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Santé mentale - Chris Evert : "J'ai peur de les voir s'effondrer émotionnellement sur le court"

Laurent Vergne

Mis à jour 07/04/2022 à 18:03 GMT+2

Pétages de plombs à répétition, insultes ou agressivité envers les arbitres, joueurs et joueuses en larmes, dépression... Sous des formes diverses, la fragilité psychologique des pensionnaires des circuits ATP et WTA ne cesse de se révéler ces derniers mois. Pour l'ancienne légende du tennis féminin Chris Evert, le sujet doit vraiment être pris très au sérieux.

Nick Kyrgios à Miami.

Crédit: Getty Images

"Il faut vraiment avoir le cuir épais". Au moins autant que des qualités purement tennistiques ou physiques, pour durer sur le circuit, le mental, au sens large, est indispensable pour briller et, plus encore, pour durer au plus haut niveau. On ne parle pas là de ressorts psychologiques dans l'expression même du jeu, pour sauver une balle de match ou aller chercher une victoire dans un tie-break décisif, mais de la gestion de tout ce qu'implique la pratique du tennis professionnel. Il faut avoir le cuir épais, comme le dit Chris Evert à Eurosport.
"Ce n'est pas facile de vivre la vie d'un joueur ou une joueuse de top niveau, estime la légende américaine aux 18 titres du Grand Chelem. Il y a toutes sortes de pressions auxquelles vous devez faire face et dont les gens n'ont pas idée. Nous, en tant qu'anciens champions, nous le comprenons sans doute mieux que le grand public."
Le phénomène n'est pas nouveau. Est-il plus prégnant aujourd'hui qu'il y a dix, vingt ou trente ans ? Peut-être. Mais il est surtout davantage mis sur la table. Pour Boris Becker, élevé au rang de demi-dieu en Allemagne à 17 ans après sa première victoire à Wimbledon, il a fallu attendre la sortie de son autobiographie en 2004, après la fin de sa carrière, pour mesurer ce qu'il avait traversé. Becker a tourné aux anxiolytiques pendant des années. Il est devenu riche, célèbre, a assouvi ses rêves d'enfant, mais il a vécu une vie anormale pour un adolescent et un jeune adulte.
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Gloire et déboires. 1985, la folie Boris Becker en Allemagne.

Crédit: Imago

Privilège et fardeau

Le paradoxe, c'est que, vivre cette vie, c'est à la fois un privilège (Rafael Nadal l'a souvent rappelé ces derniers temps, sans que cela ne soit une critique envers qui que ce soit) et potentiellement une forme de fardeau. Certains s'en accommodent mieux que d'autres. Tout dépend de la personnalité, du vécu, de l'équilibre personnel ou, pour reprendre l'expression de Chris Evert, de l'épaisseur du cuir. De l'âge, aussi, sans doute.
Dans le contexte actuel, le cas d'Emma Raducanu est symbolique. Inconnue il y a quelques mois, la jeune Britannique a été propulsée au rang de star en un seul été. Le vent s'est levé à Wimbledon, puis la tornade a soufflé sur New York deux mois plus tard lors de son sacre à l'US Open. Son parcours relève du rêve absolu, mais la soudaineté de son émergence, à moins de 19 ans, comporte forcément une part de "danger".
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Emma Raducanu

Crédit: Getty Images

"Être une star en Grande-Bretagne, c'est sans doute la chose la plus difficile possible pour une joueuse ou un joueur, estime Evert. Plus encore qu'aux Etats-Unis, où il y a déjà tellement de vedettes dans d'autres sports. Avec les tabloïds qui vous portent aux nues quand tout va bien mais ne vous soutiendront pas si vous avez des difficultés, il faut vraiment avoir la peau dure. Je pense qu'elle l'a, mais c'est difficile. Quand je dis qu'il faut avoir le cuir épais, ce n'est pas une critique, c'est une réalité."

De quoi tu te plains ?

