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Pierre Barthes : "Pendant six ans, j’ai été interdit d’entrer à Roland-Garros"

Sébastien Petit

Mis à jour 24/04/2018 à 08:32 GMT+2

ERE OPEN - Pierre Barthes, ex-n°1 français, est revenu pour nous sur une période contrastée de sa vie de joueur : son basculement dans le professionnalisme en 1965. A l’époque, ce choix décrié lui a fermé les portes de la Coupe Davis et des tournois du Grand Chelem, et l’ont amené à vivre des moments intenses, dans tous les sens du terme.

Pierre Barthes - Bournemouth 1972

Crédit: Getty Images

Pierre Barthes, vous êtes passé professionnel dans les années 60. En quittant l’amateurisme, vous avez basculé dans un univers complètement différent, qui vous a coupé de la Fédération Française. Que gardez-vous de cette période ?
P.B. : D’abord, il faut savoir que je suis parti de zéro. J’ai franchi les échelons juniors seul, sans coach, sans leçon, sans mon père derrière moi, qui est mort quand j’avais 15 ans. Le tennis a été la meilleure éducation que j’ai reçue car ce sport formait des hommes à cette époque. De 15/4, je suis passé au classement 0, puis 20e national en quelques mois : personne n’avait vu ça. Quand j’ai commencé à percer au début des années 60, on vient me voir pour me proposer de passer pro. C’est un rêve, du haut de mes 24 ans, je n’y crois pas.
Comment vous a-t-on convaincu de franchir le pas ?
P.B. : On me dit : "Il y a les meilleurs joueurs. Si tu viens avec nous, tu vas jouer tous les soirs 5 sets en simple et double. Et tu verras, tu deviendras un grand joueur de tennis." Tu dis ça à un joueur actuel : il dit banco. Et quand c’est sorti dans la presse, on m’a massacré. On m’a détruit. J’ai pris l’avion et suis parti en Australie pour m’entraîner comme jamais. Et ça m’a servi : j’ai joué et gagné contre les plus grands de mon époque : Laver, Rosewall, Newcombe, Pilic… un truc de fou. Avant ce contrat, je n’avais jamais joué pour de l’argent, il faut reconnaître que cette aventure m’a donné une force incroyable.
Vous dites qu’on vous a détruit, car vous aviez privilégié d’être payé pour jouer au tennis au lieu de rester auprès de la Fédération Française ?
P.B. : En quelque sorte. Pendant 6 ans, je ne pouvais pas jouer la Coupe Davis, je ne pouvais jouer ni Wimbledon ni Roland-Garros. J’ai été carrément interdit d’entrer à Roland-Garros. Je venais de passer professionnel, je rentrais des Etats-Unis où j’avais battu les meilleurs joueurs, j’étais comme un fou de retrouver mes potes à Paris pendant ce tournoi. Le directeur du tournoi est venu à la porte pour me barrer la route. Cela m’a beaucoup marqué.
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TENNIS PIERRE BARTHES

