Gasquet-Federer, c’était il y a 10 ans, déjà : Que reste-t-il des promesses du surdoué ?

Je n'irai pas jusqu'à dire que chacun sait où il se trouvait comme pour le 11 septembre ou, pour les (très?) anciens, les premiers pas de Neil Armstrong sur la lune. Mais sans doute ceux qui aiment le tennis au point de le suivre de très près ont en mémoire ce vendredi 15 avril 2005. 10 ans tout juste aujourd'hui. C'était le printemps d'une carrière, celle d'un talent bourgeonnant. Ce 15 avril 2005, Richard Gasquet battait Roger Federer en quarts de finale à Monte-Carlo.

A l'époque, Federer dominait le tennis comme personne. Numéro un mondial sans discontinuer depuis près d'une année et demie, déjà nanti de quatre titres du Grand Chelem, il attendait encore un rival durablement à sa mesure. Richard Gasquet, lui, pointait encore au 101e rang mondial. Il n'avait pas encore 19 ans. Entre Federer et lui, un monde. Mais ce jour-là, sur la terre princière, le Biterrois avait été royal. Un match d'une grande beauté avec, en prime, une pointe de dramaturgie. Trois balles de match sauvées par "Richie" et une victoire 10-8 au tie-break du troisième set, sur un dernier passing de revers long de ligne pas loin d'être magique.

Voilà comment, un peu comme Henri Leconte avait signé son acte de naissance sur ce même court face à Bjorn Borg 22 ans plus tôt, Gasquet fit de ce match face à Federer l'acte I d'une carrière prometteuse. 10 ans plus tard, alors que Monte-Carlo fête cet anniversaire sans lui, que reste-t-il des promesses de l'aube du surdoué de Béziers ? Une carrière riche. Tout sauf de nature à susciter le mépris. Gasquet a été 7e mondial. Il a gagné une dizaine de tournois, disputé deux fois le Masters et deux demi-finales de Grand Chelem.

Si déception il y a, elle ne peut donc être que relative. Comparée à deux éléments.

D'abord au regard de son potentiel, effarant, connu depuis l'enfance et qu'il aura, peut-être, eu parfois du mal à trimbaler, comme un poids sur la raquette. Mais il a souffert aussi, comme tous ceux de sa génération, de voir son bilan personnel mis en parallèle avec ceux de trois géants, Federer, Nadal et Djokovic qui ont créé leurs propres normes, totalement a-normales.

Ce qui est vrai, en revanche, c'est que Gasquet a raté quelques trains dans sa carrière. Celui de Nadal, d'abord. Il faut se souvenir que, au lendemain de sa victoire mémorable contre Federer à Monte-Carlo, le jeune Richard a croisé le fer avec Nadal au tour suivant, pour la première fois. Une baston dantesque, là encore. Ah, ce premier set… Gasquet l'avait gagné, au jeu décisif, avant de s'incliner 6-4, 6-3 dans les deux suivants. Mais les deux gamins luttaient d'égal à égal.

Un mois plus tard, à Roland-Garros, ils allaient se retrouver au troisième tour. Et là, soudain, un monde d'écart dans l'immensité du court Philippe-Chatrier. Un central à la mesure du conquérant majorquin et si grand pour le petit Richard, balayée en trois sets. 10 jours de plus et Nadal remportait le premier de ses 14 titres du Grand Chelem. Il n'y aurait plus jamais photo entre ces deux-là.

Si Nadal navigue à l'évidence dans une dimension à part, Gasquet a manqué d'accrocher un autre wagon plus à sa portée. La bascule s'est faite en 2008. A Wimbledon, face à Andy Murray. Beaucoup l'ont oublié mais, à l'époque, le Français est encore devant l'Ecossais au classement ATP. Ce match, Gasquet va d'abord le survoler de toute sa classe. Deux sets à rien, break dans le troisième, puis service pour le gain de la rencontre. Au crépuscule, il le perdra finalement, terrassé par la rage du papillon Murray prêt à opérer sa mue de champion. Ce fut l'envol définitif de Murray vers des sommets qu'il atteindra après des soubresauts, certes, mais que Gasquet ne pourra même jamais apercevoir, ne serait-ce que de loin. La comparaison de sa trajectoire avec celle de Murray est peut-être la plus cruelle car, pour le coup, cette métamorphose-là aurait dû être dans ses cordes.

Il n'est jamais trop tard pour devenir ce que l'on croyait être. Pour traverser le pont qui sépare les grands joueurs des grands champions. Stan Wawrinka, consacré en Grand Chelem à près de 29 ans alors qu'il n'avait jamais atteint le dernier carré d'un majeur quatre mois plus tôt, l'a prouvé récemment. Reste aussi la possibilité d'un sacre à la Cilic, touché quelques jours par la grâce, vainqueur contre toute attente et presque toute logique de l'US Open l'an dernier.

Mais ne rêvons pas. Le plus probable est que Richard Gasquet, miné de façon chronique par des petits pépins physiques, continue de naviguer dans des eaux, enviables pour beaucoup mais, c'est vrai, un peu frustrantes pour lui. Ce n'est pas si mal. Même si ça n'interdit pas de penser qu'autre chose l'attendait. Si regret il y a pour ceux qui aiment Gasquet, c'est de se dire que, finalement, sa victoire contre Federer il y a 10 ans reste comme une forme de sommet, plus qu'un commencement.

Oui, il est un bien meilleur joueur, bien plus abouti, qu'en avril 2005. Oui, il a signé quelques victoires marquantes depuis, comme celle contre Roddick à Wimbledon en 2007 ou Ferrer à Flushing en 2013. Mais ce feu d'artifice du 15 avril 2005, par le plaisir suscité et la promesse dévoilée, garde une saveur spéciale. C'est un peu sa madeleine de Proust. Un souvenir inatteignable, irrécupérable. C'est son paradis perdu. Et le nôtre, aussi, un peu.