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Roland-Garros - Le tennis français en crise : "Le trou générationnel est pire que dans les années 1970"

Maxime Battistella

Publié 21/05/2022 à 00:07 GMT+2

ROLAND-GARROS - Un an après le bilan catastrophique de l'édition 2021 qui n'avait vu aucun Bleu atteindre le 3e tour du tournoi du Grand Chelem parisien, l'horizon du tennis français ne semble pas plus dégagé comme le tirage au sort l'a confirmé. Cet état critique n'est pas sans rappeler la fin des années 1970 : notre consultant Jean-Paul Loth était alors DTN et nous livre son analyse.

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Rien ne sert de broyer du noir avant même le début des hostilités. Mais il vaut mieux se préparer au pire et espérer le meilleur. Voilà l'état d'esprit le plus adéquat pour appréhender justement la situation du tennis tricolore. Un constat vaut mieux que mille développements : pour la première fois au XXIe siècle (et même depuis 1999), Roland-Garros ne compte pas de Français (ni chez les dames ni chez les messieurs) parmi ses têtes de série dans les tableaux de simple. Après le néant dès le 3e tour de l'édition 2021, l'heure n'est donc pas à l'optimisme béat.
En début de semaine, le ciel s'est encore un peu plus assombri avec le forfait de Gaël Monfils. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, disait Lamartine. Lors du dernier Open d'Australie, ils étaient même deux en quarts de finale avec Alizé Cornet. Mais le Parisien comme la Niçoise, représentants d'une génération en fin de carrière, étaient des arbres qui cachaient la forêt de résultats globaux très inquiétants. Rappelons ainsi qu'aucun Bleu (ou Bleue) n'avait atteint la seconde semaine en Grand Chelem l'an dernier.
Sur le circuit ATP, un seul a su tirer son épingle du jeu dans ce printemps sur terre notamment à Genève (demi-finale) : Richard Gasquet et ses 35 ans (bientôt 36). "Que Gasquet connaisse une embellie à 35 ans ponctuellement s'il n'a pas de problèmes physiques, c'est plutôt logique : il a quand même été dans les 10 meilleurs mondiaux, en demies de Wimbledon et de l'US Open. Le problème, c'est qu'il faudrait qu'il y en ait qui le poussent dehors derrière", pointe d'ailleurs avec lucidité notre consultant Jean-Paul Loth.
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Un défi comparable à la refondation du début de l'ère Open

Pour la première fois depuis 1971, il n'y avait pas de représentants tricolores dans le tableau du Masters 1000 de Rome. Pour trouver trace d'un tel état de crise dans le tennis français, il faut donc remonter à ces fameuses années 1970, surtout dans leur seconde moitié. A l'époque, l'arbre qui cachait la forêt se nommait François Jauffret. Demi-finaliste à Roland en 1974, il avait été aussi le dernier rescapé en 8es de finale en 1975 et 1976. Puis en 1977, l'aventure s'était arrêtée un tour plus tôt pour Patrice Dominguez et un certain Yannick Noah, déjà.
Confrontée aux débuts de l'ère Open - c'est-à-dire à l'autorisation donnée aux professionnels de participer aux plus grands tournois jusqu'alors réservés aux amateurs en 1968 -, la Fédération française de tennis (FFT) avait alors totalement refondé sa politique sportive. Directeur technique national à partir de 1977, Jean-Paul Loth en a été l'un des grands artisans avec le président de la FFT à l'époque, Philippe Chatrier.
"On s'est mis en tête de redonner tout son prestige à Roland-Garros, d'en refaire un vrai tournoi du Grand Chelem, et de partir à la conquête de la Coupe Davis et de victoires dans les Majeurs. Au début, on n'avait quasiment pas de moyens. Et à partir de 1977-1978, la Fédération a pris sa part dans la formation des joueurs. En tant que DTN, j'ai créé les tennis-études, j'ai inauguré des bourses d'entraînement pour que des gamins puissent être entraînés à demeure. On a aussi créé des bourses de compétitions, donc les efforts effectués par les clubs et les ligues étaient achevés par la Fédération", témoigne-t-il.
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Yannick Noah avec Patrice Beust et Pascal Portes lors d'un tournoi à Miami en décembre 1977

