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"Ils veulent pas venir"

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 11/11/2011 à 14:54 GMT+1

Vingt ans après la victoire de 91, Yannick Noah pose un regard d'une sévérité absolue sur l'équipe de France. L'ex-capitaine fustige l'implication des joueurs. Guy Forget y voit le signe d'un décalage générationnel. Il confirme que l'exigence de Noah est incompatible avec les joueurs d'aujourd'hui.

Noah

Crédit: AFP

A priori, son nom ne viendra pas grossir la longue liste des prétendants, même si ça le démangeait. Alors que le tennis français se prépare à trouver un successeur à Guy Forget à la tête de l'équipe de France de Coupe Davis pour l'après 2012, après treize ans de mandat, il n'y aura pas d'outsider nommé Noah. Capitaine de la campagne victorieuse de 1991, dont le vingtième anniversaire se rapproche, rappelé en 1995 pour un deuxième mandat, 'Yan' ne sortira pas de sa carrière de chanteur pour reprendre le flambeau. "Je n'ai jamais envisagé de devenir capitaine à nouveau et aujourd'hui, moins que jamais", lâche sèchement Noah dans Naissance de la France qui gagne, ouvrage célébrant les vingt ans de la campagne de 1991 paru sous la signature de Fabrice Abgrall et François Thomazeau. Ce que révèle surtout la lecture des récentes déclarations du vainqueur de Roland-Garros 1983, c'est que la prise de contact avec la génération des Monfils, Tsonga et Simon pourrait être brutale. Car Noah pose un regard très sévère sur les héritiers de Forget et Leconte.
"Moi, expose Noah, j'ai été capitaine à une époque qui était la belle époque, où les joueurs étaient fiers d'être en équipe de France. Quand je vois aujourd'hui le travail de Guy, c'est 80% d'aller séduire les mecs pour qu'ils viennent : 'S'il vous plaît, sans trop vous déranger dans votre putain de planning, est-ce que vous voulez bien venir?' Et quand il y en a qui viennent, ils viennent en reculant et le plus tard possible. Moi, je n'avais pas ce problème. (...) Je me rappelle des discussions avec McEnroe à l'époque, je lui disais: 'Moi, je m'éclate.' Et lui me disait: 'Moi, mon boulot, c'est d'aller cirer les pompes de l'agent d'Agassi parce que sinon, les mecs, ils ne veulent pas venir.' C'est un peu ce qui se passe aujourd'hui." Noah a du mal à saisir la patience de son successeur et ami. Celui, en 1999, qu'il avait poussé à prendre la succession pour assumer la continuité d'un état d'esprit. "Moi, à la place de Guy, j'aurais démissionné depuis longtemps. Je n'aurais pas eu cette patience."
Forget : "Moi je suis plus flexible"
L'intéressé, que nous avons rencontré à Bercy pour évoquer ces déclarations, assume que le respect fidèle des méthodes de Noah est devenu impossible. "Aujourd'hui, même si Yannick nous a marqués en tant que capitaine de manière forte et s'il a pu mettre en place un mode de fonctionnement auquel j'adhère complètement, il était entouré de joueurs qui étaient très réceptifs à ses messages. La plupart étaient des amis. Et ils avaient envie d'aller dans un mode de fonctionnement qu'il s'imposait à lui-même à l'époque, c'est-à-dire beaucoup de physique, de grosses séances de travail, avec une organisation quasi-militaire, tellement poussée à l'extrême que je trouvais ça presque drôle. C'était notre manière de nous préparer, à la manière d'un commando. Et on avait des résultats très bons et on était content de tout ça. Yannick était quelqu'un de beaucoup plus rigide que moi. Beaucoup moins diplomate. Soit on adhère à son mode, soit on dégage. Moi, je suis plus souple, plus flexible, même si on défend les mêmes valeurs et les mêmes idées."
Noah : "Il faudrait tout reprendre..."
