Tennis de table - "C'est comparable à Wembanyama ou Alcaraz" : voyage au cœur du phénomène Lebrun

A Montpellier, c'est souvent une histoire de famille et de miracle. Celle des Nicollin a fait émerger un minuscule club corporatif de football devenu, le temps d'une saison de frappadingue, le meilleur de France. Celle des Lebrun a, elle, accouché d'un autre merveilleux mystère : deux têtes blondes transformées, en quelques mois, en nouvelles sensations du tennis de table mondial. Inconnus et au-delà de la 1000e place mondiale il y a encore deux ans, Félix et Alexis, les deux frangins, ne peuvent plus poser un orteil chez eux sans déclencher un tremblement de terre. Il fallait les voir ce dimanche, sur leur terre à Montpellier aux Championnats de France, pour comprendre le degré de fascination, d'amour et de passion que charrient les deux gamins.

Eux sont là sans n'avoir rien demandé. Avec la simplicité et l'authenticité de gamins de leurs âges (17 et 20 ans). Felix et Alexis Lebrun, c'est d'abord l'histoire de gosses tout à fait normaux plongés dans une histoire irrationnelle. Il n'est pas encore majeur mais Felix est déjà le meilleur joueur du monde derrière quatre Chinois et couve un espoir concret de médaille dans quelques mois à Paris. Alexis, lui, a déjà mis à terre l'ancien numéro 1 mondial après un exploit qui a ébranlé l'Empire du Milieu. Dimanche, c'est l'aîné, Alexis, qui a battu en finale… son petit frère devant 2900 personnes conquises. Aujourd'hui, tout le monde connaît les Lebrun, même ceux qui ne savent pas qu'un set de tennis de table se joue en onze points.

Ces deux-là dépassent le strict cadre de leur sport. On se les arrache sur les plateaux télé, les marques leur font du pied et leur maman, improvisée attachée de presse, a bien du mal à endiguer le raz-de-marée provoqué par sa progéniture. "Je reçois 10 demandes par jour, compte Dominique, institutrice improvisée patronne des relations médias de la joyeuse bande. Je dois gérer des demandes de Cyril Hanouna ou Denis Brogniart. Un média chinois va venir tourner un reportage avant les JO ici, à Montpellier." Parce que les gamins ne fascinent pas que leurs compatriotes.

"Ça va à vitesse grand V, on est débordés mais tant mieux, abonde le papa, ancien pongiste de très haut niveau. Il y a deux ans, j'avais planifié les JO de Los Angeles pour eux mais pas Paris. Aujourd'hui, il y a un engouement en Asie, chez les dirigeants de la fédération international, c'est fou. Quand ils sont à l'hôtel en Chine, ils ne peuvent pas sortir parce que 500 personnes les attendent pour les voir."

La WTT (ndlr : Wolrd Tennis Table) surfe sur le phénomène et met en avant les frangins sur ses réseaux sociaux. Elle a même décidé d'organiser lors des trois prochaines années un WTT Champions, soit l'équivalent des Masters 1000 de tennis, chez eux à Montpellier. Un évènement rarissime en Europe mais la Fédération internationale a, elle-aussi, flairé le bon filon avec les Lebrun. Comme Optic 2000 qui les a choisis comme égérie ou Carrefour qui les a intégrés à son pôle d'ambassadeurs pour les JO 2024 en compagnie de Teddy Riner, Estelle Mossely, Laura Flessel ou Marie-José Pérec. Excusez du peu.

Pourquoi eux ? Pour leur bouille juvénile, leur histoire originale et le vent de fraîcheur qui les accompagne. Leurs lunettes sont rigides et carrées mais c'est un esprit libre qui souffle sur leur ping-pong. Loin du conformisme parfois robotique qui fait des Chinois les maîtres de la discipline, ils cultivent une singularité absolue avec un plaisir qui déborde dans chacun de leurs coups.

De quoi faire décoller leur popularité à des niveaux jamais atteints même au temps des illustres Jean-Philippe Gatien ou Jacques Secrétin. Et pourtant, ce dimanche, ils sont là, tranquille, avec leur gueule d'oisillons tombés du nid et leur naturel désarmant face à une foule extatique de gamins transis. Sur leur passage, on arrache des revêtements noir ou rouge de la raquette pour s'assurer une signature sur le bois : "Comme ça, je suis sûr que l'autographe ne partira pas", se réjouit Gaston, jeune fan ébloui sur le passage de ses deux idoles.

"Ce qu'on vit en terme de médiatisation, d'engouement populaire, c'est unique dans le ping-pong, s'enthousiasme Christophe Legoût, leur oncle et ancien membre de l'équipe de France… de tennis de table. Tout le monde en parle. Quand ils vont au restaurant tout le monde les regarde. Il faut dire que c'est comparable à Wembanyama ou Carlos Alcaraz en terme de précocité et de talent." "On m'a demandé de les présenter comme porte-drapeaux (ndlr : ils ne rentrent pas dans les critères définis par le CNOSF), s'étonne Gilles Erb, l'heureux président d'une Fédération revigorée par les deux frères. Aujourd'hui, ils font partie de ces sportifs français qui marquent l'opinion. On vit une folie, ce sont des emblèmes à 17 et 21 ans. On a déjà eu d'autres champions mais là, ça prend une autre dimension parce que ce sont des gamins sympas. On s'identifie à eux, tout le monde les aime. "

La fame, la hype ne font pas partie de leur vocabulaire. Pour le dire autrement, ils s'en contrefichent même s'ils accueillent avec beaucoup de bienveillance la chaleur qui les accompagne désormais. "Ça fait partie de leur éducation, ils sont bien éduqués. Felix et Alexis sont là pour jouer et s'amuser, rien d'autres", continue Legoût. En somme, des gamins ordinaires au destin unique.