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Madrid Vintage : "La terre battue bleue ? C'était Candeloro contre Joubert"

Maxime Battistella

Mis à jour 05/05/2020 à 16:23 GMT+2

MADRID VINTAGE - En 2012, le Masters 1000 espagnol crée l'événement en décidant d'abandonner l'ocre traditionnel au profit d'une terre battue bleue. Derrière ce coup de publicité, un homme : Ion Tiriac, propriétaire du tournoi. Furieux, Rafael Nadal et Novak Djokovic se prennent les pieds dans le tapis, tandis que Roger Federer, tel un funambule, s'adjuge un tournoi unique en son genre.

La terre battue bleue à Madrid en 2012

Crédit: Getty Images

Après Indian Wells, Miami et Monte-Carlo, revivez tout au long de la semaine les moments forts de l’histoire du tournoi de Madrid, qui aurai dû se tenir du 4 au 10 mai.
Ion Tiriac détonne dans le monde souvent feutré de la petite balle jaune. Milliardaire et propriétaire du Masters 1000 de Madrid, l’ex-joueur roumain est devenu un homme d’affaires accompli qui ne manque pas d’ambition pour son tournoi. Dès sa première édition (sur terre battue) en 2009 dans la désormais fameuse Caja Magica ("boîte magique" en français), il l’affirme haut et fort, son objectif est de talonner Roland-Garros pour, pourquoi pas, à terme constituer une alternative crédible qui puisse prétendre au statut de Grand Chelem.
Et pour ce faire, Tiriac fait feu de tout bois. Tous les coups de publicité sont permis pour faire parler de son événement. Il avait ainsi décidé – depuis 2004, lorsque le tournoi se jouait encore sur dur indoor – de faire remplacer (en partie) les enfants ramasseurs de balles par des "top models", une initiative déjà controversée. Et en 2012, il se distingue encore en décidant de changer la couleur de sa terre battue. Fini l’ocre traditionnel, place au bleu. Pour quoi faire ? Le Roumain a une explication toute trouvée : cette innovation aurait le mérite de rendre la balle plus visible pour les téléspectateurs.
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Rafael Nadal à Madrid en 2012

Crédit: Getty Images

Une terre bleue imposée par l'ATP aux cadors

Pour ne rien gâcher, la nouvelle teinte s’accorde parfaitement avec le sponsor principal du tournoi, la grande compagnie d'assurance espagnole "Mutua Madrilena" dont le logo est… bleu. Esthétiquement, les avis divergent parmi les joueurs. Si Andy Murray et Jo-Wilfried Tsonga sont prêts à donner sa chance au produit, Rafael Nadal, lui, fulmine. Bousculé dans ses habitudes et ses repères, le Majorquin sort de ses gonds à sa manière. "J’aime les changements quand ils apportent des progrès. Ce qui fait un grand tournoi, c’est l’histoire du tennis. Donc à mon avis, c’est une erreur. Les joueurs ne comptent pas, ils n’ont rien à y gagner. Une seule personne y gagne quelque chose : le propriétaire du tournoi", estime-t-il avant même d'avoir frappé la balle.
Le numéro 1 mondial Novak Djokovic partage cet avis. "Je ne suis pas content, l’ATP a pris une décision sans l’avis des joueurs et ça doit changer. On va découvrir quelque chose qu’on ne connaît pas. Ça n’a pas de sens", affirme-t-il. Moins véhément, Roger Federer vient aussi au secours de son rival espagnol. "Je trouve ça triste qu’un joueur comme Rafa, dans un tournoi de son propre pays, doive se battre contre une surface sur laquelle il ne veut pas jouer." Non consulté au préalable, le "Big 3" se serre donc les coudes, alors qu’en coulisses se joue (déjà) une empoignade pour l’augmentation des "prize money" entre les joueurs, les directeurs de tournois et l’ATP.
Avant même le début des hostilités sur cette terre bleue, Tiriac semble avoir réussi son coup. L’innovation fait parler, jaser et le public est au rendez-vous. De quoi rentabiliser son investissement, car la nouvelle brique pilée coûte 40 fois plus cher que l’ancienne (6 000 euros la tonne, contre 150 auparavant). Mais les premiers retours en compétition lui font vite perdre le sourire. A la surprise générale, Nadal est éliminé dès les huitièmes de finale par son compatriote – et habituel souffre-douleur – Fernando Verdasco (6-3, 3-6, 7-5).
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Rafael Nadal à Madrid en 2012

