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Nadal, le récital du bulldozer

Laurent Vergne

Mis à jour 24/01/2019 à 14:45 GMT+1

OPEN D'AUSTRALIE – Rafael Nadal a sorti un match d'une plénitude rare vendredi en demi-finale, contre Stefanos Tsitsipas. Balayé 6-2, 6-4, 6-0 en ayant pourtant tout tenté pendant deux sets, le jeune Grec a été démantelé sans ménagement. A 32 ans, Nadal, au prix d'une énième résurrection, atteint des sommets qu'il a rarement tutoyés en dehors de Roland-Garros.

Rafa le destructeur : Nadal en finale sans avoir perdu un set à Melbourne.

Crédit: Getty Images

La beauté est une notion éminemment subjective. Selon les cultures et les époques, elle peut prendre des contours variés. Ce n'est pas moins vrai en tennis. Certains vous diront que l'expression technique d'un Federer est le sommet esthétique de l'époque contemporaine. D'autres y resteront indifférents.
Rafael Nadal est rarement mis en avant sur ce critère. Pourtant, si la beauté peut épouser diverses formes, ce qu'a produit le Majorquin jeudi sur la Rod Laver Arena était absolument somptueux. A sa manière, Nadal est un artiste. Face à Tsitsipas, il a livré un récital grandiose. Une toile de maître. Oui, c'est Karajan avec un panzer. Rembrandt avec un bazooka à la place du pinceau. Mais ça n'en reste pas moins un spectacle grandiose, devant lequel on ne peut qu'être soufflé. Le reste, c'est une question de style, une affaire de goût. Laissons cela à chacun.
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Rafael Nadal

Crédit: Getty Images

Le manque de recul est un piège, et je me méfie de la culture de l'instant mais, en regardant son match face à Stefanos Tsitsipas, je me demandais si ce n'était pas là son match le plus abouti de sa carrière sur dur. Les statistiques ne disent jamais tout, mais elles sont assez exceptionnelles pour une demi-finale de Grand Chelem. En voici trois parmi d'autres :
  • Service : il a perdu douze points sur sa mise en jeu sur l'ensemble du match. En douze jeux. Soit un point par jeu en moyenne.
  • Retour : Là où Federer n'avait pas réussi à breaker une seule fois, Rafa a chapardé le service de Tsitsipas dès sa deuxième tentative. Il a breaké six fois au total. Sur le second service du Grec, ce fut un jeu de massacre : Nadal y a gagné 70% des points.
  • Volée : Nadal a marché sur son adversaire et sur le court. Il est monté plus souvent que Tsitsipas au filet, avec un taux de réussite maximal : 82% (18 sur 22).
Le tout agrémenté de quelques points absolument dantesques, dans tous les registres : au filet, en défense, et bien évidemment cette inimitable gifle de coup droit, dont la plus spectaculaire a été délivrée totalement excentrée, en passant à côté du filet.
Il s'est dégagé du jeu de Nadal un sentiment de perfection vendredi. Pendant deux sets, Stefanos Tsitsipas n'a pourtant pas produit du mauvais tennis. Il a lâché prise pour de bon dans la troisième manche devant l'énormité du défi, mais avant cela, il avait tenté d'être audacieux, comme face à Federer, mais s'est heurté à un mur. Il s'est accroché, aussi, à l'image de ces trois balles de break joliment sauvées à 0-40 en début de deuxième set. Mais à force de ne jamais avoir la moindre ouverture, sa propre impuissance a fini par l'écœurer.
Il serait injuste cependant de lui tomber dessus, quand bien même cette demi-finale aurait déçu par son manque d'intérêt. Il n'y avait rien, absolument rien à faire face à ce Nadal-là. Longtemps espéré pour son prestige et son pouvoir évocateur, une demie entre Nadal et Federer aurait probablement viré elle aussi au cavalier seul. Je ne vois pas comment Federer, même sur cette surface, même en restant sur cinq victoires de rang dans les "Fedal", aurait pu rivaliser. Je ne suis même pas sûr que Novak Djokovic lui-même puisse contrer le bulldozer de Manacor quand il évolue dans cette dimension à laquelle, je le répète, je ne l'ai que rarement (jamais ?) vu accéder sur dur.
Patrick Mouratoglou, après le quart de finale face à Frances Tiafoe, avait dit sur le plateau d'Eurosport Tennis Club que le Nadal de cet Open d'Australie 2019 lui faisait penser au Nadal de Roland-Garros. Je comprenais l'idée mais j'avais du mal à me ranger derrière, tant il existe pour moi une spécificité parisienne (terrienne, en tout cas) dans la capacité de Nadal à être ultra-dominateur sur un court. Après avoir été scotché par sa performance contre Tsitsipas, je dois bien admettre que la comparaison tient la route. J'ai retrouvé vendredi, dans sa façon de réduire à néant les options adverses, le Rafa de Roland. Pour accéder à la finale, il n'aura perdu que 48 jeux. Même à Paris, il n'y a qu'en 2008 et 2017, sur ses onze finales, qu'il a fait mieux.
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Un grand Nadal a submergé Tsitsipas : le best of d'une démonstration

C'est d'autant plus ébouriffant que Nadal et le dur, depuis un an et demi, ce n'était pas exactement une lune de miel. En dehors de son titre à Toronto en août dernier, ce ne fut qu'abandons et forfaits depuis l'automne 2017. Début janvier encore, il tirait la patte à Abou Dhabi. Mais sa cuisse tient. Du coup, il a transformé un énorme point d'interrogation en un gigantesque point d'exclamation.
Le voilà à l'aube d'un sacre qui pourrait compter parmi les plus marquants de sa carrière, et ce n'est pas peu dire vu son palmarès. Parce qu'il n'a plus gagné en Australie depuis dix ans, parce qu'il peut compter dimanche au moins deux titres dans chacun des Majeurs (seul Roy Emerson peut en dire autant mais dans un contexte, celui d'avant l'ère Open, où la concurrence en Grand Chelem était souvent moindre), et parce que, sur la forme, le niveau atteint flirte avec l'irrationnel.
On souhaite bon courage à son dernier adversaire. Même Novak Djokovic, le maître des lieux, le numéro un mondial et qui, sur surface rapide, a souvent eu la clé du problème Nadal, devra s'accrocher pour ne pas se prendre de plein fouet ce mur-là.
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Rafael Nadal - Open d'Australie 2019

Crédit: Getty Images

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