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Wimbledon - Finale - Du "Crétin" à la "Bromance" : Kyrgios - Djokovic, une drôle d'histoire

Laurent Vergne

Mis à jour 10/07/2022 à 08:54 GMT+2

WIMBLEDON - D'un côté, les 32 finales de Novak Djokovic. De l'autre, la toute première de Nick Kyrgios. Ce curieux Wimbledon offre un bouquet final à la fois inédit et excitant entre le maître des lieux, et de l'enfant terrible du circuit, enfin à sa place. Deux joueurs que tout oppose. C'était aussi vrai des deux hommes, avant un net réchauffement dans leurs relations cette année.

"Kyrgios, un talent pur mais une attitude détestable"

Samedi après-midi, à l'Aorangi Park. Novak Djokovic est à l'entraînement sur un court entouré de tout son clan quand Nick Kyrgios passe dans l'allée. Un bref échange s'engage. "Ça t'a pris cinq ans pour dire un truc sympa sur moi", lance le Serbe à celui qui sera son challenger en finale de Wimbledon dimanche sur le Centre Court. Le tout est dit sous forme de boutade. "Mais je t'ai défendu quand ça comptait", répond l'Australien. "Tu l'as fait, et j'apprécie." L'échange résume à lui seul la confusion des sentiments entre les deux hommes.
Un peu plus tard dans la journée, ils ont remis ça, sur leurs réseaux sociaux.
- Kyrgios : "On est amis maintenant ?"
- Djokovic : "Si tu m'invites pour un verre ou un diner, j'accepte. PS : Le vainqueur paie demain."
- Kyrgios : "Deal. Allons en boîte et faisons les fous."
Tennistiquement, ce duel a de quoi intriguer. Humainement aussi. Voilà, dans deux registres différents, deux des personnages les plus controversés du circuit, dont la relation a été pour le moins tumultueuse avant de s'adoucir de manière spectaculaire ces derniers mois. Après des années de diatribe, Kyrgios et Djokovic rivalisent désormais d'amabilités. Ou comment passer d'une incompatibilité totale à une presque "bromance".
Cette détestation était assez largement à sens unique. Nick Kyrgios a toujours aimé déverser son fiel. Parce qu'il n'avait pas honte de dire ce qu'il n'avait pas honte de penser, l'Australien a enchaîné les piques, parfois même les insultes. Avec lui, ça sort comme ça sort. Du brut de décoffrage. Djokovic est loin d'avoir été l'unique cible du joueur de Canberra. Nadal, par exemple, a eu droit à sa dose d'attaques. Mais jamais avec la même récurrence ni avec la même violence.
Pour moi, il ne sera jamais le 'GOAT'
Dans les médias, en conférence de presse, ou via les réseaux sociaux, le trublion des antipodes n'a jamais manqué une occasion d'allumer sa cible favorite. Il a même semblé faire une petite "fixette" sur Djokovic. S'il s'est senti autorisé à ne pas y aller de main morte, c'est en partie parce que Kyrgios a remporté leurs deux seuls duels. C'était à la fin de l'hiver 2017. Deux victoires sans perdre la moindre manche, coup sur coup, à Acapulco et Indian Wells.
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Nick Kyrgios et Novak Djokovic à Indian Wells en 2017.

Crédit: Getty Images

Difficile pourtant d'y voir une tendance lourde. Le Serbe traversait la période la plus délicate de sa carrière. Peu après, il allait d'ailleurs se faire opérer du coude. "Il est très agressif, tente sa chance sur première comme seconde balle. C’est son style. Il joue d’une certaine façon, parle et se comporte sur le court d’une certaine façon. Apparemment, ça marche…", avait commenté "Nole", un peu frustré, après sa seconde défaite, à Indian Wells.
Mais Kyrgios a joué là-dessus. "Désolé, mais pour moi, il ne sera jamais le 'GOAT', déclarait-il pour la énième fois début 2021. Peu importe combien de tournois du Grand Chelem il gagne, mais je ne pourrais jamais le considérer comme le plus grand, simplement parce que je l'ai joué deux fois et je l'ai battu deux fois. Si tu n'es même pas capable de me battre, tu ne peux pas être le 'GOAT'." Avec lui, on ne sait jamais trop où se situe le premier ou le second degré. Une chose est sûre, il ne portait pas Djokovic dans son cœur.

Le point culminant de l'Adria Tour

Plus que le champion, dont il respecte évidemment les accomplissements, c'est la personnalité du "Djoker" que Nick Kyrgios abhorrait. Sa façon d'être, de faire. Ses célébrations, par exemple, après chacune de ses victoires, avec son salut aux diverses tribunes. "Elle est vraiment flippante sa célébration, non ?, avait-il interrogé un jour. La prochaine fois que je le bats, je ferai la même pour voir. Ça serait hilarant, non ?"" Puis celle-ci, qui touchait peut-être au fond du problème qu'il avait avec Djokovic : "Il a une obsession maladive avec le besoin d'être aimé. Il veut être Roger. Il veut être tellement aimé que je n'arrive pas à le supporter. Ça en devient embarrassant. Il dit toujours ce qu'il pense devoir dire, il ne donne jamais son opinion".
Le point culminant a sans doute été atteint au printemps 2020, au moment où le sport était à l'arrêt au début de la pandémie du Covid-19. Au mois de mai, Novak Djokovic organise une exhibition à Belgrade, l'Adria Tour. Tribunes remplies à ras bord, absence de masques et de gestes barrières et cette fiesta nocturne avec Alexander Zverev et quelques autres. Sur Twitter, Kyrgios se lâche. "Organiser cette exhibition, c'était une décision stupide. Mes prières à tous les joueurs infectés. Mais ce n’est plus la peine de mentionner mes agissements comme des actes irresponsables. L'Adria Tour surpasse tout." Il ira même jusqu'à traiter le numéro un mondial d'alors de "crétin", lorsque celui-ci réclamera un assouplissement des conditions de quarantaine pour les joueurs avant l'Open d'Australie.
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Nick Kyrgios & Novak Djokovic

