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WRC - Sébastien Ogier : "Pour se battre avec Loeb, il fallait être très très fort"

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 19/05/2022 à 22:41 GMT+2

RALLYE DE PORTUGAL - Sébastien Ogier (Toyota) est au départ ce soir de l'un des derniers rallyes de sa carrière, riche de huit titres mondiaux. Ce jeudi, un documentaire, diffusé en exclusivité par Apple TV en février, ressort sur différentes plateformes. Avec nous, le pilote gapençais en phase de reconversion en Endurance revient sur les moments forts de son parcours depuis ses débuts.

Sébastien Ogier (Toyota) au Rallye de Turquie 2020

Crédit: Getty Images

Le documentaire "Sébastien Ogier, The Final Season" qui ressort aujourd'hui a été tourné en 2021, lors de la saison de votre 8e titre. C'est une reconnaissance de plus pour votre parcours exceptionnel en rallye.
Sébastien Ogier : C'est un honneur d'avoir un documentaire qui retrace sa carrière. Le faire durant une saison qui se termine en beauté, sur un dernier titre, c'est idéal pour le scénario. Personnellement, je suis fan de ces documentaires de grands sportifs, remplis de choses inspirantes.
Cette histoire n'aurait pu être possible sans votre co-pilote Julien Ingrassia. Pourtant, elle a failli tourner court. On se souvient d'une scène en pleine épreuve spéciale au début de votre carrière : vous arrivez dans un cul-de-sac et vous lui dites "Je ne le crois pas, on n'est pas dans la spéciale !" Julien avait mal lu ses notes…
S. O. : C'était au Rallye de Chypre, en 2009. On est passé par des moments difficiles. Julien a été mis sous une grosse pression, sur la sellette. On a bien fait d'insister, quand on voit le peu d'erreurs qu'ils a faites sur l'ensemble de notre carrière ! S'il était noté par l'ensemble des gens dans le service park, ils seraient unanimes à dire que c'est un copilote exceptionnel. A chaud, il ya eu des moments comme ça, où j'ai pu réagir, lui en vouloir un peu. Mais j'ai été le premier à le défendre quand justement à l'époque voulait essayer de nous séparer.
Sébastien Ogier et Julien Ingrassia, champions du monde des rallyes pour la 8e fois après leur victoire à Monza, le 21 novembre 2021
On voit dans le documentaire votre ingénieur Kevin Struiff expliquer votre goût pour les choix tactiques de pneus de dernière minute, qui permettent de jouer avec l'adversaire avant le départ des spéciales.
S. O. : Il y a des petits coup d'intox, mais ça n'arrive pas souvent. Dans le documentaire, on est dans une zone de pneus où tout le monde peut voir ce que font les autres en direct. Les coups de poker arrivent, comme lors de ce Monte-Carlo 2021 avec Seb [Loeb]. Faire les bons choix de pneus a été l'une de mes forces pendant ma carrière. Et il y a un côté mental de faire parfois différemment que les autres quand on n'est pas en tête. Et qu'il faut faire un pari.
Votre ingénieur confie aussi qu'un pilote gère en général deux à trois informations en même temps, et que vous pouvez en gérer sept…
S. O. : Ah, je ne sais pas s'il y en a sept en même temps mais le flot d'informations qu'annonce le co-pilote est une chose ; il y a l'aspect visuel et le ressenti. Je regrouperai plus ça en trois grosses infos, mais c'est vrai que ce ne sont pas des infos simples. Mentalement, il y a beaucoup de choses à "processer" en même temps pour prendre de bonnes décisions au niveau du pilotage. C'est ce qui fait le charme de cette discipline. L'environnement dans lequel on évolue fait que l'adrénaline est vraiment élevée dans le cockpit. Les sensations dans une voiture de rallye sont assez géniales.
A l'arrivée d'une spéciale, en 2011, Sébastien Loeb, votre coéquipier chez Citroën a dit : "Maintenant, je sais qu'Ogier a tout compris au fonctionnement des pneus". C'est l'une des choses les plus difficiles à cerner, et il savait là que vous étiez parvenu à son niveau.
S. O. : Être confronté à la référence, qui domine le sport depuis des années, dans la même équipe, à voiture égale, était quelque part un challenge compliqué, et une opportunité de progresser. C'est un moment de ma carrière qui m'a évidemment tiré vers le haut. Pour être capable de se battre avec lui, il fallait être très très fort. En 2011, j'ai commencé à y arriver de plus en plus. Malgré tout, le facteur expérience manquait un peu. On n'avait pas encore la constance que j'ai pu avoir ensuite. Mais c'est sûr que c'était important de voir qu'on l'embêtait de plus en plus. Les rallyes qu'on a fait ensemble ont souvent été intenses. C'était un coup à moi, un coup à lui. Et ça l'est encore aujourd'hui : l'excitation des fans est encore très grande de nous voir se battre au Portugal.
Loeb et Ogier (Citroën) au Rallye de Finlande 2011
Vous vous doutiez-vous que la collaboration allait vers le clash ?
