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Entre effet de mode et (fausses ?) bonnes raisons : la délicate tentation du come-back

Rémi Bourrières

Mis à jour 10/03/2020 à 15:11 GMT+1

Le retour à la compétition aussi médiatisé qu'énigmatique – et fort honorable – de Kim Clijsters, ces dernières semaines, nous amène à poser la question : qu'est-ce qui peut bien pousser ainsi un(e) champion(ne) à quitter soudainement le confort de sa retraite pour repartir au charbon, alors que tout semblait terminé ?

Kim Clijsters

Crédit: Getty Images

Il y a ceux qui ferment la porte et s'en vont sans jamais se retourner, parfois même sans dire au revoir, tel Pete Sampras ou Mary Pierce. Et puis ceux dont l'histoire semble vouée à ne jamais se terminer sans un dernier soubresaut, un dernier rebondissement, un dernier frisson, jusqu'à ce que la flamme ne se consume, définitivement.
Ces indécis de la petite mort semblent même de plus en plus nombreux, dans un effet de mode qui a sans doute quelque chose à voir avec l'allongement de l'espérance de vie sportive, l'évolution des mœurs et puis peut-être aussi la hausse des prize-money, de plus en plus alléchants. Chacun a ses raisons qui lui sont propres, qui sont parfois enfouies, parfois cachées, parfois même reniées. Mais qui existent, malgré tout. On ne se jette pas ainsi à l'eau sans être mû par une force intérieure si puissante qu'elle est capable de tout emporter, parfois jusqu'aux confins du raisonnable.

Golovin : "Les mentalités doivent encore évoluer"

C'est peut-être cliché, mais si les femmes sont réputées dans la vie pour leur capacité supérieure aux hommes à prendre des décisions radicales, cela se vérifie à l'échelle du tennis où elles sont plus légion à se lancer dans la grande aventure. "Mais cela s'explique facilement, selon Tatiana Golovin, qui a elle-même tenté ("sur un coup de tête") son come-back, fin 2019 en jouant deux tournois ITF après 11 ans d'absence, avant d'être "rattrapée par la réalité et par les douleurs" et donc de mettre le projet sur pause. Les femmes, déjà, commencent plus tôt. Surtout, elles doivent faire beaucoup de sacrifices personnels si elles veulent avoir une longue carrière. On voit beaucoup d'hommes voyager sur le circuit avec leur famille. Mais très peu accepteraient d'arrêter de travailler pour suivre leur femme sur les tournois et s'occuper des enfants. Peut-être que les mentalités doivent encore évoluer. C'est un autre débat !"
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Tatiana Golovin

Crédit: Getty Images

Dans le cas de "Tati", 12è mondiale avant d'être stoppée net par une spondylarthrite ankylosante, la tentation du come-back pouvait aisément se comprendre. Son histoire n'était pas terminée. Elle avait une revanche à prendre, sur son s(p)ort, sur la vie, sur la maladie. Mais dans le cas d'une Clijsters, 36 ans (dont 7 d'absence), déjà bardée de titres et de gloire, mère – semble-t-il - épanouie de trois enfants, et auteure déjà d'un premier come-back aussi réussi que plus compréhensible, en 2009, après la naissance de sa fille aînée, quel est le but recherché ?
L'intéressée, tout en restant évasive à la fois sur ses motivations profondes comme sur ses objectifs, a évoqué l'amour du jeu, la recherche d'adrénaline, l'envie de se fixer un nouveau défi. Elle est sûrement sincère. Golovin, qui l'a longtemps côtoyée sur le circuit, a toujours trouvé que la Belge avait en elle "deux valeurs très ancrées : la famille et le sport. Ce come-back est l'occasion pour elle de concilier les deux. Je crois que le fait de voir des joueuses de sa génération, notamment Serena Williams, concilier leur vie de mère et de joueuse, ça a dû la titiller."
Beaucoup d'hommes aimeraient rejouer, mais n'osent pas
Mais au-delà de ça, il y a peut-être aussi d'autres ressorts plus cachés, plus difficiles à exprimer. On se souvient des propos émouvants de Justine Henin à l'heure d'évoquer son come-back en 2010, alors qu'elle avait quitté la scène en 2008… dans la peau d'une n°1 mondiale. "J'avais un besoin urgent de souffler, de recharger les batteries. J'avais l'impression de n'exister qu'à travers le tennis. Depuis, j'ai vécu pas mal de choses qui vont me permettre, je l'espère, de relativiser tout ça. Je veux pouvoir revenir à la performance sans jamais me perdre comme ça a pu être le cas. J'ai peut-être aussi eu le tort de vouloir revenir à une vie plus tranquille, alors que ça n'est pas dans mon caractère."
Dur, dur, quand on a été une star sans cesse mise sous le feu des projecteurs, droguée aux décharges émotionnelles incomparables que procure la compétition, de revenir à une vie plus normale, plus "plan-plan", disons-le plus ennuyeuse. Et de retomber, en même temps, dans un certain anonymat. L'ancienne joueuse française devenue consultante, Sarah Pitkowski, évoque un autre aspect – là aussi moins avouable – qui incite peut-être les joueuses à refaire un tour de manège.
"Depuis 10-20 ans, le niveau technique du tennis féminin a régressé, c'est assez hallucinant, tacle la Nordiste. C'est la raison pour laquelle on voit autant d'inconstance. Les filles jouent bien quand elles sont en confiance mais dès qu'elles ne le sont plus, comme leur technique est fragile, elles peuvent perdre contre des filles très mal classées. Ça, du temps de Clijsters, ça n'arrivait jamais. Et elle le voit forcément…" On est d'accord ou pas. Mais Rodolphe Gilbert, qui avait entraîné Marion Bartoli dans sa tentative de come-back il y a deux ans, confirme que c'est "en partie ce phénomène qui l'avait motivée à revenir. A l'inverse, je suis persuadé que beaucoup d'hommes aimeraient rejouer, mais n'osent pas."
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Kim Clijsters - WTA Dubai