Crédit: Getty Images

Novak Djokovic, lui, a d'abord fait part de son incompréhension face à ce ball-trap médiatique permanent. "Je ne sais pas pourquoi Kyrgios dit toutes ces choses, avouait-il en 2019. S'il veut attirer l'attention, ou s'il a d'autres motivations. Il peut dire ce qu'il veut, ça ne me pose pas de problème." Il a presque toujours résisté à la tentation du tac au tac, comme s'il sentait que ce combat-là serait inégal pour lui. Mais en arrivant à l'Open d'Australie en 2021, peu après le "crétin", Djokovic avait répliqué. Brièvement mais fermement : "En dehors du court, je n'ai pas beaucoup de respect pour lui pour être honnête. Et je vais m'arrêter là. Je n'ai pas plus de commentaires à faire."
Dans la foulée, Kyrgios s'était présenté à son tour en conférence de presse. Averti de la mise au point de son punching ball préféré, il avait visiblement savouré le moment. "Allons-y", avait-il commencé dans un sourire, rappelant que, en dehors du court, lui respectait les règles sanitaires plutôt que d'organiser une compétition, et qu'il soulevait des fonds en Australie. "Ça ne mérite pas de respect, à votre avis ?" demandait-il. "C'est un drôle d'animal, Novak, avait poursuivi Kyrgios. Immense joueur de tennis, mais malheureusement, quelqu'un qui fait la fête torse nu en pleine pandémie mondiale, je ne sais pas s'il y a quelque chose à tirer de cet homme. Pour moi, c'est difficile de faire pire."
Au bout du compte, il est humain
Pourtant, un an plus tard, au même endroit, quand Novak Djokovic s'est retrouvé bloqué à l'aéroport et en rétention à son arrivée à Melbourne faute de vaccination, personne ne s'est mis plus en avant que Nick Kyrgios pour endosser la robe de l'avocat du Serbe. Ce n'est plus à lui que Kyrgios s'en prenait, mais aux médias et aux autorités australiennes : "Je crois absolument qu'il faut agir contre le virus, j'ai d'ailleurs été vacciné pour protéger les autres et notamment la santé de ma mère. Mais nous traitons mal la situation de Novak, vraiment mal. Tous ces memes et ces gros titres... C'est l'un de nos plus grands champions, mais au bout du compte, il est humain. Faites mieux."
A l'avant-veille du début du tournoi, alors que le sort de Djokovic demeurait incertain (il serait finalement expulsé pour de bon), l'Australien avait même donné dans l'emphase. "Honnêtement, je veux qu'il gagne le tournoi, putain, avait clamé Kyrgios. Ce serait énorme. Je veux marcher dans Melbourne Park avec mon T-shirt 'Idemo' (allez, en serbe). Je veux me balader avec un masque de Novak sur mon visage."
Pourquoi un revirement de situation aussi spectaculaire ? Peut-être parce que Kyrgios jugeait tout simplement que le traitement réservé au champion de Belgrade n'était pas juste. Ou que l'attitude de son propre pays virait à l'acharnement. Tirer sur une ambulance n'est pas son truc. Attaquer Djokovic l'intéressait davantage quand il s'agissait de s'attaquer à un puissant.
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Quelques supporters serbes de Novak Djokovic lors d'une manifestation de soutien à Melbourne en début d'année. Ils n'auront pas gain de cause.

Crédit: AFP

Bromance or not Bromance ?

Alors que les deux hommes vont s'affronter pour la première fois depuis cinq ans et demi, sur la plus prestigieuse scène du monde tennistique avec le titre en jeu à Wimbledon, ce sont donc les roses et non les couteaux qui sont de sortie. "Nous vivons clairement une sorte de 'bromance' maintenant, ce qui est un peu bizarre", a déclaré Kyrgios vendredi. On échange en DM sur Instagram, des trucs comme ça. Oui, c'est vraiment étrange. L'autre jour, il m'a envoyé 'J'espère vraiment te voir dimanche'."
Les confidences de l'Australien ont plutôt amusé Djokovic, pas tout à fait prêt à aller aussi loin que lui. "Je ne suis pas sûr que je parlerais encore de 'bromance'", a souri le triple tenant du titre (quoi que c'était avant le double épisode de ce samedi). Mais sur le fond, il acquiesce : "Nous avons une bien meilleure relation qu'avant. Même s'il a dit certaines choses pas agréables à mon sujet, quand c'était vraiment difficile pour moi en Australie, il a été un des rares joueurs à s'être manifesté publiquement, à m'avoir soutenu. Je lui en suis vraiment reconnaissant. Donc je le respecte beaucoup pour ça."
De son futur adversaire, Djokovic dit aussi apprécier le côté "authentique". "On peut discuter parfois de ce qu'il dit ou ce qu'il fait sur le court, mais il est toujours lui-même et j'aime ça." Alors, 'bromance', peut-être pas tout à fait. Mais le réchauffement climatique entre les deux joueurs est bel et bien acté. Reste deux questions : Kyrgios viendra-t-il sur le court avec un masque de Novak dimanche ? Et qui paiera l'addition ?
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Nick Kyrgios & Novak Djokovic

Crédit: Getty Images

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