S. O. : Comme le disait Olivier [Quesnel, directeur d'équipe] à l'époque, c'est un problème de riche quelque part. Pas mal d'exemples en sports mécaniques montrent que c'est difficile de gérer ce genre de situation. Mais une fois de plus, je n'en garde que le positif. Ma carrière s'est orientée ensuite différemment, chez Volkswagen, à cause de ça. Mais tout ce qui a suivi a été presque plus positif qu'autre chose pour moi. Et ça m'a clairement rendu plus fort.
En 2012, vous prenez d'énormes risques avec la petite Skoda S2000 face aux WRC. Et ça commence par un gros crash au Monte-Carlo…
S. O. : C'était un moment difficile à accepter. En 2011, on commençait à se battre de plus en plus pour des victoires et le titre. C'était un pas en arrière. Il y avait de la frustration, oui. On faisait des rallyes juste pour prendre de l'expérience.
En 2013, vous repartez de zéro avec VW, un peu comme Lewis Hamilton avec Mercedes. Le genre de pari qui ne peut que donner une dimension particulière, une envergure à une carrière.
S. O. : Avec VW, on a tout créé ensemble, de zéro. Après coup, c'est facile de dire que c'était la bonne décision. Toyota, par exemple, avait mis beaucoup de moyens en Formule 1 à l'époque et n'a pas réussi le rallye. Il n'y avait pas de garantie que le projet allait fonctionner. Finalement, cela a vite tourné à une domination, pendant quelques années.
Vous avez dominé et subi la règle du balayage sur les épreuves "terre" la première journée, qui vous handicapait trop pour refaire votre retard. Ça fait quoi d'attaquer ces rallyes sans chance de gagner ?
S. O. : Il y a eu des moments difficiles à cause de cette règle, c'est évident. La domination de Seb [Loeb] puis la mienne a frustré beaucoup de gens et il a fallu arrêter ça. J'ai souvent critiqué cette règle et je le fais encore parce que, pour moi, un championnat du monde doit donner des chances équitables à tout le monde. Au milieu de ma carrière, on a même balayé pendant deux jours !
En 2021, vous gagnez au Kenya, ce qui fait de vous le seul rallyman vainqueur sur les cinq continents.
S. O. : Je n'étais pas au courant dans cette stat. Ces dernières années, Seb et moi avons prouvé qu'il n'y avait plus vraiment de pilotes spécialistes et qu'on était capables d'être bon sur toutes les surfaces. C'est ce qui a aussi fait notre force. Personnellement, en début de carrière j'étais plus fan de la terre car les WRC sont extraordinaires à piloter en glisse. Mais j'étais de plus en plus content de retourner sur l'asphalte pour ne pas partir avec ce handicap. J'adore le rallye aussi pour sa diversité. Il n'y a jamais deux rallyes de suite identiques. Kenya, l'an dernier, a été une expérience unique, d'une ampleur inattendue. Un beau souvenir.
En 2017, vous arrivez chez Ford M-Sport, et votre patron Malcolm Wilson confie : "Ogier nous a posé des questions qu'aucun autre pilote ne nous avait posées", en terme de technique, d'organisation, etc… Il parlait de détails qui font la différence.
S. O. : Avec Malcolm, cela a été une aventure extraordinaire, avec une équipe qui le méritait. Le jour où on a signé avec eux, ça leur a donné cette confiance de se dire qu'ils pouvaient y arriver et ils se sont transcendés. On est allé chercher ce titre qu'ils n'avaient jamais eu. J'ai toujours été exigent envers mes équipes, autant qu'envers moi-même. Sortant d'une équipe VW super bien rôdée, on avait pas mal d'idées en tête. Moi ou Julien, qui aussi très méticuleux, on leur a fait des e-mails à rallonge avec des listes de petites choses à essayer de peaufiner. Je crois que c'est le marque des champions d'en demander plus.
Sébastien Ogier, Malcolm Wilson, Julien Ingrassia (Ford WRT) au Rallye de Grande*Bretagne 2018
On vous a souvent opposé à Loeb… Il a conquis tous ses titres avec Citroën, une marque française, et vous qu'avec des équipes étrangères. Est-ce que cela a façonné une image un peu différente et qui a eu du mal à vous rendre aussi populaire que Loeb en France ?
S. O. : C'est sûr que la popularité de Seb en France est plus grande que la mienne sans aucun doute. Le fait d'avoir eu pour lui une carrière non-stop avec un constructeur Français a aidé en ce sens-là. Le fait aussi, malheureusement, qu'il y ai eu pour nous, et le rallye en général, une espèce de lassitude, parce que c'était devenu un peu trop normal qu'un Français domine ce sport. J'aurais aimé gagner le titre avec Citroën lors de mon retour en 2019, mais il n'y a aucun regret d'avoir essayé. C'est quand même une fierté d'avoir gagné (huit titres) avec trois constructeurs, et gagner des courses avec quatre. Ça m'a permis de découvrir pas mal de cultures différentes, comme par exemple aujourd'hui avec les Japonais, qui ont cette culture du respect assez unique. Il y a eu des émotions très fortes avec les Anglais de ce team semi-privé M-Sport. Et puis, VW a été comme une seconde famille pour moi. Et puis, Citroën est le constructeur qui m'a donné ma chance. Personnellement, je n'ai aucun regret.
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