Crédit: AFP

Cela ressemblait à quoi d’être un joueur professionnel à l’époque ?
P.B. : J’ai signé un contrat avec Lamar Hunt, cinquième fortune mondiale à l’époque, qui a lancé la World Championship Tennis (WCT). Les conditions de jeu ont été épouvantables au début, mais ensuite, c’est devenu quelque chose d’extraordinaire. C’est lui qui a posé les nouvelles bases du professionnalisme tel qu’on le connait aujourd’hui. Il pensait ce sport comme un show, du pur divertissement.
Que voulez-vous dire par des "conditions de jeu épouvantables" ?
P.B. : Hunt voulait vendre du tennis comme un sport populaire. Il voulait que les gens participent tout le temps, c’est-à-dire avant le point, pendant le point et après le point. On jouait dans de gigantesques salles américaines, faites pour le basket ou le hockey, et les stades étaient pleins ! Nos matches étaient retransmis à la télévision. On avait des voitures à nos noms, on avait des affaires à nos noms : des blazers, on jouait avec des chemises de couleur... ça ne se faisait pas à l’époque ! A mon arrivée sur le court, il y avait la Marseillaise, des faisceaux lumineux dans une salle plongée dans le noir… A côté, Roland-Garros, c’était un truc de chiffonniers.
C’était davantage du spectacle que du sport à l’état pur ?
P.B. : On a joué dans des conditions incroyables pendant plusieurs années. Mais il faut reconnaître que c’était très difficile de bien jouer avec un tel bazar autour de soi. Il y avait des mecs qui nous insultaient et nous menaçaient pendant les échanges… Souvent on revenait vers Hunt en lui demandant de changer les choses. Surtout que les journaux tiraient à boulets rouges sur nous. Du coup, il est revenu à des conditions plus classiques. Mais je retiens surtout que j’ai vécu des moments extraordinaires en jouant tous les jours avec des légendes comme Laver, Rosewall, Gimeno, Santana, Newcombe, Roche, Drysdale Pilic… et j’en passe. Les premiers temps, on nous appelait même les Handsome Eight ("Les Huit magnifiques") !
C’était une période où l’argent coulait vraiment à flots…?
P.B. : Ce circuit WCT promettait des dotations incroyables qui n’avaient rien à voir avec les tournois du Grand Chelem (Un joueur pouvait engranger entre 40 000 et 200 000 dollars à l’année, NDLR). Sur un tournoi comme Roland-Garros en début d’ère Open, les dotations étaient dérisoires (54 000 francs pour le vainqueur en 1970, NDLR). Moi-même, j’avais plus de dotations en organisant un tournoi au Cap d’Agde qu’à Paris ! Mais il faut reconnaître que Philippe Chatrier (Président de la FFT entre 1973 et 1993, NDLR) a fait énormément pour tenter de rivaliser avec ces tournois organisés aux Etats-Unis, il était très difficile de le faire et on ne peut que le remercier pour tout ce qu’il a tenté.
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Lamar Hunt

Crédit: Eurosport

Comment avez-vous vécu cette bascule dans l’ère Open ?
P.B. : En 1968, la WCT s’est rapprochée du circuit open, ce qui m’a permis de rejouer l’US Open et Wimbledon en plus des tournois US que nous imposait la tournée. Je me souviens d’une finale WCT à Dallas dans une ambiance de folie entre Laver et Rosewall, on appelait cela la finale du siècle à l’époque tellement c’était énorme ! Je n’ai pas pu remettre les pieds à Roland-Garros qu’en 1969 pour ma part. En 1971, nous sommes tous devenus libres de contrat. Les tournées ne faisaient plus recette et le circuit tel qu’on le connait aujourd’hui prenait de plus en plus de place.
Comment avez-vous fait la "paix" avec la Fédération ?
P.B. : Une fois mon contrat terminé, on m’a vu différemment. A partir de ce moment-là, je suis de nouveau sélectionnable en Coupe Davis par exemple. Je me souviens en 1970, je viens de gagner l’US Open en double avec Nikola Pilic face à Roy Emerson et Rod Laver. C’est là que Philippe Chatrier, alors vice-président de la FFT, vient me voir pour me dire : "Ce que tu as fait est fantastique ! Reviens jouer avec nous en Coupe Davis, c’est moi qui reprends le capitanat de l’équipe de France la saison prochaine." Et je lui ai répondu droit dans les yeux : "Si je veux. Sélectionne-moi d’abord, toi qui me reconnais maintenant après m’avoir méprisé pendant tant d’années, et je te dirai après si je viens. Vous m’avez interdit de rentrer à Roland-Garros et vous m'avez marché sur la tête pendant 6 ans... Aujourd’hui, je suis libre de jouer où je veux." Et je suis revenu...
Avez-vous regretté un de vos choix ?
P.B. : Jamais. Le tennis m’a forgé en tant qu’homme, il m'a tout donné et m’a permis de faire un million de choses une fois ma carrière terminée. Sans lui, je ne serai pas devenu ce que je suis aujourd’hui.
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