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Le coaching généralisé au tennis, un progrès, vraiment ?

Maxime Battistella

Mis à jour 07/02/2020 à 16:49 GMT+1

Alors que le coaching depuis les tribunes sera expérimenté à partir du prochain tournoi de Dubaï (17-22 février) sur le circuit WTA, le débat reprend de plus belle sur sa pertinence. Si certains se réjouissent d’une telle évolution, d’autres la repoussent. L’occasion était donc belle de s’attaquer au sujet en profondeur et d’en explorer les implications.

Patrick Mouratoglou à l'US Open en 2019

Crédit: Getty Images

"Félicitations à la WTA d’endosser encore le rôle d’éclaireur pour le jeu. J’espère que l’ATP suivra." C’est avec ces mots dans un tweet daté du 27 janvier dernier que Patrick Mouratoglou a accueilli une nouvelle passée un peu inaperçue dans le contexte de l’Open d’Australie : le circuit professionnel féminin autorisera le coaching depuis les tribunes, à partir du tournoi de Dubaï (17-22 février) et sur toutes les autres épreuves des catégories Premier et International cette saison. Mais si l’enthousiasme du coach de Serena Williams est partagé par certains, il ne l’est pas par tous les acteurs du jeu.
Edouard Roger-Vasselin n’a d’ailleurs pas tardé à manifester son désaccord sur le même réseau social. Le monde du tennis est profondément divisé sur le sujet et ce pour de multiples raisons qui tiennent à la conception même de ce sport et de son avenir. Depuis le fameux incident qui avait opposé sa joueuse à l’arbitre Carlos Ramos en finale de l’US Open 2018, Mouratoglou n’a pas fait mystère de sa position sur le coaching et revient régulièrement à la charge. Le 18 octobre de la même année, il avait eu le mérite d’exposer clairement ses arguments par écrit dans un plaidoyer vibrant.

La fin d'une hypocrisie ou le début d'une autre ?

Il y expliquait notamment que réformer les règles du tennis sur le coaching mettrait fin à une hypocrisie généralisée. "La quasi-totalité des coachs intervient verbalement ou par des signes (ou les deux) durant les matchs et souvent même entre chaque point. Les joueurs connaissent cette pratique et la réclament auprès de leur coach. Les arbitres sont parfaitement au fait de ces usages et ferment les yeux (dans leur immense majorité) dans la mesure où le coaching ne devient pas trop voyant", estimait-il. Un avis que partageait d’ailleurs récemment l’ex-champion suédois Mats Wilander.
Il faut avouer qu’il est difficile de donner tort à Mouratoglou sur ce point, tant les avertissements pour coaching sont rares sur le circuit professionnel. Et l’intéressé n’a pas hésité à expliciter sa pensée en septembre dernier dans un entretien accordé à nos confrères britanniques de Sky Sports. "Je ne vais donner aucun nom, mais même les joueurs réputés pour être les plus grands guerriers du circuit sont aidés par leur box pendant un match. Ils ne s’en sortent pas tout seuls." L’allusion à Rafael Nadal et à ses échanges répétés, surtout en début de carrière avec son oncle Toni, ne fait pas l’ombre d’un doute.
Mais le débat ne peut et ne doit pas s’arrêter là. Car en parallèle de cette nouvelle expérimentation, la WTA continue d’autoriser le recours au coaching sur le court pour les joueuses – une fois par set, voire plus en cas de sortie du court de l’adversaire pour se changer ou un temps mort médical – si bien que dans la pratique, elles pourraient échanger quasiment en continu avec leur coach. L’hypocrisie change alors peut-être de camp. "L’argument des défenseurs du coaching c’est : ‘Arrêtons l’hypocrisie, y a déjà du coaching.’ Attendez, si on tolère un geste, un regard, ce n’est pas la même chose que de donner des consignes pendant une minute trente. Ce n’est pas vrai. C’est très, très différent", objecte Arnaud Di Pasquale, ancien joueur et consultant pour Eurosport.

