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Roger tout-puissant, une menace pour le tennis ?

Rémi Bourrières

Mis à jour 10/02/2020 à 18:10 GMT+1

Vendredi soir, Roger Federer, avec la complicité de Rafael Nadal, a une nouvelle fois permis de pulvériser le record d'affluence pour un événement de tennis. C'est dans l'absolu une bonne chose, pour la bonne cause. Mais l'omnipotence du champion suisse n'a-t-elle pas quelque chose d'inquiétant pour l'avenir du tennis ?

Roger Federer

Crédit: Getty Images

Vendredi soir, 51 954 spectateurs ont assisté au "Fedal" de gala organisé au Cap, en Afrique du Sud, dans ce même Cape Town Stadium où l'équipe de France de football avait attaqué sa calamiteuse Coupe du Monde en 2010. Record d'affluence pulvérisé pour un "match" de tennis. Le précédent record ? Etabli par ce même Federer lors d'une autre exhibition, cette fois avec Alexander Zverev, à Mexico, en novembre dernier (42 517 personnes). Le tout a permis de dégager 3,2 millions d'euros pour la Fondation Roger Federer, qui subvient aux besoins éducatifs des enfants d'Afrique du Sud – pays d'origine de sa mère – et de cinq autres nations voisines.
On ne peut que s'en réjouir évidemment, tout comme on ne peut que se délecter des images sympathiques proposées sur le court par les (peut-être) deux plus grands rivaux de l'histoire de ce sport, dont l'amitié n'est pas feinte. Mais une partie de moi, je l'avoue – sans doute une partie grincheuse – est quand même un peu interloquée par cette incroyable affluence. Surtout après l'avoir mise en perspective avec les cinq spectateurs (je les ai comptés !) qui ont assisté à l'ouverture du tournoi de Pune, au début de la même semaine. L'omnipotence de la légende suisse d'un côté, la banalité du circuit de l'autre… Veuillez me pardonner cette comparaison grivoise, mais c'est un peu comme si l'on mettait en balance le frisson émotionnel de l'adultère d'un côté et la routine quotidienne du couple installé de l'autre.
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Un smash dos au filet et Nadal a mis un Federer tout sourire dans le vent

Il est le Pape et les Beatles à lui tout seul

Certes, l'événementiel dans le tennis n'a pas attendu Federer pour marcher du tonnerre. Avant (et même après) l'ère Open, les tournées des stars professionnelles connaissaient un succès fou. En 1973, la fameuse "Bataille des Sexes", ce duel monté de toutes pièces entre Billie Jean King et Bobby Riggs, avait réuni 30 472 personnes à Houston, un record à l'époque. Il a fallu attendre 2010 et une autre exhibition entre Serena Williams et Kim Clijsters pour voir ce record battu avec cette fois 35 681 personnes, à Bruxelles. Les épreuves classiques du circuit, soumises à d'autres contraintes, un autre cahier des charges, bref beaucoup moins libres, ne pourront jamais égaler de pareils chiffres, même si certaines rencontres de Coupe Davis (enfin, l'ancienne Coupe Davis) également disputées dans des stades de foot ont pu les approcher, à Séville, Sydney ou Villeneuve d'Ascq.
Mais Federer, lui, a creusé le fossé et probablement les moyens d'emmener ce type d'événements dans une dimension encore supérieure, surtout s'il s'y met de concert avec Rafael Nadal, le seul à lui arriver à la cheville (et même un peu au-dessus) en termes de notoriété. La popularité qu'il a atteinte au crépuscule de sa carrière dépasse l'entendement. Il est le Pape et les Beatles à lui tout seul. Par sa classe universelle, ses racines multiculturelles, sa neutralité bienveillante et sa facilité à manier les langues, il "parle" à tout le monde, lie les peuples et casse les frontières. Il est désormais définitivement, quasi-officiellement, au-dessus de son sport. Même Messi et Ronaldo, qui sont certes mieux rémunérés et sûrement encore plus connus à l'échelle mondiale, n'ont pas la même influence sur leur discipline.
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federer nadal

Crédit: Eurosport

Plus grand que le tennis lui-même

Federer, lui, semble se plaire à secouer tranquillement le cocotier du tennis. Outre l'organisation de ces exhibitions ultra-lucratives, il y a eu la création de la Laver Cup, sorte de pavé dans la mare du calendrier ATP, qui l'a pourtant accueillie les bras ouverts. Au-delà de ça, il a contribué à changer certaines règles et il a "rameuté" à travers la planète une cohorte immense de fans nouveaux, ce qui est en soi une bonne nouvelle même si - on peut se le dire entre nous -, nombre de ces fans sont trop souvent plus fascinés par le seul culte du maestro qu'intéressés par le tennis en lui-même. Comme tout ce que Federer touche se transforme en or, on peut être sûr que s'il organisait demain une exhibition à Pune, elle serait tout aussi pleine à craquer ! A 60 ans, Federer attirera toujours mille fois plus de monde pour une exhibition savamment "marketée" que bien des tournois traditionnels.
Tout cela, c'est formidable… Mais cette puissance politico-populaire inégalée, probablement inégalable, a néanmoins quelque chose d'un peu inquiétant. S'il le voulait, Federer, avec son aura et son entregent, aurait les moyens de bouleverser sinon détruire l'écosystème actuel du tennis, par exemple en créant un circuit parallèle d'exhibitions ou en développant de nouvelles formes de compétition sur le modèle de la Laver Cup. Il ne le fera pas, car il est respectueux du jeu, n'a pas la personnalité belliqueuse et mégalomaniaque nécessaires à l'accomplissement d'un aussi vil dessein. Malgré tout, se dire qu'un homme, aussi vertueux soit-il, a fini par devenir un jour plus grand et plus fort qu'un sport tellement chargé d'histoire, n'est pas une situation qui me mets, je l'avoue, complètement à l'aise…
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