Crédit: Getty Images

Si les choses continuent comme ça, l'an prochain, il y aura un tournoi de moins dans mon calendrier
Très en difficulté pour bloquer ses appuis sur une surface trop glissante, le "Taureau de Manacor" ne peut se mouvoir et défendre comme il en a l’habitude sur ocre. En position tout de même de s’en sortir, il perd les cinq derniers jeux du match. Furieux et frustré en conférence de presse d’après-match, il envoie un message clair à la direction et au propriétaire du tournoi : "Si les choses continuent comme ça, ce sera triste. Mais l'an prochain, il y aura un tournoi en moins dans mon calendrier." Et Tiriac n’est pas au bout de ses peines. Le lendemain, le 11 mai, deuxième coup de tonnerre : Djokovic passe à son tour à la trappe, éliminé lui aussi par un compatriote, à savoir Janko Tipsarevic (7-6(2), 6-3) en quart de finale.
Dépité, le Serbe ne semble pas réellement se battre sur le court pour esquiver la sortie de route. L’attitude ne plaît d’ailleurs pas au public madrilène, qui le lui fait comprendre en le sifflant quelque peu. Après sa défaite, il n’y va pas non plus par quatre chemins, emboîtant le pas à Nadal. "Je ne serai pas là en 2013 s'il y a encore cette terre battue. Le test a échoué", affirme ainsi le numéro 1 mondial. Les mauvaises nouvelles s’accumulent donc pour Tiriac, mais heureusement pour lui, Federer ne se fait pas piéger. Après une entrée en matière plus que tendue face à Milos Raonic (4-6, 7-5, 7-6(4)), le Suisse trouve son rythme de croisière face à Richard Gasquet (6-3, 6-2).
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Novak Djokovic à Madrid en 2012

Crédit: Getty Images

Pourtant, le Biterrois lui a posé des problèmes sur terre battue par le passé. La saison précédente, à Rome, le Suisse avait ainsi été renversé (4-6, 7-6(2), 7-6(4)). Mais sur cette terre bleue glissante et en altitude, il s’appuie sur la qualité de sa première balle et sa maîtrise du contre-pied pour se défaire du Français en moins d’une heure. "Mets-toi sur une patinoire et joue au tennis, c’est la même chose. Ils auront l’air con mais il faut revenir sur de la terre rouge. Ce n’est pas possible de rester sur un truc pareil. Ce n’est pas du tennis. C’était Candeloro contre Joubert", ironise un Gasquet frustré à sa sortie du court.

Sacré, Federer sauve les apparences

Federer, lui, progresse sans état d’âme. Il se défait aisément de David Ferrer (6-4, 6-4) en quart de finale, puis de Janko Tipsarevic (6-2, 6-3) en demie. Mais en finale, c’est une autre histoire. Tomas Berdych et sa puissance en fond de court l’obligent à défendre davantage. Sur les talons, il concède le premier set, incapable de résister aux coups de boutoir adverses sur cette terre bleue décidément très glissante. Mais le Suisse parvient peu à peu à trouver la bonne distance à la relance et finit par s’imposer au bout du suspense (3-6, 7-5, 7-5).
"C’était dur de bien bouger sur cette surface, mais il faut s’adapter pour essayer d’en tirer le meilleur parti", considère-t-il après avoir décroché (alors) son 20e titre en Masters 1000, chipant au passage la place de numéro 2 mondial à Nadal. La grande star du tennis sacrée, Tiriac sauve les apparences. Selon lui, la couleur n’a pas nui à la qualité de la terre, c’est la conception technique de la surface qui est en cause. Pour supprimer les faux rebonds, l’un des défauts majeurs des trois premières éditions du tournoi, la terre aurait été trop tassée et donc rendue glissante.
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Masters Madrid - En 2012, Federer domptait Berdych et la terre bleue

Sous pression, le président de l'ATP enterre le bleu

L’homme d’affaires roumain se dit même prêt à introduire une nouvelle innovation pour la prochaine édition : jouer avec des balles fluorescentes pour que le contraste soit encore plus saisissant. "Je crois qu’il faudrait quelque chose d’à la fois plus électrique et pastel", s'aventure-t-il. Mais comment sauvegarder le prestige de son Masters 1000 si ni Nadal, ni Djokovic ne sont au rendez-vous la saison suivante ? La situation semble intenable et l’ATP, sous pression, cède finalement en juin par la voix de son président de l’époque, Brad Drewett.
"Après une étude minutieuse, j'ai décidé que les courts en terre battue bleue ne seraient pas autorisés la saison prochaine", indique l’intéressé dans un communiqué. Et d’ajouter : "Si la terre battue bleue a peut-être offert une meilleure visibilité à la télévision, il y a clairement eu des problèmes avec la qualité des courts à Madrid cette année, ce qui n'est pas acceptable sur un Masters 1000, un de nos tournois les plus importants. Quelle que soit la couleur, nous devons d'abord nous assurer que les courts sont sans risque et justes pour les joueurs."
De retour sur son ocre chéri en 2013 à Madrid, Nadal chantera cette fois les louanges de la surface avant de reconquérir le titre. Mais à ce jour, c’est bien Federer, son rival de toujours, qui reste le seul joueur de l’Histoire à avoir triomphé sur terre battue bleue.
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Ion Tiriac et Roger Federer à Madrid en 2012

Crédit: Getty Images

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