Crédit: Getty Images

Derrière la belle histoire, galères et souffrances

En 2008, alors âgé de 40 ans, l'ancien 61e mondial avait lui-même effectué un come-back et ne cache pas qu'à désormais 51 ans, il jouerait encore sur le circuit s'il n'avait pas touché du doigt ses limites physiques. La preuve quand même que si certains champions hurlent leur haine envers leur sport, celui-ci reste une drogue dure, profondément infusée dans leurs veines. La preuve aussi que le phénomène n'est pas que féminin. Mais c'est vrai que l'équivalent masculin d'une Clijsters n'est pas évident à trouver. Le plus emblématique exemple reste celui de Björn Borg, auteur en 1991 (à 35 ans) d'un pathétique retour qui n'avait que peu à voir avec l'amour du tennis, ni avec le formidable champion qu'il fut.
En fouillant un peu, on déterre l'exemple de Ronald Agenor, ce spectaculaire et attachant joueur haïtien qui avait atteint son apogée en 1989 avec une 22e place mondiale et un quart de finale à Roland-Garros. La suite, entre la greffe du foie de sa mère en 1990, le décès de son père en 1992 et autres problèmes personnels, avait été plus compliquée. Après un burn-out en 1996 et (quasiment) une année sabbatique dans la foulée, l'ancien Bordelais d'adoption, désormais basé en Californie, était parvenu à revenir dans le top 100 en 1999 à l'âge de 35 ans, devenant d'ailleurs le joueur le plus âgé à franchir ce mur depuis Jimmy Connors en 19991. Pas mal ! Mais à quel prix…
Derrière la belle histoire, Agenor tient aussi à rappeler les affres d'un processus toujours plus compliqué, et tortueux, qu'on ne le croit. "Personnellement, je l'avoue, je suis revenu en partie pour l'argent, alors que ça n'avait jamais compté pour moi. Je n'ai reçu quasiment aucune wild-card, j'ai dû repartir me battre sur les satellites, seul, tout en veillant sur ma mère qui arrivait en fin de vie. Je n'ai jamais vraiment retrouvé mon tennis, mais je suis quand même parvenu à revenir dans le top 100 grâce à une énorme volonté. Là-dessus, certains joueurs, comme Jeff Tarango – le pire des connards -, ont fait publiquement des allusions au dopage. Bref, mon come-back a été très dur, sur tous les plans. J'ai tellement souffert, c'était presqu'inhumain..."
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Ronald Agenor à Roland-Garros en 1988.

Crédit: Getty Images

Si elle ne revient pas à la compétition, qui parle encore de Kim Clijsters aujourd'hui
Pour celui qui est désormais reconverti dans le coaching et la musique – il va sortir un album le 1er mai –, un come-back est aussi forcément lié à l'argent. Toujours. De près ou de loin. Dans son cas, comme dans celui d'un Borg, c'était de près. Dans le cas d'une Clijsters, on peut penser que c'est de loin. "Le tennis lui manque, c'est certain, mais je suis tout aussi certain qu'il n'y a pas que ça, juge Agenor. Derrière, il y a forcément un plan. Peut-être de gros sponsors. Aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, l'annonce de son come-back a touché en 5 minutes des millions de personnes. Cela représente un gigantesque business potentiel. Et tout cela va de pair à un besoin d'être à nouveau au centre de la lumière, une forme de nostalgie que nous avons tous, les sportifs comme les artistes ou les acteurs. Parce que honnêtement, si elle ne revient pas à la compétition, qui parle encore de Kim Clijsters aujourd'hui ?"
Possible, mais le risque est grand aussi d'écorner son image, au beau fixe dans le cas de Kim. Pour l'instant, tout va bien. Clijsters a perdu ses deux matches, face à Garbiñe Muguruza à Dubaï et Johanna Konta à Monterrey. Mais en proposant un tennis et une résistance très respectables, le tout en restant très perfectible sur le plan du physique et de la confiance. Toutefois, "je suis persuadée que dans sa tête, elle est la même joueuse qu'il y a dix ans, estime Tatiana Golovin. Je ne crois pas qu'on puisse se mettre dans la peau d'une 50è mondiale quand on a été n°1. Perdre contre Muguruza et Konta, ça va, elle peut l'accepter. Qu'en sera-t-il si demain elle perd contre des filles moins fortes ?"
Raviver la flamme intérieure est une chose, la maintenir en vie après s'être exposé aux quatre vents de la réalité en est une autre, qui nécessite une constance physique et mentale - la qualité de balle, elle, ne se perd jamais – pas évidente après tant d'années. Un réajustement de l'égo, aussi. Beaucoup se sont perdus en route. Ou, alors, ont finalement trouvé davantage de satisfaction dans le cheminement vers le come-back que dans le come-back en lui-même. C'est à la fois subtil, irrationnel et imprévisible. Et c'est bien cette part d'inconnue qui rend le come-back aussi fascinant, au-delà du simple plaisir qu'il y a à revoir un champion depuis si longtemps disparu des écrans.
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Kim Clijsters

Crédit: Getty Images

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