Le coach entre ombre et lumière

Le médaillé de bronze à Sydney trouve d’ailleurs que ce n’est pas forcément dans l’intérêt du joueur qui doit rester l’acteur principal de son sport. "Poser cette question aux coaches, à mon sens, c’est un peu biaisé. Ils sont un petit peu juge et partie. Il faut faire attention, les coaches, comme tout l’entourage des joueuses et des joueurs, sont dans l’ombre, et beaucoup aimeraient plus de lumière", estime-t-il. Mouratoglou ne s’en était d’ailleurs pas caché dans son plaidoyer, même s’il abordait la question sous l’angle de la reconnaissance de son métier. "En l’autorisant, en le mettant en scène pour que le spectateur profite du spectacle, le coaching prend une place centrale. Je suis fier d’être coach et je souhaite que ce métier, que je considère comme l’un des plus beaux du monde, soit enfin reconnu à sa juste valeur."
L’importance du rôle des coaches ne peut être contestée dans le tennis moderne. Il suffit de constater par exemple l’influence qu’a pu exercer un Ivan Lendl sur Andy Murray qui avait perdu, comme lui, ses quatre premières finales de Grand Chelem, avant de briser ce plafond de verre. Ou, plus récemment, l’effet quasi-immédiat du retour de Marian Vajda auprès de Novak Djokovic après quasiment deux ans de flottement. Cette relation aussi forte qu'importante pour son équilibre, le Serbe la chérit. Pas étonnant dans cette optique qu'il soit aussi l’un des grands avocats de l’introduction du coaching sur le court. Mais les entraîneurs ont-ils réellement besoin des caméras pour être "reconnus à leur juste valeur" ?
"Les coaches, pour la plupart, savent que leur job, c’est le travail de l’ombre. Le travail avec un joueur, ce n’est pas forcément d’être vu, mais de faire progresser le joueur dans tous les secteurs : technique, tactique, physique ou mental", argumente Arnaud Di Pasquale. C’est ce qui fait la force du tennis d'après lui : mettre tout en œuvre, s’armer, travailler d’arrache-pied pour trouver par soi-même les solutions sur le court le jour du match. Le joueur paie son coach parfois grassement pour l'aider dans cette entreprise, ce qui constitue par définition une sacrée forme de... reconnaissance. Et notre consultant n’est pas le seul à se faire cette idée du tennis. Le Suédois Magnus Norman partage cette conception de son rôle et semble l’avoir, si ce n’est inculquée, du moins consolidée dans la tête de son joueur Stan Wawrinka.

L'autonomie et le développement du joueur en jeu

Lors de sa métamorphose en vainqueur de Grand Chelem lors de l’Open d’Australie 2014, le Vaudois avait célébré ses victoires l’index pointé sur la tempe, comme pour dire : "Je suis solide dans la tête maintenant." Le geste lui est désormais associé, autant que l’idée que le travail physique mais aussi mental finit par payer. Autoriser voire généraliser le coaching sur le court placerait au contraire les joueurs en situation de dépendance constante. Si elle peut les aider à performer sur le court terme, cette assistance permanente, ou intensifiée, nuirait à leur développement en tant que joueur sur le long terme.
A ce propos, Tim Henman s’est montré particulièrement éloquent. Quand la Fédération internationale de tennis (ITF) a annoncé son intention de mettre en place le coaching sur le court pour le tournoi juniors de l’US Open, le Britannique a haussé le ton en juin dernier. "C’est le monde à l’envers. L’ITF devrait agir en gardienne du jeu, mais ils sont en train de donner de mauvaises habitudes à ces gamins avant qu’ils ne soient devenus professionnels. C’est au joueur de trouver une solution pendant le match. L’une des caractéristiques les plus importantes du tennis, c’est qu’il s’agit d’un face-à-face dans une arène, c’est un sport de gladiateurs."
Chaque joueur est différent. Il a ses points forts et ses faiblesses. Certains sont plus doués techniquement, d’autres sentent plus le jeu et savent parfaitement mener leur barque sur le plan tactique. Si les coaches étaient autorisés à intervenir trop souvent, le danger serait alors d’uniformiser, de formater les joueurs. "Ce sera pénalisant pour certains. Je pense qu’il y a des joueurs plus forts mentalement et qui se font une place à des classements très élevés grâce à cette dimension tactique et à cette maîtrise des émotions, des éléments. Ils arrivent à compenser un déficit de puissance, parfois physique, et ce sera moins possible en cas de généralisation du coaching", fait remarquer Arnaud Di Pasquale.

