l'époque, raconte Jean-Pierre Mollié. Sur les skis, Alexis avait comme d’autres des qualités assez importantes. Mais il n’était pas le plus fort dans la génération 1991. Il était plutôt dans les 3 ou 4 meilleurs, derrière notamment Mathias Roland, qui était lui aussi de Courchevel."
Les jeunes dorment à l’internat qui jouxte le lycée. Pinturault n’échappe à la régle. Anthony Milesi devient vite son grand pote et compagnon de chambre, avec le descendeur Nicolas Raffort. Les trois squattent la même piaule durant 4 ans, de 2006 à 2010. "Au début, on était tous à peu près du même niveau, raconte Anthony Milesi, qui a depuis arrêté sa carrière de skieur et possède désormais son bar à vin à Annecy, Le Salon Français, au sein duquel "Pintu", qui vit au bord du lac, à Saint-Jorioz, passe parfois une tête. Alexis ne sortait pas encore du lot quand on était en seconde. Et puis il a explosé en cadet 2, lors de notre deuxième année d’internat."
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Il a toujours été un gros bosseur
"Plus jeune, il était assez petit et frêle par rapport aux autres, explique Jean-Pierre Mollié. Puis il a grandi, pris du volume, du physique." L’effet de la croissance. Mais pas que. "C’est quelqu’un qui depuis toujours est un gros bosseur et est très investi dans le travail physique. Il était assez doué pour le foot. Il était inscrit dans un club à côté d’Annecy avant qu’il n'intègre le pôle. C’était assez intéressant car ça lui permettait d’avoir une activité assez différente de ce que font habituellement les jeunes de station."
Sur les skis, il n’est pas spécialement orienté vers le géant, la discipline où il s’est ensuite le plus imposé en coupe du monde et où il a validé sa quête du gros globe, samedi à Lenzerheide. "Il a toujours eu cette polyvalence, raconte Jean-Pierre Mollié. Il a eu la chance d’être formé dans un club comme Courchevel où il a pu faire du saut, s’exercer dans plein de disciplines. Ils ont une piste d'entraînement pour la descente, les jeunes peuvent y passer du temps pendant les vacances de noël et février. Alexis, c’est un vrai pilote, et les pilotes, ils adorent la vitesse. Il a toujours aimé ça. Mais son gabarit fait qu’il n’a jamais été avantagé dans ce domaine, chez les jeunes et encore aujourd’hui."
Durant leurs années au pôle, les jeunes restent affiliés à leur structure lorsque l’hiver débute, que ce soit un club, un comité régional ou un groupe fédéral. Alexis gravit vite ces échelons. "Il était encore avec le club de Courchevel lors sa première saison au lycée, car c’était leur fonctionnement, ils accompagnaient encore les jeunes sur la 1re année, rapporte Jean-Pierre Mollié. Puis il a dû faire une seule année au comité Savoie et est ensuite passé dans le 'groupe relève', au sein de l’équipe de France."
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S’il avait choisi l’athlé, il aurait pu performer
Au pôle, où il fait la rencontre de sa future femme, Romane Faraut, Pinturault ne tarde pas à impressionner lors des séances de préparation physique, une vingtaine d’heures de sport chaque semaine. "Il avait des qualités aérobies assez importantes et une explosivité énorme, se souvient Jean-Pierre Mollié. Quand on faisait des batteries de tests, il était très rapide sur les sprints de 30m. Je m’amusais à comparer ses chronos avec les spécialistes d’athlétisme du même âge : il était dans le coup. S’il avait choisi autre chose, je pense qu’il aurait pu performer en athlé. Il avait aussi des qualités en gymnatisque. Il pouvait faire des anneaux, de la barre fixe, c’était assez impressionnant !"
"C’est vrai qu’il était intouchable au sprint, sourit Anthony Milesi. Physiquement, il a toujours été impressionnant et très complet. Il était fort partout, en musculation, en endurance, en vélocité, en sprint… Ça compte, évidemment, mais plus que par son physique, c’est dans la tête qu’il s’est démarqué des autres. Il était toujours présent sur les grosses courses. Il ne craquait jamais sous la pression. Et même s’il n’avait pas les résultats espérés, il avait cette capacité à aller toujours de l’avant." Cette même faculté à rebondir qui s’est encore vérifiée, samedi lors du géant de Lenzerheide.
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Sur les bancs du lycée, Pinturault se veut très appliqué. Il veille tard pour finir ses devoirs. "L’objectif pour nous c’était d’avoir le bac, de sortir avec une mention, décrit Anthony Milesi. Et Alexis s’en donnait les moyens." Objectif rempli pour l’élève Pinturault, qui valide son bac S avec mention assez bien.

