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Le double, fardeau des tournois et sujet tabou

Rémi Bourrières

Mis à jour 25/02/2020 à 11:49 GMT+1

Discipline spectaculaire, traditionnelle et aimée de tous les amoureux de tennis, le double s'est pourtant mis aujourd'hui une partie du monde professionnel à dos, principalement les organisateurs de tournois qui dénoncent sa rentabilité financière nulle. Un sujet que personne n'ose vraiment sortir de dessous le tapis.

Joe Salisbury et Rajeev Ram, vainqueurs de l'Open d'Australie en double en 2019.

Crédit: Getty Images

Mardi dernier, fin d'après-midi, à l'Open 13. Le court n°1 du Palais des Sports de Marseille est plein à craquer. A l'affiche, les champions de Roland Garros 2019, les Allemands Kevin Krawietz/Andreas Mies. Logique, donc. Sauf que… Les spectateurs, incapables pour la plupart de distinguer Kevin d'Andreas, n'ont d'yeux que pour leur(s) adversaire(s) : en premier lieu Stefanos Tsitsipas, le vainqueur sortant du Masters, associé à son frangin Petros qui suscite également une vague curiosité, mais beaucoup plus pour son patronyme que pour son réel niveau de jeu (1292è mondial).
En l'espace d'une rencontre, toute la problématique actuelle du double est résumée : hormis quelques rares spécialistes "starisés" comme les frères Bryan, ou bien sûr notre tandem national Herbert/Mahut (dont le cas est différent, puisqu'ils mènent aussi de front une carrière plus qu'honorable en simple), les joueurs de double ne font pas - ou plus – recette.
Entendons-nous bien : nul ne songerait à remettre en question l'intérêt du jeu de double, encore moins sa dimension spectaculaire, pas plus que la place élevée qu'il occupe dans la culture et la tradition du tennis. Mais à l'heure où la confrérie des tennismen professionnels mène un combat pour l'augmentation des prize-money, notamment pour permettre aux galériens du circuit classés au-delà du top 100 de vivre décemment de leur métier, il y a comme une incongruité à constater qu'un grand nombre de joueurs sportivement inférieurs vivent en revanche dans une certaine opulence grâce à une discipline le plus souvent jouée dans l'anonymat, car fuie depuis (trop) longtemps par les tout meilleurs.
Dans le commerce, quand un produit ne se vend pas, vous le retirez du rayon, non ?
C'est tout le paradoxe d'un système de plus en plus fondu dans le business, tout en conservant un fonctionnement assez "communiste" dans l'âme. Quand les primes tombent, c'est toute la famille qui se partage le gâteau. Et les parts ne sont pas complètement proportionnelles à l'intérêt marketing suscité. Lors du dernier Open d'Australie par exemple, le prize-money consacré au double a fait un bond de +9,4% par rapport à l'an passé, contre +13,6% pour l'ensemble du tournoi. Tant mieux pour les intéressés, évidemment. Mais en étant honnête, combien d'entre nous seraient capables de reconnaître dans la rue Rajeev Ram et Joe Salisbury, vainqueurs de l'édition masculine ?
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Ram et Salisbury sacrés à Melbourne

En "off", pas mal de joueurs (de simple) trouvent cette situation quelque peu incommodante. Mais les premiers à s'en plaindre sont les organisateurs de tournoi, qui commencent à pointer ouvertement du doigt la charge financière (sans parler des difficultés de programmation) causée par le double. "Les joueurs de double sont un fardeau pour nous, ils profitent du système mais ne nous font pas vendre un seul billet, tout en ayant des exigences assez élevées, déplore ainsi Gerard Tsobanian, directeur du Masters 1 000 de Madrid. Pour nous, c'est de la dépense pure et dure, il n'y a aucun retour sur investissement. Dans le commerce, quand un produit ne se vend pas, vous le retirez du rayon, non ?"

Dichotomie ambiante

Si, mais là, ce n'est pas si facile… Tout en tenant un discours similaire, Jean-François Caujolle, le directeur des tournois de Marseille et de Lyon, rappelle que, contrairement au monde du commerce, les codes du tennis – et c'est une très bonne chose – sont aussi régis par un lien humain assez indéfectible. "Il est clair que le double tel qu'il est organisé sur le circuit aujourd'hui ne veut plus dire grand-chose. On en parle depuis des années, c'est un serpent de mer. Mais que faire ? On ne peut pas dire aux joueurs de double : 'vous sortez du circuit, parce que vous n'êtes plus rentables.' Parce que la réalité, elle est là… Mais faire ça, c'est envoyer toute une population au chômage. Et ces joueurs-là font aussi partie de la famille du tennis. En fait, vous mettez le doigt sur un sujet assez tabou. Même entre eux, les joueurs de simple et de double n'en parlent pas vraiment…"
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Jean-François Caujolle.

Crédit: Getty Images

La position de l'ATP et de la WTA à ce sujet n'est pas aisée, ces instances étant là à la fois pour défendre les intérêts des tournois mais aussi des joueurs, de tous les joueurs. Les raccourcissements de format opérés sur la saison régulière sont un symbole de la dichotomie ambiante : censés faciliter la programmation et inciter les joueurs à pratiquer davantage, ils ont surtout eu pour effet de noyer encore un peu plus la lisibilité, on n'ose dire l'intérêt, de la discipline.
A côté de ça, de gros efforts ont été faits pour booster la promotion du double et de ses pratiquants. Jamie Murray souhaiterait que les choses aillent encore un peu plus dans ce sens, que les joueurs de double et les tournois travaillent davantage main dans la main plutôt que frontalement. "Les tournois ne doivent pas hésiter à nous utiliser encore plus pour des opérations promotionnelles, ce qui aiderait à démarcher de nouveaux sponsors et faire mieux connaître les équipes de double", suggérait ainsi l'an dernier, au site tennis.com, l'ancien n°1 mondial de double.

Réduire les tableaux ?

Le problème ne se poserait pas, ou moins, si, comme avant, les meilleurs joueurs de double étaient aussi les meilleurs joueurs de simple. Sauf que l'on parle d'une époque révolue où les prize-money nettement inférieurs incitaient les champions à jouer sur tous les tableaux. Aujourd'hui, le niveau d'exigence de la compétition en simple est devenu tel que les meilleurs ne peuvent plus se permettre de s'éparpiller.
Sauf pour les grandes occasions – les compétitions nationales, principalement – qui sont toujours là aussi pour rappeler non seulement à quel point cette discipline reste belle, mais aussi que, quand ils jouent le jeu à fond, les meilleurs solistes restent bien souvent les meilleurs duettistes. On l'a vu encore lors de la dernière coupe Davis, avec la démonstration de force de Rafael Nadal.
Afin que le double retrouve ses lettres de noblesse et ne devienne plus soit un plan B pour les joueurs ayant "échoué" en simple, soit l'antichambre de la retraite pour ceux en fin de carrière, Gerard Tsobanian propose une solution un peu alternative : réduire les tableaux de double – ils ont au contraire été augmentés dans les Masters 1 000 ces dernières années – et surtout n'en donner l'accès qu'aux joueurs justifiant – ou ayant justifié – d'un classement de simple minimal. Facile et efficace. En revanche, cela écarterait une partie des joueurs les plus intéressés par la discipline pour laisser la place à d'autres joueurs moins dans le besoin. L'un dans l'autre, vaut-il mieux des vedettes moyennement motivées ou des inconnus morts de faim ? On vous le dit, c'est loin d'être simple…
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Andy Murray et son frère Jamie en double.

Crédit: Getty Images

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