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Quels sont les matches oubliés qui ont changé le cours de l'Histoire ?

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 30/08/2019 à 21:00 GMT+2

DEBAT - Episode IV de notre rubrique "On refait l'Histoire". Derrière les grandes finales inoubliables, derrière les plus grandes conquêtes se cachent parfois des victoires moins prestigieuses mais indispensables. Bertrand Milliard et Laurent Vergne reviennent sur deux rencontres de première semaine de Grand Chelem qui ont pesé lourd sur le destin de leurs protagonistes.

Boris Becker

Crédit: Getty Images

On refait l'Histoire, c'est la rubrique débat d'Eurosport.fr, co-alimentée par Bertrand Milliard, commentateur du tennis sur nos antennes depuis vingt ans, et Laurent Vergne, qui contribue à la rubrique tennis sur notre site. Un principe, simple : une question, deux points de vue.
Ici, plus que d'actualité, il sera question de la grande et de la petite histoire du jeu. Ici, personne n'aura tort ou raison. Tout sera affaire de goûts, de choix, de souvenirs ou de points de vue. Et parce que cette rubrique sera aussi celle des lecteurs, nous comptons évidemment sur vous pour partager les vôtres.
Quand nous les avons vécues, nous nous souvenons tous des grandes finales, voire des immenses quarts ou demies qui peuplent l'histoire de ce sport. Mais avant de décrocher un grand titre, il faut parfois galérer sur les premières marches. Nous nous sommes ainsi posé la question : quels matches tombés plus ou moins dans l'oubli parce qu'ils se sont tenus en première semaine ont modifié le destin de leurs protagonistes. Nos choix, et nos souvenirs, nous renvoient dans les années 80.

Bertrand Milliard

Boris Becker vs Derrick Rostagno - US Open 1989
Certains scénarios improbables font basculer de façon irrationnelle le destin d’un tournoi. Un petit détail qui change l’issue d’un match puis de l’épreuve entière. Un exemple frappant provient d’un affrontement dont j’ai déjà parlé, le fameux Panatta-Hutka à Roland Garros, en 1976. Avant de remporter son unique Majeur deux semaines plus tard, l’Italien avait dû sauver au 1er tour une incroyable balle de match face au Tchécoslovaque : demi-volée derrière son service sur un retour ayant touché la bande, volée haute de revers dos au filet et enfin volée dingue sur un plongeon désespéré. Un miracle absolu.
Mais j’ai préféré parler d’un souvenir précis, un duel suivi de A à Z sur le petit écran, qui reste encore douloureux aujourd’hui. Car j’aimais bien les surprises, j’appréciais Rostagno et beaucoup moins Becker, double tombeur de Leconte à Wimbledon quand Henri aurait pu (dû ?) gagner là-bas.
En cette toute fin de mois d’août à New York, la chaleur humide, propre au dernier tournoi du Grand Chelem de la saison, met à mal les organismes. Tout frais vainqueur de son 3e Wimbledon, suivant un beau parcours jusqu’en demi-finale à Roland Garros, Boris Becker, tête de série 2, souffre et se trouve en passe de s’incliner dès le 2e tour, comme l’année précédente, où il avait pris trois sets secs face à l’Australien Darren Cahill.
Opposé à l’Américain Derrick Rostagno, modeste 65e mondial - mais 36e un an plus tôt après avoir atteint son unique quart en Majeur ici même - l’Allemand entame la rencontre de façon désastreuse. Emprunté, lent, moins tranchant au filet qu’à l’accoutumée, Becker, la face rougie comme jamais par le soleil et l’agacement, concède le premier set 6-1 puis le deuxième au tie-break, survolé 7-1 par son adversaire.
Le Californien au look de surfeur, cheveux longs, bronzage impeccable, sert le plomb et régale avec son jeu d’attaquant. À 24 ans, il est surtout réputé pour quelques performances en Grand Chelem, un 4e tour en Australie en 87, un 3e à Wimbledon l’année suivante perdu 7-5 au cinquième face à Connors puis ce fameux quart à Flushing où il s’incline devant Lendl à l’issue d’un beau parcours. Ce joueur n’a rien du tennisman professionnel classique : il sillonne le circuit américain tantôt en combi Volkswagen lorsqu’on joue dans l’Ouest, tantôt en mobile home, dans lequel il couche, lorsque les épreuves se déroulent à l’Est du pays.
L’exploit est proche et malgré une petite baisse de régime au 3e set, le natif d’Hollywood (!) semble de nouveau en contrôle dans la manche suivante, au point de se procurer deux balles de match à 6-4 dans le jeu décisif. Sur la première, il sort une volée de coup droit jouable. Sur la seconde, le destin s’en mêle. Son retour-volée le place dans de bonnes conditions, d’autant que Becker trébuche en jouant son passing de coup droit. Mais alors qu’il prépare sa volée décisive, la balle heurte la bande du filet et termine sa course en passing gagnant.
Sonné, l’Américain perd les deux points suivants puis les quatre premiers jeux du 5e set. "Il m’a fallu quelques jeux pour me remettre et à ce moment-là, c’était trop tard", déclare-t-il après coup. Personnellement, mes espoirs s’étaient éteints dès la fin du tie-break.
Après 4h27 de lutte, Becker s’en sort pour la troisième fois de sa carrière après avoir été mené deux sets à rien. Libéré, il enchaîne dans la foulée des victoires sur Mecir (revanche de la demie perdue 3 ans plus tôt), Pernfors, Noah et Krickstein avant de dominer en quatre sets un Lendl qui dispute sa 8e finale consécutive à Flushing. Les dieux du tennis étaient avec l’Allemand, qui engrange un 4e titre du Grand Chelem et réalise le doublé Wimbledon - US Open pour la première fois depuis John Mc Enroe cinq ans plus tôt.
Rostagno s’inclinera lui quatre fois dans sa carrière en Grand Chelem face au futur vainqueur et culminera à la 13e place du classement ATP en 1991, année où il s’offrira les scalps de Sampras et Connors à Wimbledon.
En plus de son talent, c’est donc à une bande de filet favorable que Becker devra son unique US Open.
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Les grands classiques : Becker - Lendl 1989

