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Nick Kyrgios, à prendre ou à laisser

Laurent Vergne

Mis à jour 08/03/2019 à 16:32 GMT+1

INDIAN WELLS - Après sa folle semaine à Acapulco, Nick Kyrgios retrouve les terrains vendredi lors du Masters 1000 californien, où il sera très attendu. Avec son bras de feu et sa tête de pioche, l'Australien intrigue et interpelle comme peu de joueurs sur le circuit. Que cela plaise ou non, il est peu probable qu'il change radicalement ce qu'il est...

Nick Kyrgios of Australia celebrates during the quarterfinals match between Nick Kyrgios of Australia and Stan Wawrinka of Switzerland as part of the day 4 of the Telcel Mexican Open 2019 at Mextenis Stadium

Crédit: Getty Images

Je me souviens très bien de la toute première fois que j'ai vu, et entendu Nick Kyrgios. C'était à Roland-Garros, en 2013. Il venait de souffler ses 18 bougies, était numéro un mondial chez les juniors après sa victoire à l'Open d'Australie et s'était vu offrir une invitation pour disputer les qualifications à Paris. Après un forfait de dernière minute, le tout jeune Australien avait intégré le grand tableau et signé sa première victoire chez les pros en battant Radek Stepanek.
Avant même le tournoi, l'organisation lui avait programmé une conférence de presse, comme les grands. J'en garde un souvenir précis, tant la fraicheur du jeune homme, son enthousiasme mais aussi son ouverture d'esprit avaient séduit. Un vrai plaisir. Pas loin d'être un coup de cœur. Nous tenions là, peut-être, un futur grand champion et une vraie personnalité, à coup sûr.
Quatorze mois plus tard, lorsqu'il a atteint les quarts de finale de Wimbledon à l'été 2014 en battant Rafael Nadal, à seulement 19 ans, on ne trouvait pas grand monde pour récuser son statut de futur vainqueur en Grand Chelem. En janvier 2015, un autre quart, à Melbourne. Du jamais vu pour un joueur de moins de vingt ans en Australie depuis un certain Roger Federer en 2001. Filiation prestigieuse, comme un témoignage supplémentaire d'un avenir tout tracé vers la gloire. Le problème, c'est que, depuis Nick Kyrgios n'a plus dépassé les huitièmes en Grand Chelem. Deux quarts majeurs avant vingt ans, puis rien dans les quatre années suivantes, voilà une trajectoire peu commune.

Talent et potentiel

Pour le meilleur ou pour le pire, Kyrgios n'en fait qu'à sa tête. A bientôt 24 ans, il a sans doute encore un avenir, mais son passé n'est pas à la hauteur de ce que son talent laissait augurer. Mais c'est quoi, au juste, le talent ? Chacun peut mettre un peu ce qu'il veut derrière ce terme, c'est son privilège et sa limite. Parlons, dans son cas, de potentiel. Sans bosser (il le revendique, ou plutôt le constate, sans fanfaronner ni s'en excuser), sans passion particulière (là encore, il est le premier à le dire), l'Australien compte cinq titres à son palmarès, dont un 500. C'est peu.
Mais une statistique révèle ce qu'il pourrait accomplir s'il s'en donnait la peine et les moyens : il totalise six victoires contre Djokovic, Nadal et Federer. En douze matches. Personne d'autre, sur le circuit actuel, ne peut se targuer d'afficher un bilan équilibré face aux trois monstres. Et ce joueur-là n'a jamais été plus haut que le 13e rang dans la hiérarchie mondiale.
Au-delà de ses performances, le cas Kyrgios fait débat pour son comportement. Entre des sorties polémiques en dehors comme sur le court (Stan Wawrinka, victime de son dérapage le plus "fameux", s'en souvient mieux que personne) et une faculté à balancer certains matches, il s'est taillé une réputation peu enviable au fil des saisons. Mais, un peu comme pour ses résultats, il semble s'en foutre comme de sa première raquette. Comme s'il nous disait "je suis comme ça, c'est à prendre ou à laisser", le "je" évoquant autant le joueur Kyrgios que l'homme Nick.