Le déclic de Garmisch

"Il me semble qu’il était particulièrement doué en mathématiques, tente de se souvenir Jean-Pierre Mollié. Alexis a un esprit très structuré. Il avait une vraie faculté à organiser son travail au niveau scolaire. Il était capable de rentrer de stage à Ushuaia et d’être opérationnel en cours dès le lendemain malgré le décalage horaire. Mais il savait aussi être dissipé ! Je me souviens qu’en chahutant avec Anthony, il avait fini par le faire traverser une vitre sans faire exprès. Alexis restait apprécié des équipes pédagogiques et de préparation physique car l’intéraction était permanente avec lui. Il était assez réservé mais savait échanger sur l’essentiel."
"Dans un groupe, il était très facile à vivre, poursuit Jean-Pierre Mollié. Il était toujours partant, qu’importe ce qu’on lui proposait, même quand ça sortait un peu de la routine. Il était toujours déterminé à donner le meilleur. Et ça, c’était une clé. Sur un terrain, il était parfois dur avec les autres. Il donnait le meilleur de lui-même, donc il exigeait que les autres en fassent autant, ce qui n’était pas toujours le cas."
Au sein de la bande de "potes" que constitue les membres du pôle, Alexis était "plutôt leader" estime Anthony Milesi. Ce dernier situe une vraie bascule au niveau du premier titre de champion du monde juniors géant d’Alexis, en 2009 à Garmisch, avant que ne débute la troisième de leurs quatre années d’internat. "Il y a eu un vrai déclic avec ce titre. Ça lui a donné de la confiance et beaucoup d’assurance. Il s’est affirmé sans pour autant prendre la grosse tête. Il tirait le groupe vers le haut et mettait aussi la bonne ambiance, en restant humble et très sympathique."
Alexis pouvait être assez naïf
Un nouveau statut qui ne le met pas à l’abri des blagues les plus potaches. "Alexis pouvait être assez naïf, se marre encore Anthony Milesi. Une fois, on l’a réveillé à 1h en lui faisant croire que c’était déjà le matin. Nous étions 6 ou 7 à être dans le coup, on avait changé l’heure sur nos portables et sur le sien. Il avait la tête dans le cul, il sentait qu’un truc clochait, mais il y a cru jusqu’au dernier moment ! On l’a vu franchir la porte donnant sur la cour du lycée alors qu’il faisait nuit. Et là, on a tous éclaté de rire. Il était habillé, prêt à se rendre au petit-déjeuner et à aller en cours… C’était un super souvenir. Et je pense qu’il s’en souvient encore très bien !"
Pourquoi était-ce tombé sur lui ? "Je ne sais plus ! assure Anthony. Mais ce n’était pas du tout la victime du lycée ou quoi que ce soit. On avait fait cette blague à quelqu’un d’autre aussi. On était une vraie bande de potes. C’était juste pour se marrer, tout simplement."
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Alexis Pinturault et le gros globe

Crédit: Getty Images

A l’époque, dans la bouche de ses camarades, Pinturault n’est pas encore "Pintu". Mais la "Pinte", rapporte Anthony Milesi. Un jeu de mots pas forcément sans lien avec certaines virées au "BH", le bar tout proche de l’internat. Mais sans jamais tomber dans de grands excès, assure Anthony. Juste "une bière" de temps en temps. "On avait très peu de temps libre de toute manière. On était tellement occupés avec le sport et les cours…"
Affichait-il déjà cette ambition d’être un immense champion, d’être le nouveau Marcel Hirscher, qui avait lui aussi percé très jeune et faisait déjà figure de modèle, à la fin des années 2000 ? "Peut-être le pensait-il intérieurement, et sûrement d’ailleurs, estime Anthony Milesi. Mais il ne disait pas ouvertement : 'je veux être champion olympique', ou un truc du genre. Au contraire. Au début, quand on parlait de ce que l’on ferait si on l’on ne perçait pas dans le ski, il parlait d’être ingénieur. Je pense que s’il n’avait pas obtenu ces résultats chez les juniors, il se serait dirigé vers des grandes écoles."
Alexis arrête ses études dès le bac validé, en 2010, et signe son premier podium en coupe du monde dès l’hiver suivant, une 2e place au géant de Kranjska Gora, le 5 mars 2011. Dix ans avant de soulever le gros globe. A 19 ans, sa route vers les sommets était déjà tracée. Anthony Milesi se souvient : "On faisait la route avec son père (Claude, qui est aussi l’agent d’Alexis) depuis Annecy. Dans la voiture, il disait à son fils : 'si tu veux percer dans le ski, il faut être très bon tout de suite..'. Et Alexis a fini par être champion du monde juniors. À ce moment-là, ils se sont dit qu’il était peut-être temps de se concentrer uniquement sur le ski." Avec la magnifique réussite que l’on connaît.
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