La facilité comme gage de modernité

Le débat rejoint finalement un peu celui des oreillettes dans le cyclisme. A force de rationnaliser, de donner constamment aux acteurs du jeu des consignes, ne les réduit-on pas au simple rôle d’exécutants, comme des robots constamment mis à jour ? Mouratoglou réfute cette analyse et estime même que le coaching donne de la vie et plus d’intérêt aux matches. Inquiet de la perte de popularité de son sport, il y voit une solution pour le redynamiser.
"A la conquête de nouveaux fans, le tennis doit réussir deux paris : permettre au public de cerner les subtilités du jeu et lui donner la possibilité de s’investir émotionnellement en s’identifiant. Le coaching en match apporte une solution à ces deux problématiques. Il donne parfois lieu à de véritables scènes d’anthologie. De nombreux joueurs laissent le stress les submerger et les échanges avec leurs coaches s’enflamment. Ils sont parfois drôles, parfois tumultueux, mais à chaque fois ils font recette sur les réseaux sociaux, car ils placent la dramaturgie au cœur de notre sport."
Le propos se tient. Parmi les observateurs attentifs du circuit WTA, qui ne se souvient pas du discours presque brutal de Darren Cahill face à Simona Halep lors du dernier Masters ? Ou du regard perdu dans le vide de Caroline Garcia qui semblait subir le discours de son entraîneur de père, plutôt que d’intégrer ses consignes ? Ces échanges voire confrontations aux changements de côté peuvent effectivement tenir en haleine le téléspectateur. Peut-être ne zappera-t-il pas ou le fera-t-il moins vite. Pour se pérenniser et vivre avec son temps, le tennis devrait basculer donc plus résolument dans l’ère du sport-spectacle-business.
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Simona Halep et Daren Cahill au Masters de Shenzhen en 2019

Crédit: Getty Images

S’opposer au coaching sur le court reviendrait alors un peu à refuser la modernité, céder à un certain conservatisme. Arnaud Di Pasquale s’inscrit en faux contre cette analyse qui manque, selon lui, de nuance. "Je suis pour le progrès globalement, je ne suis pas conservateur. Mais il faut réfléchir, peser les choses, argumenter, et ne pas se tromper de débat. Il y a, malgré tout, des traditions que l’on doit conserver, ce n’est pas pour autant qu’on n’est pas progressiste. Bien sûr qu’il faut avancer : je ne suis pas contre le No-let, l’arbitrage vidéo, j’entends ces choses-là. Mais cette responsabilité de devoir répondre à tous ces pans du jeu, c’est justement ce qui rend le tennis aussi difficile. On est peut-être dans un truc qui tend vers plus de facilité, c’est peut-être un peu sociétal." Ces mots, Roger Federer aurait pu les prononcer lui-même. Il l’a d’ailleurs fait à de maintes reprises quand il a été interrogé sur le sujet.

Préserver l'ADN du sport

Contrairement à Djokovic, l’un de ses grands rivaux, il reste très opposé au coaching sur le court. S’il n’est pas contre les nouveaux concepts, en témoigne sa Laver Cup, et n’est pas le dernier à toucher au "business" du tennis, le Suisse considère que le fait d’être seul sur le court fait partie intégrante de l’ADN du tennis. Sur un court, on joue contre l’adversaire et aussi contre soi-même, ce qui contribue à conserver un semblant d’équité dans un sport qui a tendance à donner bien des privilèges aux meilleurs. "Je ne soutiens pas cette idée (le coaching sur le court, ndlr) car elle est injuste. Je pense avoir la meilleure équipe du monde autour de moi, alors il ne serait pas juste que je puisse en profiter sur le court pour prendre l’avantage sur un adversaire qui n’aurait peut-être pas pu voyager avec son entraîneur", a-t-il observé en juin dernier à Halle.
Si le spectacle (en dehors des rallyes), les audiences et la recherche d’un nouveau public deviennent la raison principale de la généralisation du coaching, peut-être perd-t-on de vue l’essentiel : le jeu. Fin tacticien s’il en est, Gilles Simon aurait-il eu une carrière aussi brillante si ses adversaires avaient été constamment aiguillés par leurs coachs ? La question mérite d’être posée. A la croisée des chemins, ses propos rapportés par Rémi Bourrières en novembre dernier sont toujours d’actualité. "Le spectateur, soit tu cèdes à son caprice, soit tu l'éduques. Nous, ça fait un bon moment qu'on a choisi de céder à son caprice. Et ça devient le cirque, à tous les niveaux." Oui, le tennis, au contraire de la plupart des sports, a des règles restrictives sur le coaching. Mais est-il pour autant à la traîne ? Certaines exceptions méritent d’être cultivées pour ne pas trahir l’essence même d’un sport.
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