Le tennis féminin est loin d'être le seul concerné. Au mois de février, Nick Kyrgios avouait avoir traversé en 2019 la "période la plus sombre" de sa vie. Pensées suicidaires, scarifications, drogue, alcool, l'Australien a flirté avec l'irrémédiable. "J'avais du mal à sortir de mon lit, sans parler de jouer devant des millions de personnes", a-t-il expliqué. De l'extérieur, personne n'aurait pu soupçonner une telle détresse.
S'il en parle aujourd'hui, c'est parce qu'il va mieux, mais aussi parce qu'il se sent le droit d'évoquer le sujet. Rien ne l'interdisait auparavant bien sûr, mais le poids de la culpabilité, ou celle de la honte, l'en empêchait. Le joueur de haut niveau, a fortiori le grand champion, se doit, ou du moins le croit-on, ou le croit-il, d'être fort, presque indestructible. "Je pensais que je n'avais pas le droit de me sentir mal alors que tout le monde rêvait d'être moi", écrivait Becker. De quoi tu te plains, en somme ? Renvoyer l'image de la fragilité et, en prime, l'assumer, demande du courage.
En cela, il faut remercier Naomi Osaka. Qu'une championne comme elle, quatre fois titrée en Grand Chelem, mette sur la place publique ses difficultés n'aura pas été vain. Elle a même sans doute ouvert une voie. Avoir le cuir épais est indispensable. Mais admettre une faiblesse n'est pas un aveu de faiblesse. C'est une force. "Je comprends que vous ayez l'impression que si vous vous ouvrez, vous vous sentirez faible ou effrayé. Je vous le dis dès maintenant, tout va bien, vous n'êtes pas seul", clamait Kyrgios le 25 février dernier.
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Le tâtonnement puis les pleurs… Osaka a craqué en conférence de presse : la séquence en vidéo

Le stress, la tension, voire le mal-être peuvent s'exprimer sur le court de mille façons. Tous les cas sont différents, et un coup de gueule sur un arbitre tel que celui de Daniil Medvedev à l'Open d'Australie lors de sa demi-finale contre Stefanos Tsitsipas n'est sans doute pas à mettre sur le même plan qu'une crise de larmes en plein match ou en conférence de presse.
Le tennis est un sport, ce n'est pas la vie
Mais ce qui est certain, c'est que le circuit semble évoluer dans une forme de tension permanente ces derniers temps. A chaque semaine son ou ses incidents, du "craquage" de Zverev à Acapulco aux larmes d'Osaka à Indian Wells ou l'abandon à Miami de Victoria Azarenka exprimant le "besoin de faire une pause". Coup de fatigue, coup de stress, impact de la guerre russo-ukrainienne sur les joueurs biélorusses (comme Azarenka) ou russes, les raisons peuvent être multiples. Difficile toutefois, au-delà des causes diverses, de ne pas relever un climat global.
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Zverev a fracassé la chaise de l'arbitre : son incroyable pétage de plombs en vidéo

"Je ne connais aucun autre sport où l'arbitre est autant insulté, note Chris Evert. Je m'inquiète du comportement des joueurs et j'ai même peur de les voir s'effondrer émotionnellement en plein match, de quitter le court en plein match. Je m'inquiète des rechutes. Je ne porte aucun jugement sur les joueurs et les joueuses, mais c'est un sujet de préoccupation. Pourquoi autant de joueurs perdent-ils le contrôle ? Pourquoi craquent-ils autant émotionnellement ? C'est vraiment quelque chose qui doit être abordé de front."
La "bonne" nouvelle tient qu'avec la libération progressive de la parole, celle-ci est suivie d'actes. Naomi Osaka a commencé à travailler avec une psychologue, et elle n'est pas la seule. "Avoir un thérapeute est de plus en plus fréquent, et je trouve ça génial, parce que ça montre qu'elles veulent vraiment traiter le problème", dit encore Evert.
Selon elle, l'essentiel est de parvenir à trouver la juste perspective, même si elle a bien conscience que la solution est plus évidente à énoncer qu'à mettre en pratique : "Le tennis est un sport, ce n'est pas la vie. Le danger, c'est que votre identité ne se résume qu'à la victoire ou la défaite. Vous êtes un gagnant quand tout va bien et le jour où vous perdez, vous êtes un loser pour le reste du monde. Tout ça a des conséquences sur vous, sur votre santé émotionnelle et mentale."
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