Crédit: Getty Images

Un renouvellement régulier des talents jusque dans les années 2000

Il a fallu du temps avant qu'il n'y ait un frémissement. Des joueurs comme l'actuel président de la FFT Gilles Moretton (8e à Roland en 1979), Dominique Bedel (3e tour en 1979) ou encore Pascal Portes (3e tour également en 1980) ont eu du mal à prendre le relais des Pierre Darmon, Pierre Barthès, Patrick Proisy et François Jauffret. Puis, le grand champion tant attendu est arrivé en la personne de Yannick Noah.
"Yannick finit par gagner Roland en 1983, et j'amène l'équipe de France en finale de Coupe Davis contre les Etats-Unis à Grenoble. Et puis arrivent Guy Forget et Henri Leconte. On forme des joueurs avec notre système jusque dans les années 2000-2005. Il y avait toujours une dizaine, douzaine de joueurs dans les 100, et avec des leaders à un moment dans le Top 10 : Cédric Pioline, Sébastien Grosjean, Arnaud Clément puis les Gasquet, Monfils, Tsonga et Simon", rappelle Loth.
A ce jour, le tennis français masculin produit toujours une certaine densité. Cette semaine, neuf Bleus figurent dans le Top 100, Quentin Halys étant le tout dernier entré dans cette élite grâce à ses bons résultats récents en Challengers. Mais quand on s'intéresse de plus près au classement, un constat s'impose : ils ne sont plus que deux dans les 50 premiers (Monfils 22e et Ugo Humbert 45e) et il n'y en a plus dans le Top 20.
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Une question de génération mais aussi de valeurs ?

La France ne fait certes pas figure d'exception : bien des pays ont connu des traversées du désert. Avant son renouveau récent dans les années 2010 avec les Fabio Fognini, Matteo Berrettini, Jannik Sinner ou encore Lorenzo Musetti, l'Italie avait mangé son pain noir depuis le sacre d'Adriano Panatta à Roland (1976). Si le tennis allemand peut désormais compter sur Alexander Zverev, il ne faisait pas non plus le fier après les retraites de Boris Becker et Michael Stich.
Ainsi va le caprice des vagues générationnelles. Mais Jean-Paul Loth pointe tout de même une responsabilité de la Fédération dans les années 2010. "C'est la faillite d'un système. A un moment, on a un peu trop donné aux potentiels futurs joueurs pour qu'ils fassent complètement les efforts pour réussir au plus haut niveau. Ensuite, on a supprimé les tennis-études en considérant que tout devait se passer via le club et les parents. Mais ni les clubs, ni les parents n'ont les moyens de suivre un joueur pendant les 7 ou 8 ans de sa formation."
En somme, l'équilibre est difficile à trouver entre la volonté de mettre les jeunes à fort potentiel dans les meilleures conditions et le danger d'un confort trop important incompatible avec les rigueurs du haut niveau. "Le trou est pire que dans les années 1970. Ce qui est réconfortant, c'est qu'on a désormais à la tête de la maison un ancien joueur qui sait de quoi il parle. Mais quand vous avez perdu en partie l'état d'esprit et la discipline, ce que signifie que s'adonner totalement à un sport dans le respect des gens, des choses et des principes sportifs, il faut s'accrocher pour le récupérer", avertit encore Loth.
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S'inspirer de Gaston : on a un trou oui, mais il faut se bagarrer pour en sortir
A court terme, il faudra faire avec les moyens du bord. Une chose est certaine néanmoins : ce Roland-Garros ne se déroulera pas dans l'indifférence côté français. Car il s'agira aussi de rendre hommage à une génération prolifique sur le départ en début de tournoi. Respectivement opposés à Casper Ruud et Pablo Carreno Busta au 1er tour, Jo-Wilfried Tsonga et Gilles Simon vont frapper leurs derniers coups de raquette sur l'ocre parisien. Émotion et frissons garantis.
Quant aux autres, que peuvent-ils viser ? Un 3e tour serait déjà une belle performance. En cas de seconde semaine, on friserait l'exploit. "Que ce soit chez les messieurs ou chez les dames, réussir Roland, ce serait tout simplement de se battre comme des chiens sur tous les points, sur tous les sets et sur tous les matches, insiste notre consultant. Si ça sourit, ce serait d'en gagner quelques-uns. Mais ce serait surtout de montrer qu'ils n'ont peur de rien. Il faut s'inspirer de ce que Gaston a fait contre Thiem il y a un an et demi. Il n'avait a priori pas le niveau pour rivaliser et il a fait un match de titan. On a un trou oui, mais il faut se bagarrer pour en sortir."
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