Guy Forget, qui a mené la France à trois finales, pour une victoire en 2001, défend en quelque sorte l'idée d'une modernisation des principes hérités de son ancien partenaire de double. "Le rôle du capitaine à un moment donné, c'est aussi de s'adapter aux membres de l'équipe, à leur personnalité, à leur génération, comme on le voit dans tous les sports. Aujourd'hui, tout va très vite, tout se sait très vite et on ne peut pas lutter contre ça. A l'époque de Yannick, il y avait moins d'argent en jeu, moins de sollicitations médiatiques, moins de moyens de distraction. Yannick ne voulait pas que l'on lise le journal pour nous polluer l'esprit. J'ai essayé d'imposer cela moi aussi, mais je voyais que mes gars ouvraient leur I-Pad ou leur portable et lisaient tout ce qu'ils voulaient. Ce sont des combats aujourd'hui qui sont perdus d'avance. (...) Yannick est devenu chanteur, il a pris un peu de recul. Les joueurs sont aussi devenus plus individualistes, plus sollicités. Et parmi les garçons qui composent mon équipe, tous sont différents. Soit je passe en force et j'impose des choses qui sont dans le moule de ce qu'avait fait Yannick et je vais au clash. Soit je dis : 'j'arrête'. Dans ce mode de fonctionnement là, il aurait quitté le poste. Il n'aurait pas eu envie d'assouplir ce mode de fonctionnement."
Forget ajoute qu'il avait senti ce décalage dès 1998, au moment de la passation de pouvoir. "Quand Yannick est parti et qu'il m'a demandé de prendre sa succession, c'est qu'il sentait qu'il y avait une génération de joueurs qu'il connaissait moins bien, moins réceptifs à ce genre de dialogue. Donc aujourd'hui, qu'il dise cela, cela ne m'étonne pas. Je comprends aussi les jeunes." La question du retour de Noah auprès des Bleus reste cependant un serpent de mer, qui a failli se concrétiser, d'une façon différente, en 2007. "J'ai essayé à une époque de l'introniser au sein de l'équipe, confirme Forget. Je voulais que les jeunes joueurs aient un deuxième discours différent du mien, qui les marque. Yannick a un sacré charisme, une certaine sensibilité, des racines au Cameroun et un vrai talent pour faire passer des messages forts." Mais c'est Noah qui a décliné l'offre. "Je me suis dit que ça allait être plus de la nuisance qu'autre chose, explique-t-il. Je me suis demandé si ça n'allait pas faire plus de mal que de bien aux joueurs. Parce que moi, je dis ce que je pense. Et que là, il faudrait tout reprendre..."
"Les jeunes pensent que c'est un tennis d'une autre époque"
"Cela aurait été un bon moyen de les rapprocher", observe pourtant Forget, à égale distance des deux camps. Le gaucher perçoit aussi dans l'aigreur de Noah les signes d'une frustration, celle de ne pas avoir été approché pour apporter son aide, comme Amélie Mauresmo l'avait fait en 2005. "Il aimerait être sollicité davantage, assure Forget. Et les jeunes ne le font pas... Parce qu'ils n'ont jamais vu jouer Yannick. Ils pensent, en revoyant des images, que c'est un tennis d'une autre époque. Yannick n'est plus dans le milieu du tennis depuis longtemps et les jeunes sont aussi timides. Tout le monde se regarde sans trop se comprendre. Le problème, c'est qu'il n'aime pas venir au tournoi, regarder des matches de tennis. Il préfère rester dans son canapé. Il les connaît mal finalement." Noah : "Je sais que je peux aider la nouvelle génération. S'ils viennent, je serais prêt à leur donner tout ce que je peux, mais à un moment donné, tu dois respecter 'l'ancien', avoir un sens de la hiérarchie. Je vois comment ils vivent. Mon fils a leur âge mais il n'a pas la même mentalité. Et pourtant ces joueurs-là sont des champions : Gaël est un champion, Tsonga est un champion, Gasquet est un champion. (...) Je suis dans le coin, je ne suis pas sur la Lune, comment se fait-il qu'il n'y en ait pas un qui décroche son téléphone pour m'appeler ? Moi, j'ai ma fierté." Celle du plus grand joueur français et meilleur capitaine de l'après-guerre à ce jour.
(1) "NAISSANCE DE LA FRANCE QUI GAGNE", par Fabrice Abgrall et François Thomazeau, Editions Hugo&Cie, 264 pages, 17,95 euros, parution le 3 novembre
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