ATP Pékin : Mats Wilander estime le niveau des duels entre Carlos Alcaraz et Jannik Sinner comparable à celui du Big 3

Les yeux embués de Juan Carlos Ferrero, poing serré après le triomphe final de son protégé, ne trompaient pas. Mercredi, les spectateurs extatiques de Pékin ont assisté à un sommet d'intensité en finale, comme l'affiche le promettait. Et c'est bien ce qui est le plus réjouissant : Carlos Alcaraz et Jannik Sinner sont (presque) toujours à la hauteur des attentes et ce à respectivement 21 et 23 ans seulement. Ils ont déjà livré 10 batailles l'un face à l'autre et ce n'est vraisemblablement que le début. Une bénédiction alors que l'ère de Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic se termine.

"Leurs matches sont l'un des meilleurs événements sportifs jamais vus, s'enthousiame Mats Wilander, consultant pour Eurosport. Il y a du suspense, du divertissement, Carlos Alcaraz sourit la plupart du temps. Le match peut basculer à tout moment. Il y a des changements de dynamiques mais ils ne durent pas longtemps, 5 ou 10 minutes maximum, et puis l'autre revient et fait quelque chose qui lui permet de reprendre le dessus. Carlos Alcaraz reste le même depuis trois ou quatre ans : c'est un diamant brut. Parfois, il se polit, d'autres fois il est brut. Jannik Sinner rend ces duels plus intéressants parce qu'il est devenu plus complet, il joue avec plus de variété qu'avant, ose toucher une amortie par ci par là, vient parfois au filet. Donc il y a de la surprise des deux côtés."

Certes, Alcaraz vient de supplanter Sinner pour la troisième fois consécutive. Et son charisme, son panache tennistique sont à nul autre pareil. L'Espagnol fait des choses sur un court qu'on ne voit chez aucun de ses concurrents, comme cette feinte d'amortie aboutissant à un coup droit chopé long inspiré de Roger Federer, ou encore ce smash amorti qui est en train de devenir l'une de ses marques de fabrique. En comparaison, le tennis de l'Italien semble plus rationnel voire mécanique, mais c'est justement ce contraste qui fait que la magie opère.

"J'espère que Carlos Alcaraz ne changera pas. J'espère que ce diamant brut ne polira pas vraiment son jeu parce que c'est ce qui est si intéressant. Le voir sourire en dit long, parce que quand vous souriez comme ça, vous vous dites : 'Oh mon dieu, c'est fou que j'aie fait ce coup ou que j'aie raté ce coup.' Il sourit quoi qu'il en soit. C'est un athlète fantastique, une personnalité fantastique, et on a besoin de gens qui le complètent. Et Jannik Sinner est certainement celui qui le complète le mieux", confirme l'ex-champion suédois.

Si "Carlitos" a un ADN offensif federerien et une intensité physique/grinta nadalienne, Sinner a davantage les attributs d'un Djokovic 2.0. Sa précision à la relance – comme sur le sauvetage en coup droit de la 3e balle de set contre lui dans le tie-break du 1er set à Pékin –, sa capacité à tout "verrouiller" mentalement et à ne pas faire de fautes le rapproche du Serbe. Mais en s'affrontant aussi régulièrement, les deux hommes se font progresser : Alcaraz gagne en structure dans son tennis champagne, quand Sinner se fait moins prévisible. Et leurs joutes en sont d'autant plus haletantes.

"Ils suivent les traces du Big 3 en termes de niveau, ose même Mats Wilander. J'espère que Roger, Novak et Rafa n'écoutent pas, mais en termes de niveau, quand Sinner et Alcaraz sont à leur meilleur, personne n'a jamais mieux joué au tennis. Ce n'est pas possible que la balle ait fait des choses plus compliquées que ce qu'elle fait entre Sinner et Alcaraz, pour moi." Si leurs personnalités ne sont sans doute pas encore aussi affirmées que leurs glorieux aînés – après tout, ils sont encore très jeunes –, tennistiquement, l'intensité et l'électricité de leurs duels ne sont pas sans rappeler les blockbusters du "Big 3", avec peut-être une dimension supplémentaire au niveau de la puissance de feu.

Attention, comparaison n'est pas raison : il ne s'agit pas de dire ici qu'Alcaraz et Sinner vont dominer la planète pendant deux décennies comme l'ont fait Federer, Nadal et Djokovic, ou qu'ils les égalent en termes de style, une appréciation de toute façon bien subjective. Mais ils partagent avec eux cette capacité à se sublimer alors même que la tension est à son comble, que l'importance du moment devrait provoquer davantage de déchet. Le 8e jeu du deuxième set qui a failli voir Sinner prendre un avantage décisif ainsi que le final exceptionnel d'Alcaraz dans le tie-break décisif en sont des exemples flagrants.

"D'expérience, quand on aborde un match comme celui-là, même si c'est une finale d'ATP 500, c'est comme une finale de Grand Chelem, témoigne enfin Wilander, 7 fois titré en Majeur. Puis, au fur et à mesure que le match avance, on commence à réaliser : 'Oh je pourrais gagner. Je pourrais perdre. Et ce n'est pas la fin du monde de toute façon.' Je pense qu'ils jouent de plus en plus relâchés plus le match dure parce qu'ils font le spectacle. Ils vont tous les deux quitter le court avec de la confiance. Et à la fin, ils produisent leur meilleur tennis dans les moments que nous pensions les plus tendus." C'est ce qui rend Alcaraz et Sinner spéciaux. Heureux tennis de pouvoir désormais compter sur ces deux spécimens.