Laurent Vergne

Mats Wilander vs Slobodan Zivojinovic - Roland-Garros 1988
1988, c'est l'année Wilander. A la fois sommet et chant du cygne du champion suédois, qui dut jusqu'alors se défaire de deux ombres : l'héritage d'une figure tutélaire, son compatriote Björn Borg, et surtout celle du plus grand rival de sa carrière, Ivan Lendl. Lors de cette saison 1988, il s'émancipera de la première et domptera la seconde, lors d'une mémorable finale de l'US Open longue de plus de cinq heures. Ce jour-là, en battant Lendl pour la première fois depuis plus de trois ans, Wilander se hisse à la première place mondiale et signe un Petit Chelem. Performance inédite depuis Connors en 1974 et qui ne sera pas renouvelée avant 2004 via Roger Federer.
Avant Flushing, Wilander avait triomphé en Australie au mois de janvier puis à Roland-Garros. Mais à Paris, le classieux frisé de Växjö avait failli tout perdre lors d'un troisième tour improbable à tous points de vue. Improbable de par le scénario de la rencontre, disputée sur deux jours et dans des conditions plus que changeantes, de par l'extrême nervosité du Suédois, si inhabituelle de sa part, et plus encore par la nature de son adversaire, Slobodan Zivojinovic.
Avec son mètre quatre-vingt-dix, sa carrure de videur et sa première balle à décorner les bœufs, le Bobo n'a pas le physique de son époque C'est, surtout, un redoutable joueur de gazon. Demi-finaliste en Australie en 1985 à Kooyong puis à Wimbledon un an plus tard, le Yougoslave nourrissait en revanche une forme d'aversion pour la terre battue. En huit participations, c'est d'ailleurs la seule fois où il franchira le 2e tour Porte d'Auteuil. Dans ce 16e de finale passé de la simple formalité apparente au traquenard, il va pourtant échouer à trois points du plus grand tremblement de terre des années 80 à Roland, titre honorifique qu'il aurait partagé avec Chang un an plus tard contre Lendl.
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Slobodan Zivojinovic.

Crédit: Getty Images

La journée est maussade ce vendredi 27 mai 1988. Il fait si frais dans cette toute fin d'après-midi grisâtre, que Wilander s'échauffe en survêtement. Personne ne retient vraiment son souffle avant ce match. Et quand Mats mène 6-2, 3-0, les travées presque vides et grelotantes du Central sont plus proches du bâillement que de l'excitation. Tout est normal. Pourtant, quelque chose cloche. Sentiment diffus, confus, mais bien présent. Wilander s'agace. Et ça, ce n'est pas lui. Après une interruption suite à une grosse averse, le match reprend presque dans le noir. Le Suédois demande à l'arbitre de stopper le match. La lumière, ou ce qu'il en reste, tombe vite. Zivojinovic débreake, revient à 3-2 et le match est reporté au lendemain. De colère, lui d'habitude si maître de lui-même, Wilander balance une balle dans les tribunes, crache une ou deux amabilités à l'arbitre, ramasse son sac et quitte le court sans cesser de maugréer.
Lorsque les deux joueurs reviennent le samedi midi, le soleil brille et le court s'accélère. Zivojinovic chaparde le deuxième set au tie-break puis le troisième, 6-3. Bienvenue dans la galère, Mats. Wilander recolle à deux sets partout mais dans la cinquième manche, le Yougo breake pour mener 5-2. L'invraisemblable sensation est en marche. Sauf que Bobo va gentiment s'humidifier au moment de servir pour l'exploit à 5-3. Il mouille, quoi, Bobo. A l'image de cette volée haute complètement vendangée. Toute sa vie, il lui manquera trois points. Wilander ramasse les cinq derniers jeux. Sur la balle de match, comme la veille, il balance une balle dans le public, mais ce geste-là, contrairement au précédent, possède une force libératrice.
Comme pour Bertrand, ce souvenir est celui d’un espoir déçu. Supporter de Lendl (vous allez finir par le savoir), j’aimais bien Wilander mais en tant que grand rival du Tchécoslovaque, je souhaitais qu’il libère le passage. Surtout à Roland-Garros. Finalement, c’est Lendl qui disparaitra avant leurs retrouvailles en finale, dès les quarts de finale. De ce Wilander - Zivojinovic, vous ne trouverez aucune trace sur Youtube. Comme s'il avait été rayé de la mémoire tennistique. Il aurait pourtant tout changé.
A trois points près, pas de troisième Roland-Garros, pas de Petit Chelem, pas de saison historique pour Wilander. Et la théorie des dominos engendrée par cette uchronie-ci aurait eu des répercussions au-delà de son cas. Henri Leconte, finaliste malheureux de cette quinzaine et éjecté sans ménagement par Wilander sur la dernière marche huit jours plus tard, serait, peut-être, aujourd'hui, le dernier vainqueur français en Grand Chelem. A quoi ça tient, l'Histoire... Elle ne s'écrit pas qu'au dernier chapitre mais parfois, aussi, au détour d'un coin de page, oublié et pourtant fondateur.
. La semaine prochaine, deuxième volet de ce débat, avec la même question, mais consacrée cette fois au tennis féminin.
. N'hésitez pas, à votre tour, à fouiller dans vos souvenirs pour faire partager un ou plusieurs matches de ce type.
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