Judo - Grand Slam de Tbilissi : Audrey Tcheuméo, la quête ultime de l’ovni du judo français

Raphaël Brosse

Mis à jour 23/03/2024 à 13:47 GMT+1

Une semaine avant sa concurrente Madeleine Malonga, qui combattra le 31 mars à Antalya, Audrey Tcheuméo jouera sa place aux Jeux Olympiques ce dimanche, à l’occasion du Grand Slam de Tbilissi. Un rendez-vous importantissime, donc, pour la judoka de 33 ans, revenue de très loin. Et qui, à bien des égards, fait figure d’ovni dans le paysage du judo français.

Audrey Tcheuméo / Crédits : Quentin Guichard

Crédit: Eurosport

Dans huit jours, si tout va bien, on saura enfin. À quatre mois du début des Jeux Olympiques de Paris 2024, treize des quatorze judokas qui représenteront la France à l’Arena Champ-de-Mars ont déjà leur ticket en main. Il n’en reste qu’un à attribuer, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le comité de sélection est bien embêté. Car jusqu’à présent, il n’a pas réussi à trancher. En -78kg, Audrey Tcheuméo et Madeleine Malonga se tirent la bourre. Leur niveau actuel est très proche, leurs résultats face aux autres pointures de la catégorie sont similaires. En bref, il est impossible d’en choisir une plutôt que l’autre.
Le staff de l’équipe de France espère toutefois mettre un terme au suspense d’ici à la fin mars. Deux Grands Slams d’importance équivalente se succèdent au calendrier, chacune aura donc sa carte à jouer, en configuration "olympique" (une seule Tricolore par tableau). Une semaine avant Malonga, qui combattra le 31 mars à Antalya, Tcheuméo ouvre le bal, ce dimanche sur le tapis de Tbilissi. La pression sera immense, le défi sera de taille. Mais il semble à la mesure de celle qui, depuis ses débuts en judogi, a suivi une trajectoire unique en son genre.

Débuts tardifs et apprentissage rapide

À commencer par ses débuts tardifs dans la discipline. En général, les judokas serrent leur première ceinture pendant l’enfance, ce qui leur laisse le temps d’assimiler tous les fondamentaux (la chute, les techniques debout et au sol, etc.) avant, pour les meilleurs, de s’aventurer à haut niveau. "Tchoumi", elle, a poussé pour la première fois la porte du dojo de Villemomble à l’âge de 15 ans. Ce qui ne l’a pas empêchée de vite se faire remarquer. "Elle n’a pas eu besoin de passer par tout ce processus qu’on apprend à cinq ans. C’était un peu un ovni, comme si le judo était inné pour elle", se souvient Aurore Quintin, sa camarade en club et en équipe de France et meilleure amie de l’époque.
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Audrey Tcheuméo (France)

Crédit: Imago

La native de Bondy, qui préférait jusque-là jouer au foot ou au tennis, impressionnait déjà par sa puissance hors normes et son explosivité. Ainsi que par son aisance à assimiler des gestes pourtant complexes. "Pour intégrer un mouvement en judo et savoir le reproduire, il faut vraiment beaucoup de temps, expose Cathy Fleury, championne olympique en 1992 (-61kg) et ancienne entraîneure de l’équipe de France féminine. Si vous commencez à apprendre une technique, on parle de moyen ou long terme, jamais de court terme. Mais Audrey, dans certaines conditions, pouvait apprendre et être efficace très vite. C’était bluffant."

Derrière la carapace, une grande sensibilité

À l’image de son balayage dévastateur, qui lui a notamment permis de faire basculer Akari Ogata et la finale des Mondiaux, le 26 août 2011. Ce jour-là, la jeune Francilienne, 21 ans et encore inconnue du grand public, avait fait chavirer Bercy de bonheur, un an seulement après ses débuts sur le circuit international seniors. Une ascension fulgurante, ensuite agrémentée de deux médailles olympiques (bronze en 2012, argent en 2016) et trois autres podiums planétaires. Mais il y a eu quelques désillusions, aussi, et un gros passage à vide.
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Tcheuméo : "Au premier abord, les gens pensent que je suis un peu méchante"

Car derrière sa mine déterminée et son apparente froideur - "elle a une carapace, mais quand on la connaît, on passe de super moments à rigoler", assure Aurore Quintin -, Audrey Tcheuméo cache une sensibilité qui, plus d’une fois, l’a fait dérailler. "Plus jeune, même si elle ne le montrait pas, elle avait besoin de moments où elle était réconfortée", poursuit l’ancienne combattante en +78kg. "C’est une jeune femme très sensible", avoue avec pudeur Cathy Fleury, qui l’a entraînée de 2010 à 2016 et a tissé une relation forte avec elle. "Pour qu’elle réussisse, c’était essentiel qu’elle soit rassurée, qu’elle se sente en confiance."
Quand elle est bien, elle est bien, mais quand elle n’est pas bien, c’est vraiment très dur
Ce qui n’a pas toujours été le cas, en particulier quand ses combats s’étiraient en longueur. "Audrey est explosive. Sa force, ce n’est pas le cardio. Elle se mettait à douter quand le combat commençait à être long et qu’elle ne réussissait pas à faire tomber", se souvient Aurore Quintin. Même si elle a beaucoup progressé dans ce domaine au fil des ans et qu'elle peut tenir sur la durée, il arrive encore à la double médaillée olympique d’être submergée par des émotions négatives pendant ou après un combat. En février dernier, lors du Grand Slam de Paris, elle n’avait par exemple pas serré la main à Madeleine Malonga après son revers aux pénalités.
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Madeleine Malonga et Audrey Tcheuméo lors du Grand Chelem de Paris 2024.

Crédit: Imago

"Il y a vraiment une question d’état d’esprit. Quand elle est bien, elle est bien, mais quand elle n’est pas bien, c’est vraiment très dur. De temps en temps, c’est elle qui lâche la corde", synthétise Cathy Fleury, qui affirme pouvoir savoir au bout "d’une seconde de combat" si son ancienne protégée sera dans une bonne ou une mauvaise journée. Mais s’il y a une chose qu’on ne peut lui enlever, en dépit de son moral fluctuant, c’est sa force de caractère.

Une remontada longtemps inimaginable

Celle-ci a été durement éprouvée, puisque ces dernières années, Tcheuméo a en effet connu une longue période de creux. Devancée dans sa catégorie par Malonga, championne du monde 2019 et vice-championne olympique à Tokyo, elle aurait pu baisser les bras. Après tout, elle n’avait plus son badge pour entrer à l’Insep et plus grand-monde, au sein de l’encadrement national, ne semblait croire en elle. "Je ne gagnais plus, alors je n’étais plus rien. Mais il y avait cette petite voix au fond de moi qui me disait : 'Tchum, ce n’est pas fini !' Il n’était pas question de lâcher, mais la pente, je l’ai remontée toute seule", a lâché la Bondynoise dans un entretien accordé au Parisien.
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Mondiaux 2023 | Indécis puis cruel, Tcheuméo échoue en finale sur ippon

Ses résultats réalisés en 2022 et 2023 (dont une deuxième place aux derniers mois) lui ont permis de donner corps à cette remontada longtemps inimaginable. Il lui reste désormais à conclure et à aller chercher ce graal que constituent les Jeux de Paris, chez elle. Là où, il y a treize ans, en une belle journée d’août, elle avait donné une autre dimension à une carrière décidément loin d'être linéaire.
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