Kyrgios a raison, le public en redemande

Après une défaite épique et mouvementée contre l'enfant terrible du circuit, Rafael Nadal avait jugé la semaine dernière à Acapulco que Nick Kyrgios, par son attitude provocatrice et borderline pendant le match, avait "manqué de respect au public, à l'adversaire et à lui-même". Concernant l'adversaire, je me garderai bien de commenter le propos du Majorquin, bien mieux placé que moi ou que vous pour juger. Le public ? Je me demande si, au contraire, il n'est pas ravi. Oui, les Mexicains ont passé une bonne partie de la semaine à huer le surdoué de Canberra. Mais, au fond, ils en redemandaient. Quitte à s'offusquer dans le même temps. C'est son droit à la contradiction.
Quand il dit : "je sais que les gens seront là pour me voir jouer demain. Et le lendemain. Et encore le lendemain… Les gens paieront toujours un ticket pour me voir", Kyrgios a probablement raison. Parce qu'il offre une part d'inconnu. Vous ne saurez jamais à quoi vous attendre. Puis il y a peu de joueurs potentiellement aussi excitants. En plus "bad boy", il a un côté Monfils, sans aucun doute celui, en dehors des ténors du circuit, que le public, d'où qu'il vienne, aime le plus voir évoluer.
Kyrgios est une promesse souvent déçue, mais il demeure une promesse. Quand il allie, comme à Acapulco, une qualité de tennis que seule une poignée de champions peut aujourd'hui atteindre, avec, en prime, du show une pointe de dramaturgie et une bonne dose de provocation, pourquoi, effectivement, ne pas en redemander ?
Nick Kyrgios à Acapulco en 2019

D'incroyables fulgurances

Il ne laisse pas indifférent, qu'il soit au moins remercié pour cela Il ne s'agit pas de tout lui passer, mais de ne pas exagérer les reproches. L'épisode avec Wawrinka à Toronto en 2015 était clairement une sortie de route. Mais quand il reste dans le cadre du tennis, pourquoi se braquer ? Son service à la cuillère contre Nadal, par exemple, ne m'a en rien choqué et je suis à peu près sûr que si ce n'était pas venu de lui, il n'y aurait pas eu tout ce tintamarre. Quand Pablo Cuevas fait cela sur balle de titre à Sao Paulo, les commentaires sont majoritairement amusés, voire élogieux (quelle audace !).
Kyrgios paie son comportement passé, mais aussi un certain décalage avec son époque, celle d'un tennis à la communication ultra-lisse, à commencer par celle des joueurs eux-mêmes. Si, comme moi, vous avez connu McEnroe et Connors, vous pouvez sourire. L'un et l'autre ont dit et fait bien pire que Kyrgios, et il s'en faut de beaucoup. Transposés dans le contexte actuel, les deux gauchers américains seraient probablement suspendus à vie.
On pourra objecter qu'en matière de performances, Nick Kyrgios n'est ni McEnroe ni Connors. C'est vrai et là aussi, il s'en faut de beaucoup. Je doute qu'il change durablement. On peut trouver cela dommage, au vu de ce qu'il est capable de produire. Acapulco est pour l'heure le bijou de sa carrière (enchainer des victoires contre Nadal, Wawrinka, Isner et Zverev, avec deux succès 7-6 au troisième, ce n'est pas mal quand même) mais on aimerait bien évidemment le voir briller sur d'autres scènes. Pas pour nous, public ou médias, mais pour lui. C'est sans doute ce que Rafael Nadal voulait évoquer par ce manque de respect envers lui-même. Mais après tout, Kyrgios ne nous doit rien. Ce qu'il nous dit, c'est "je suis comme ça, c'est à prendre ou à laisser". Je me range, plutôt, dans la première catégorie. Il ne laisse pas grand monde indifférent. Qu'il soit au moins remercié pour cela.
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